
Le président de Guinée-Bissau, Umaro Sissoco Embalo, arrive à l'aéroport de Séoul à Seongnam, en Corée du Sud, pour le sommet Corée du Sud-Afrique, le dimanche 2 juin 2024. © Lee Jin-man, AP
En campagne pour sa propre réélection, le président de Guinée-Bissau, Umaro Sissoco Embalo, avait arboré fièrement un balai, promettant de débarrasser son pays de "la corruption, l’injustice et l’inefficacité administrative". Quelques semaines plus tard, le "nettoyeur" a lui-même été balayé, lors d’un coup d’État militaire, intervenu le 26 novembre à la veille de l’annonce des résultats de la présidentielle.
Un putsch entouré de nombreuses zones d’ombres, immédiatement qualifié par ses opposants d’"imposture", orchestrée, selon eux, par le président déchu pour maintenir son clan au pouvoir. Depuis, un très proche d’Umaro Sissoco Embalo a pris les rênes du pays, le général Horta N'Tam, son ancien directeur de cabinet qu’il avait lui-même promu chef d'état-major. Après des escales au Sénégal puis au Congo-Brazzaville, le président sortant a trouvé refuge à Rabat, au Maroc où il a élu domicile avec ses proches.
Homme de relations
Souvent décrit comme une personnalité atypique, extravertie, cultivant un certain franc-parler, Umaro Sissoco Embalo a connu dans son pays une ascension fulgurante. "Au début de sa carrière politique en Guinée-Bissau, peu de gens, dans les cercles de pouvoir, le prenaient au sérieux", explique le chercheur Vincent Foucher. "Il était jeune et ne faisait pas partie du sérail".
Politologue de formation, ayant étudié au Portugal, en Espagne et à Tel Aviv, l’ex-président de 53 ans est polyglotte : il maîtrise le portugais, l’espagnol, le français ainsi que l’anglais et l’arabe. Il met également en avant son parcours militaire, avec le grade de général des armées de réserve.
Dans les années 2000, il gravit les échelons de la politique, rejoint le parti historique PAIGC (Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert) puis devient Premier ministre (2016-2018) dans le cadre d’un accord de gouvernement.
En 2019, après avoir rompu avec le PAIGC, il se lance dans la course à la présidence et crée la surprise en remportant le scrutin face au candidat du parti, Domingos Simões Pereira. Arrivé deuxième au premier tour, Umaro Sissoco Embalo était parvenu à rallier les principaux candidats éliminés pour finalement s’imposer. Une victoire alors contestée par son rival mais validée par la Commission nationale électorale.
"Umaro Sissoco Embalo a prouvé sa capacité à se trouver des alliés et à cultiver des relations", souligne Vincent Foucher. "Il a réussi à tirer son épingle du jeu dans un univers politique impitoyable, très compétitif".
Un succès que l’expert lie également au "riche un carnet d'adresses international" d’Umaro Sissoco Embalo, "acquis en circulant dans les réseaux de Mouammar Kadhafi et de Blaise Compaoré". Avant sa carrière politique, il avait travaillé comme représentant en Afrique de l’Ouest du fonds souverain libyen Laico (Libyan African Investment Company). Son ami et mentor Blaise Compaoré, président du Burkina Faso, lui avait alors offert un passeport diplomatique pour faciliter ses déplacements. Sa longue liste de parrains comprend également l’ancien président sénégalais Macky Sall, l’ex-dirigeant du Nigeria Muhammadu Buhari, ou bien encore le président du Congo, Denis Sassou Nguesso, qu’il surnomme affectueusement "Papa".
Main basse sur les institutions
Dès son entrée en fonction à la présidence en 2020, Umaro Sissoco Embalo poursuit une diplomatie très active et élargit son réseau : tournées africaines, voyages en Russie, visite officielle en France – une première pour un président de ce petit pays lusophone – jusqu’aux États-Unis, où il est reçu en juillet 2025 par Donald Trump. Il entend également faire entendre sa voix au sein de la Cédéao (Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest), se posant en défenseur de la démocratie contre les coups d’État en Afrique de l’Ouest.
Dans son pays, Umaro Sissoco Embalo est pourtant accusé par l’opposition de faire main basse sur les institutions. En 2022, il échappe à une tentative de coup d’État militaire et dissout l'Assemblée nationale, devenue, selon lui, un "espace de guérilla politique et de complot". L’année suivante une autre tentative de putsch, dont la véracité pose encore question, lui sert de prétexte pour dissoudre à nouveau le parlement, dominé par l’opposition, remanier le gouvernement et s’octroyer les portefeuilles de la Défense et de l'Intérieur. Une manœuvre alors qualifiée de "coup d'État constitutionnel" par le PAIGC.
Le date de la dernière présidentielle, fixée au 23 novembre 2025 provoque elle-aussi une polémique. Umaro Sissoco Embaló est accusé de prolonger son quinquennat qui devait prendre fin en février 2025.
Le PAIGC est quant à lui exclu des élections par la Cour suprême de justice pour raison administrative. Une première depuis l'indépendance du pays en 1973.
"Umaro Sissoco Embalo est un homme qui vantait des valeurs démocratiques et la limitation des mandats mais qui s’est comporté chez lui en dictateur, avec une certaine violence contre l’opposition et les journalistes" analyse Alioune Tine, fondateur du centre de réflexion Afrikajom Center.
Coup d’État "cérémonial"
Mercredi 26 novembre, trois jours après le scrutin présidentiel, Umaro Sissoco Embalo annonce lui-même au média Jeune Afrique et à France 24 avoir été victime d’un coup d’État. Un putsch, qualifié de mascarade par l’opposition et depuis, mis en doute par plusieurs acteurs régionaux.
C’est un "coup d’État cérémoniel. C’était une cérémonie menée par le chef d’État lui-même", a déclaré l’ancien président nigérian Goodluck Jonathan, chef de la mission d'observation électorale de la Cédéao (Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest), dans le pays.
"Ce qui s’est passé en Guinée-Bissau, nous savons tous que c’est une combine. Et ce n’est pas normal", a fustigé pour sa part le Premier ministre sénégalais Ousmane Sonko, alors même que le président déchu venait d’être exfiltré au Sénégal.
Dakar, Brazzaville et maintenant Rabat… Malgré ses nombreuses connections, Umaro Sissoco Embalo semble avoir eu bien du mal à trouver un point de chute. Y compris chez son "Papa", Denis Sassou Nguesso, dont l’entourage, dit-on, était peu enclin lui offrir l'asile.
En Guinée-Bissau, la commission électorale a annoncé qu’elle était dans l’incapacité de publier les résultats des élections, les procès-verbaux ayant été confisqués par "des hommes armés et cagoulés" le jour du coup d'État.
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De leur côté, la Cédéao et plusieurs organisations de la société civile maintiennent la pression sur les nouvelles autorités afin d'obtenir la libération des détenus – dont l’opposant historique Domingo Simoes Pereira - et de connaître enfin le résultat du scrutin.
"Tout porte à croire qu’Umaro Sissoco Embaló voulait empêcher ses adversaires de prendre le pouvoir et mettre à la place un régime favorable à ses intérêts", analyse Vincent Foucher. Le président a-t-il voulu se mettre au vert pour préparer un retour en politique ? Si tel était le plan, ses chances semblent aujourd’hui fortement compromises.
