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"Hong Kong est en train de perdre sa particularité"

Alors qu'Hong Kong célèbre le 20e anniversaire de sa rétrocession à la Chine en présence de Xi Jinping, sa population demeure divisée. Des opposants pro-démocratie demandent des réformes. D'autres, plus radicaux, veulent l'indépendance.

Vingt années se sont écoulées depuis que l'Union Jack qui flottait bravement sur Hong Kong s'est abaissé une dernière fois, scellant la rétrocession de l'ancienne colonie britannique à la Chine. Le président chinois, Xi Jinping, effectue sa première visite officielle dans le port pour célébrer cet anniversaire, samedi 1er juillet.

Tous les Hongkongais ne sont cependant pas à la fête. Une partie de la population est convaincue que Pékin ne respecte plus le fameux principe "Un pays, deux systèmes" ayant présidé à la rétrocession par Londres et qui promettait une relative autonomie vis-à-vis des institutions chinoises.

Décidé à se faire entendre, l'opposition multiplie les manifestations. Un énorme dispositif de sécurité comptant des milliers de policiers a été déployé pour tenir à bonne distance les agitateurs. Mercredi 28 juin, une vingtaine de militants ont été placés en garde à vue avant d'être libérés deux jours plus tard. Une manifestation prévue dans la soirée du vendredi par des indépendantistes a été annulée après avoir été interdite par la police.

La "révolution des parapluies"

L'opposition actuelle trouve ses racines en 2014, dans les 79 jours de la "révolution des parapluies", surnommée ainsi en raison des parapluies utilisés par les manifestants pour se protéger des gaz lacrymogènes des policiers. Aujourd'hui étudiante en France, Katherine Chan suivait une licence de gestion hôtelière au moment du mouvement.

"Le mouvement est parti d'un boycott. Les étudiants ont commencé à arrêter de se rendre en cours pour réclamer l'instauration d'un suffrage universel promis par le pouvoir hongkongais depuis des années, raconte la jeune fille de 24 ans à France 24. Certains travailleurs nous ont rejoints pour s'opposer au pouvoir. On a occupé Central, le quartier des affaires de la ville pour protester de manière pacifique grâce à des sit-in. Le gouvernement a très vite envoyé des policiers avec des gaz lacrymogènes. On ne s'attendait pas à une telle violence."

"Lors de la rétrocession, on nous avait promis 'un pays, deux systèmes" pour 50 ans. Nous pensions pouvoir garder notre propre démocratie mais depuis une dizaine d'années la Chine tente de nous influencer, de contrôler le gouvernement", estime Katherine Chan.

"Un pays, deux systèmes" ?

"Théoriquement, Hong Kong s'administre toute seule avec un législatif et un exécutif local, explique Jean Vincent Brisset, directeur de recherche à l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), à France 24. Mais, contrairement à ce qu'avait promis la Chine il y a 20 ans, les élections ne sont pas d'une liberté totale. La main de Pékin est derrière l'exécutif."

La Chine avait bien proposé de réformer son système en introduisant le suffrage universel, à condition que les candidats soient d'abord adoubés par elle. C'est cette proposition qui a déclenché le "Mouvement des parapluies". Conspué dans la rue, ce projet de "faux suffrage universel", comme le décrivaient les manifestants, avait finalement été rejeté par les élus démocrates.

Sans obtenir les réformes espérées, la révolution des parapluies a périclité dès décembre 2014. Cependant, la nouvelle génération de militants qui a émergé n'a pas rendu les armes.

De l'opposition démocratique au nationalisme

Plusieurs figures de la révolte sont restées sur le devant de la scène. Joshua Wong, 20 ans, tente de faire exister le combat hongkongais sur la scène internationale. Il s'est rendu à Washington en mai pour déclarer que "le haut degré d'autonomie" promis à Hong Kong ne faisait que s'éroder. Nathan Law est quant à lui devenu le plus jeune député du Conseil législatif, le Parlement local, à l'âge de 21 ans. Dénonçant le pouvoir plus que limité de celui-ci, il tente de promouvoir de l'intérieur une meilleure représentativité. Ils ont tous les deux été arrêtés le 28 juin lors d'une protestation contre la visite de Xi Jinping. Ils ont été libérés sous caution peu après sans être inculpés mais avec une convocation en septembre devant les autorités.

Andy Chan, lui, a rompu avec les deux autres leaders pour adopter une posture plus radicale. Cet ancien étudiant en ingénierie a créé en mars 2016 l'Hongkong National Party, la première formation militant pour l'indépendance de l'ancienne colonie britannique. Face à l'inflexibilité de Pékin, Andy Chan prône l'affrontement, lui qui a été empêché de concourir aux élections législatives de 2016.

"Les nationalistes idéalisent la situation pré-rétrocession et veulent faire de Hong Kong une cité-État à l'image de Singapour, analyse Jean-Vincent Brisset. Mais si Singapour apparaît comme un rêve vu de l'extérieur, c'est moins vrai vu de l'intérieur."

La perle de l'Orient perd son éclat

"Hong Kong était une exception forte par rapport au reste de la Chine. C'est de moins en moins vrai. Hong Kong n'évolue plus. Les grandes cités chinoises rattrapent l'ancien port anglais, analyse encore Jean-Vincent Brisset. Honk Kong est en train de perdre sa particularité vis-à-vis du monde. Pendant très longtemps, c'était la seule passerelle vers la Chine, elle n'est désormais qu'un pont parmi d'autres."

Le conflit est générationnel. Les voix discordantes proviennent principalement de la jeunesse, plus désenchantée. Trouver un travail ou un logement convenable, à un prix abordable, devient très difficile pour cette génération née après la rétrocession. Les anciens se satisfont de la rétrocession chinoise. Les jeunes aspirent à autre chose : à davantage de libertés, de démocratie.

"En tant qu'Hongkongais, nous sommes profondément influencés par les Occidentaux. Nous avons accès à Google, Facebook, nous sommes intégrés au monde contrairement aux Chinois qui ne peuvent pas savoir ce qui ne va pas dans leur pays", relate Katherine Chan.

"La révolution des parapluies n'est pas forcément bien perçue par le reste de la population. Pour les gens qui sont intégrés dans le système économique, l'événement était considéré comme un blocage du pays, relativise Jean-Vincent Brisset. Le sentiment antichinois est marginal. Ils savent qu'ils sont dépendants du bon vouloir du gouvernement chinois pour l'eau ou l'électricité. La bonne harmonie avec la Chine les fait vivre."

Pékin, présence tutélaire

Une enquête publiée par l’université de Hong Kong, réalisée auprès de 1 000 jeunes gens début juin, montre que seuls 3,1 % des jeunes hongkongais s’identifient comme des Chinois. Katherine Chan, par exemple, s'estime hongkongaise avant tout. Selon un autre sondage, 40 % des moins de 25 ans soutiennent l’indépendance.

Et, face à ces velléités, Pékin a sévi. Le mouvement des parapluies a été réprimé à coups d'interventions policières violentes. Des enlèvements de libraires, critiques à l’égard de la corruption et de l'influence chinoise, sont venus confirmer les craintes d’une vigoureuse reprise en main par Pékin.

Autre maillon du dispositif chinois, la nouvelle dirigeante de la "région administrative spéciale", Carrie Lam, a été choisie en mars dernier par le collège électoral restreint qui élit le chef de l'exécutif. Si elle a promis d'œuvrer à une réconciliation de la société hongkongaise, elle est loin de faire l'unanimité. Alors qu'elle sera officiellement investie samedi en présence de Xi Jinping, beaucoup ne voient en elle qu'un laquais de Pékin.

En 1997, certains Hongkongais, toujours sous le choc de la répression de Tiananmen en 1989, redoutaient l'arrivée de l'armée chinoise. Vingt après, l'image de Xi Jinping inspectant la garnison de l'Armée populaire de libération (APL), n'a sans doute pas rassuré.