Midi, dans les hauteurs de Ceuta. Une soixantaine de migrants attendent patiemment sous la tonnelle de l'ONG Luna Blanca, une cantine sociale. Pour certains, c'est leur rendez-vous quotidien : ils viennent ici manger un repas chaud, voir du monde et sociabiliser. La majorité d'entre eux sont arrivés d'Afrique subsaharienne et du Maghreb ces deux dernières années. Parmi eux, Adam et Anas, deux Marocains de 18 ans, font le service de la paëlla du jour avec Nihad, cuisinière ceutienne de 32 ans.

Adam et Anas ont l'air de deux frères. Complices, comme deux gamins qui se connaissent depuis toujours. En réalité, ils se sont rencontrés l'an dernier au centre d'accueil pour mineurs de Ceuta, où ils ont été placés à leur arrivée dans l'enclave espagnole.

Tous deux se rappellent très bien du jour où ils ont tenté la traversée de cette frontière à la nage, en mars 2024, par temps de pluie. "Je devais partir avec un autre gars, mais il a eu peur, donc je suis parti tout seul", raconte Adam. "Je suis resté deux jours dans une maison à côté. Je regardais des applications météo pour surveiller l'agitation de la mer. Quand j'ai vu que c'était marée haute, et que les gendarmes marocains ne pourraient pas venir me chercher, j'y suis allé. Mon père et un de mes potes étaient les seuls à être au courant, ils ont prié pour moi."

Adam a nagé deux heures, Anas, près de six : "Je suis allé plusieurs fois en bord de mer, sans jamais partir. Et la première fois où je me suis lancé, c'était la bonne."

Ceuta, porte d'entrée vers l'Europe

Les deux amis font partie des 28 migrants qui ont réussi à rejoindre Ceuta par la mer en 2024. Mais bien souvent, cette traversée peut virer au drame. "Beaucoup de corps s'échouent ici", commente Nihad, en regardant la plage en bas de chez elle. "Mais peut-être que la plupart n'arrivent même pas. Parce que des familles viennent souvent réclamer les corps. C'est surréaliste, mais c'est la réalité d'aujourd'hui." En 2025, au moins 30 migrants sont morts en tentant de gagner Ceuta.

Dans son téléphone, Nihad a des dizaines de vidéos d'arrivées massives de migrants. La plus importante date de 2021 : en deux jours, plus de 8 000 personnes ont passé la frontière. Depuis, les arrivées se sont calmées, avec environ 3 200 entrées irrégulières cette année d'après le ministère de l'Intérieur espagnol, contre plus de 11 600 en 2015, au plus fort du pic migratoire.

Mais Ceuta et ses 19 km² reste bien trop petite pour accueillir autant de personnes. Les centres d'accueil, pour mineurs et adultes, sont tous saturés, obligeant des dizaines de migrants à dormir dans la rue, ou près du port, d'où ils voient partir les bateaux qui mettent le cap sur leur rêve : l'Europe.

Adam et Anas rêvent eux aussi du jour où ils partiront. "J'attends mes papiers pour aller sur le continent, travailler, continuer un peu mes études, pour sauver ma famille. Ensuite j'aimerais aller en Allemagne", explique Anas en regardant au loin. Son ami continue : "Moi mon rêve, si je réussis à avoir mes papiers, c'est partir en Espagne, m'y installer deux ans, le temps d'être stable. Et si Dieu le veut, je partirais aux Pays-Bas." "Tu verras le froid qui t'attend là-bas !", rigole affectueusement Nihad, qui s'est promis de veiller sur eux jusqu'à leur départ.