Human Right Watch appelle la Chine à mettre un terme aux "thérapies de conversion" à l’égard des homosexuels. Enfermés de force dans des cliniques ou hôpitaux, ces patients-prisonniers subissent un traitement de choc censé réorienter leur sexualité.
Cela se passe en Chine, en 2017. Luo Qing, Wen Qi ou Liu Xiaoyun ont été enfermés dans des établissements médicaux pour être "guéris" de leur homosexualité. En Chine, être gay est toujours considéré comme un trouble mental, qui, à ce titre, peut être traité et soigné. Dans un rapport publié le 15 novembre, Human Rights Watch (HRW) dénonce les "thérapies de conversion" visant les homosexuels en Chine.
Effectuées à la demande des familles, ces pratiques sont censées amener les homosexuels à changer leur orientation sexuelle pour les remettre dans "le droit chemin de l’hétérosexualité". Une "thérapie" rarement – voire jamais – consentie par les intéressés. Sur les 17 personnes interrogées par HRW, toutes insistent sur les pressions familiales et sociales qu’elles ont subies.
#Chine – HRW appelle dans un nouveau rapport à mettre fin aux thérapies de «conversion» visant à changer l’orientation sexuelle d’une personne. https://t.co/wOEs7CBO1u #LGBT
HRW en français (@hrw_fr) 15 novembre 2017"Le psychiatre a dit à ma mère : 'l’homosexualité est comme n’importe quelle autre maladie mentale, comme la dépression, l’anxiété ou la bipolarité. Ça peut se soigner. Croyez-moi, laissez-le ici : il est entre de bonnes mains' ", raconte Wen Qi à HRW. Ces "bonnes mains" ont eu gain de cause. Comme tous les autres témoins, Wen Qi a été forcé d’entrer en "cure" puis retenu de force dans une clinique, sans aucune échappatoire.
Quand Luo Qing, une autre victime de ces thérapies, a tenté de s’échapper, il a été violemment rattrapé. "Je m’étais approché très près de la porte qui n’était pas gardée, mais avant que je puisse l’ouvrir, deux agents de sécurité m’ont rattrapé. Juste après, je me suis retrouvé au sol", raconte Luo Qing, qui, comme tous les autres témoins cités dans le rapport, préfèrent se cacher derrière un pseudonyme.
Insultes, électrochoc, médicaments
Wen Qi avait pourtant toutes les raisons de vouloir fuir. Les patients racontent avoir subi des traitements à base de gavages médicamenteux, d'électrochocs, de séances d’insultes et d’humiliations. "L’infirmière me donnait deux pilules par jour. Le docteur disait que c’était contre les symptômes de la dépression et de la bipolarité. Il disait qu’elles avaient un effet sédatif qui m’aiderait à surmonter mes angoisses et à me calmer […]. Mais je ne suis pas quelqu’un d’angoissé. Alors pourquoi ils me donnaient ces médicaments ?", se questionne encore Wen Qi.
Cinq témoins racontent aussi avoir subi une "thérapie" par électrochocs. Stimulés par des images ou vidéos d’actes homosexuels, ils recevaient simultanément des décharges électriques. Les patients étaient ainsi censés associer leur homosexualité à des sensations douloureuses, afin de réprimer leurs pulsions sexuelles envers les personnes du même sexe.
"Ils ont augmenté l’intensité des électrochocs et au lieu d’être simplement engourdi, j’ai commencé à ressentir de la douleur. J’avais l’impression d’avoir des aiguilles qui me perçaient la peau. Quelques minutes plus tard, mon corps s’est mis à trembler... Ce n’est que plus tard encore que j’ai réalisé que c’était une machine à électrochocs", se souvient Liu Xiaoyun.
"Avez-vous pensé à ce que vos parents vont dire ?"
Quand les électrochocs deviennent trop insupportables, le traitement peut être complété par des injections médicamenteuses. "Les médecins me faisaient regarder des pornos gays et pendant ce temps, une infirmière m’injectait un liquide sous la peau, souvent dans le bras… Rapidement, mon corps commençait à brûler. J’avais des nausées pendant tout le temps de la séance, mais je n’arrivais pas à vomir. J’avais aussi des maux de tête. Mais les médecins me disaient de me calmer et de continuer à regarder l’écran", raconte Zhang Zhikun.
L'empathie des médecins attendra. Tous les témoins affirment avoir été victimes de pressions. Zhikun s’est entendu dire par le "thérapeute" que l’homosexualité était "immorale" et nocive pour la santé. "Le docteur m’a dit : ‘si vous ne changez pas, vous tomberez malade et vous mourrez du sida. Votre vie de famille ne sera jamais heureuse… Avez-vous pensé à ce que vos parents vont dire ?’"
Des thérapies illégales
Des récits qui font penser à "Vol au-dessus d’un nid de coucou" ou "Orange mécanique". Sauf que nous sommes en 2017 et non dans les années 1960 ; que cela se passe dans des hôpitaux patentés et non dans un asile, sur des patients qui ne sont pas malades, et dans un pays où ces "thérapies de conversion" ne sont pas légales.
Pékin a pourtant officiellement retiré l'homosexualité des délits du Code pénal en 1997 et de sa liste des maladies mentales en 2001. Depuis 2013, la loi sur la santé mentale exige aussi que le diagnostic et le traitement des troubles mentaux respectent les droits fondamentaux des individus et la dignité humaine.
Pourtant, les autorités n’ont pris aucune mesure contre les établissements de santé ou les praticiens qui proposent ces traitements de conversion. Quant aux victimes, elles refusent la plupart du temps de porter plainte, craignant que leur orientation sexuelle ne soit rendue publique.
Deux affaires ont néanmoins fait avancer un peu la cause : dans la première, un hôpital a été jugé coupable de séquestration envers un plaignant. Dans la seconde, un homme a obtenu des dommages et intérêts pour les souffrances physiques et psychologiques dûes aux électrochocs. Mais ces décisions judiciaires n’ont pas encore eu d’effets dissuasifs sur les praticiens de la thérapie de conversion, ni sur les familles.