Des milliers de femmes ont manifesté, lundi, en Pologne, contre l'interdiction totale de l'avortement, alors que le Parlement examine un projet de loi anti-IVG. Des actrices de la société civile ont, elles, décidé de défendre ce droit auprès de l'UE.
Jamais aucun pays membre de l’Union européenne n’est revenu jusqu’ici sur le droit à l’avortement. Mais le pas pourrait être franchi bientôt en Pologne, où la législation en la matière est déjà une des plus restrictives d'Europe, si le parlement polonais, à majorité ultraconservatrice, approuve la proposition de loi anti-IVG en cours d’examen, lundi 3 octobre, à Varsovie.
Le texte autorise l'interdiction de l'avortement à une exception près : lorsque la vie de la femme enceinte est en danger immédiat. La version actuelle du projet débattu au Parlement prévoit également une peine de prison pouvant atteindre cinq ans tant pour les médecins et autres personnes participant à l'IVG, que pour les patientes elles-mêmes, mais autorise le juge à renoncer à punir ces dernières. Des propositions qui ont provoqué les foudres d’une partie de la population polonaise. Lundi, des milliers de femmes vêtues de noir ont participé à des manifestations à traver le pays. Leur mot d'ordre : "grève des femmes", contre la proposition de loi, avec un symbole, le "cintre", l’outil extrême pour avorter.
Une photo publiée par Kudu (@ms.kudu) le 3 Oct. 2016 à 9h38 PDT
Sur les banderoles, des représentations de vagins faisant un doigt d’honneur ou encore des cintres métalliques. Les opposants au projet de loi soulignent le risque pour la santé des femmes qui, ne renonçant pas à l’avortement, seraient forcées d’avoir recours à des pratiques clandestines, cruelles et dangereuses.
En Pologne, où moins de 2 000 IVG légales sont pratiquées chaque année selon les statistiques officielles, les militants pro-avortements estiment le nombre d'interventions clandestines à plusieurs dizaines de milliers, ce qui inclut celles pratiquées à l’étranger – Allemagne ou Slovaquie – pour celles qui en ont les moyens.
Examen par le Parlement européen
Le projet, envoyé en commission parlementaire le 23 septembre après avoir été proposé aux députés à l’initiative du comité anti-IVG polonais "Stop avortement", s’inscrit dans un contexte de montée de l’ultra-conservatisme en Pologne depuis la victoire aux élections législatives du parti Droit et justice (PiS) en 2015. Et ce, dans un pays où la législation en la matière est déjà une des plus strictes de l’Union européenne. En Pologne, où l’Église est encore très puissante, les femmes ne peuvent avoir recours à l’IVG qu’en cas de viol, d’inceste, de risque pour la santé de la mère ou de pathologies graves sur le fœtus.
Dépitées par la situation actuelle, c'est vers les institutions européennes que se sont tournées cette semaine des membres du comité polonais de libéralisation de l’avortement "Sauvons les femmes". Leur représentante, Barbara Nowacka, à l’initiative de la "grève des femmes", est attendue à Bruxelles pour défendre l’accès à l’IVG, selon Damien Simonart, le correspond de Rfi à Varsovie.
Même son de cloche du côté du parti d’opposition polonais Alliance de la gauche démocratique (SLD). "L’Europe doit réagir à ce qui se passe en Pologne et ailleurs. Nous avons le droit d’exiger les mêmes droits que nos voisins européens" a déclaré à France 24 Paulina Piechna-Wieckiewicz, membre du SLD, ajoutant que son parti n’hésiterait pas à en appeler à la justice européenne. À l'initiative des députés du SLD, le Parlement européen a décidé de se pencher mercredi sur la situation des femmes dans le pays.
Le droit à l'IVG "devrait être inscrit comme un droit fondamental"
Outre la Pologne, un autre pays membre de l’UE, l’Espagne, avait envisagé de restreindre l’accès à l’IVG en 2014, avant de faire marche arrière après avoir soulevé une vive émotion dans le pays. Quant à l’Irlande et Malte, l’avortement y a toujours été interdit.
"Ce droit est fragile" s’inquiète Anne-Cécile Mailfert, auteure de "Ils ne décideront plus pour nous !", un essai sur le combat pour le droit à l’avortement en France, interrogée par France 24. Elle revient notamment sur le cas de l'Hexagone, où l’accès à l’avortement est légal, mais pas inscrit dans la Constitution. "Il suffirait qu’une majorité émerge contre l’IVG pour que la loi qui l’autorise soit remise en question par nos parlementaires" craint-elle.
"Ce qui se passe en Pologne doit nous faire réfléchir" alerte Anne-Cécile Mailfert. La militante française en appelle elle aussi à l'Union européenne considérant que le "droit à l’avortement" devrait être inscrit "comme une liberté fondamentale" dans la Convention européenne des droits de l’Homme, permettant ainsi une saisie de la Cour européenne, ce qui n’est pas le cas actuellement. "Il devrait l’être au même titre que l’abolition de la peine de mort pour lequel les États européens risquent l’exclusion" affirme-t-elle. Au sein de l’UE, l’accès à l’IVG relève en effet de la compétence de chaque État membre.