Au Honduras, le Tribunal suprême électoral a repris dimanche le dépouillement, alors que Juan Orlando Hernandez et Salvador Nasralla sont au coude-à-coude pour la présidence. Dans la rue, les tensions restent vives malgré l'état d'urgence.
Huit jours après l’élection présidentielle, le Honduras n’a toujours pas de président. Le Tribunal suprême électoral (TSE) a repris dimanche 3 décembre le dépouillement des votes et entamé le recomptage des voix déposées dans un millier de bureaux de vote, soit près de 6 % des suffrages, un processus qui devait se prolonger jusqu'aux premières heures de lundi.
Selon le stade actuel du décompte – 95 % des suffrages ont été dépouillés –, le président sortant de centre-droit Juan Orlando Hernandez est crédité de 42,92 % des voix, contre 41,4 % pour Salvador Nasralla, un présentateur de télévision candidat de l'Alliance de l'opposition contre la dictature. La majorité absolue n'est pas nécessaire pour l'emporter.
Dans un premier temps, le décompte de 70 % des voix donnait l'avantage à Salvador Nasralla et l'un des quatre membres du tribunal électoral, Marcos Ramiro Lobo, avait alors affirmé que cette avance était "irréversible". Mais Juan Orlando Hernandez est ensuite passé devant avec le dépouillement d'un peu plus de 80 % des votes.
Le TSE cherche à montrer patte blanche
Après cette inversion de la tendance, l'opposition a notamment mis en cause la neutralité du TSE qui veut aujourd'hui montrer sa bonne volonté. "Le TSE cherche à montrer patte blanche, ce recomptage est public, diffusé en direct à la télévision et il se fait en présence d’observateurs nationaux et internationaux", précise Laurence Cuvillier, correspondante de France 24 en Amérique centrale.
Le recomptage se fait néanmoins en l’absence des deux principaux partis qui se disputent la victoire. Le candidat Nasralla, qui a pourtant tout interêt à cette opération, boudé le processus qui ne va, selon lui, pas assez loin. Soupçonnant une fraude électorale, l'opposition a demandé la vérification de 5 174 procès-verbaux transmis après plusieurs interruptions du système informatique. Or le TSE n'a accepté de vérifier que 1 006 procès verbaux. "Sachant que les candidats ne sont séparés que de 1,5 points dans les résultats provisoires, cette différence pourrait être déterminante", ajoute Laurence Cuvillier.
L'opposition met également en doute la participation dans trois départements de l'ouest du pays, qui a atteint 70 à 75 %, contre 50 à 55 % pour la moyenne nationale.
État d'urgence et couvre-feu
L'élection a mis le petit pays sous tension depuis dix jours. Alors que le camp de Nasralla appelle à manifester pour contester les résultats, le gouvernement a décrété vendredi l'état d'urgence pour dix jours, ainsi qu’un couvre-feu, entré en vigueur samedi à minuit. Mais cela n'a pas fait taire l’opposition.
Des milliers de manifestants, pour la plupart assez jeunes, ont marché à travers les rues de la capitale Tegucigalpa dimanche. "Dehors JOH !", ont lancé dimanche les manifestants, appelant le président Hernandez par ses initiales, l'accusant de "fraude" et le TSE du "vol" de l'élection, au milieu des chants et d'un concert de casseroles et de "vuvuzelas". Dans la rue dimanche, Salvador Nasralla a exhorté l'armée à désobéir aux ordres tout en encourageant ses partisans à continuer de protester pacifiquement. "J'appelle tous les membres des forces armées à se rebeller contre leurs supérieurs (...) vous devriez faire partie du peuple", a-t-il dit.
Les manifestations se sont multipliées dans le reste du pays. D’après les correspondants de France 24, la seule route reliant les deux plus grandes villes du Honduras, Tegucigalpa et San Pedro Sula, étaient jonchée de pneus en feu ce week-end tandis que les pro-Nasralla défiaient policiers et militaires. "J’étais dans un bureau de vote, le numéro 2 604, où Salvador Nasralla a obtenu 196 voix. Et le président Juan Orlando Hernández, 69 votes. C’est une grande différence. C’est tout ce qu’on veut : que les listes de résultats soient publiées !", explique à France 24 Rodrigo, manifestant pro-Nasralla.
Trois manifestants tués
La situation n’a pas manqué de dégénérer dans ce petit pays, le plus pauvre d’Amérique latine, qui a déjà connu plusieurs coups d'État. Le Honduras, qui se trouve au cœur du "triangle de la mort" de l'Amérique centrale, est miné par les gangs et affiche l'un des plus forts taux d'homicide au monde.
Des centaines de personnes ont été arrêtées au cours de manifestations violentes qui ont émaillé la semaine, avec au moins trois morts à la clef. Une jeune fille de 19 ans a notamment été tuée par balles dans la nuit de vendredi à samedi, lors d'affrontements entre partisans de Salvador Nasralla et policiers. Son décès a été attribué à des tirs de la police par la famille et une enquête a été ouverte.
Depuis Washington, la Commission interaméricaine des droits de l'Homme (CIDH) et le bureau de l'ONU pour les droits de l'Homme au Honduras (OACNUDH) ont demandé dans un communiqué commun aux autorités honduriennes de rester "dans le cadre des droits de l'Homme, en respectant la vie et l'intégrité physique des personnes". Les deux organismes ont également exprimé leur "profonde préoccupation" devant "la perte de vies humaines dans le contexte des manifestations".
Avec AFP et Reuters