
Ces images montrent des travaux de creusement de tunnels dans la ville de Raqqa en Syrie. L’image de gauche a été prise en novembre 2025 derrière le bâtiment des syndicats des pharmaciens et des avocats de la ville. L’image en haut à droite, prise en octobre 2025, montre le stade municipal de Raqqa. L’image en bas à droite, prise en août 2025, montre des travaux de creusement le long de la clôture extérieure du stade. © Observateurs © Observateurs
Raqqa, située sur la rive orientale de l’Euphrate, dans le nord-est syrien, a connu toutes les phases de la guerre. Première grande ville à rejoindre le soulèvement contre le régime de Bachar al-Assad en 2013, elle passe sous le contrôle de l’organisation État islamique (EI) en 2014, devenant sa "capitale" de facto. En octobre 2017, après une offensive destructrice de la coalition internationale, la ville est reprise par les Forces démocratiques syriennes (FDS), dominées par les Kurdes.
Mais beaucoup de ses habitants se disent aujourd'hui inquiets. Depuis le printemps 2025, des images et des vidéos montrent des grues, des travaux de terrassement et des entrées de tunnel en train d’être creusées dans plusieurs quartiers résidentiels, sans qu’aucune explication officielle ne soit fournie par les autorités locales, affiliées aux FDS.
Ces travaux interviennent alors que l’accord signé le 10 mars 2025 entre les FDS et le nouveau gouvernement syrien, censé encadrer une intégration progressive des forces armées kurdes, arrive à échéance le 31 décembre.
Selon certains analystes, deux scénarios sont possibles : soit l'accord sera prolongé de plusieurs mois afin d'effectuer l'intégration des FDS au sein de l'État syrien, soit le nouveau régime pourrait lancer une opération militaire pour reprendre les zones contrôlées par les FDS.
Des affrontements meurtriers entre les FDS et les forces gouvernementales syriennes ont déjà éclaté le 22 décembre à Alep, faisant plusieurs morts.
"Les bruits de creusement sont audibles depuis l’intérieur des maisons"
Salamah (pseudonyme), un habitant de Raqqa, observe la situation au quotidien.
“Après la signature de l’accord en mars dernier entre les FDS et le nouveau gouvernement syrien, j’ai constaté une augmentation du nombre d’ouvertures de tunnels dans les rues de la ville. Partout où je me déplace, je remarque des ouvriers qui sortent de ces ouvertures.
Les bruits de creusement sont audibles depuis l’intérieur des maisons, car ces tunnels passent sous les habitations civiles.
Dans la rue al-Wadi, un effondrement s’est produit au mois de mai. Des dizaines de familles ont quitté le quartier d’al-Firdous à cause des travaux. Ce quartier est stratégique car il est situé en hauteur par rapport au reste de la ville.”
Pour afficher ce contenu Facebook, il est nécessaire d'autoriser les cookies de mesure d'audience et de publicité.
Accepter Gérer mes choixSelon Salamah, au moins 30 entrées de tunnels seraient visibles dans la ville. Des ouvriers impliqués dans les travaux d’excavation entrent et sortent de certaines ouvertures de tunnels, en particulier de celles situées à proximité immédiate de l’entrée de l’Hôpital national de Raqqa.
Des chantiers avec des treuils et des tas de terre
Une vidéo publiée le 6 avril montre des travaux d'excavation à l'une des portes de l'Hôpital national. On peut y voir trois ouvriers travaillant autour d’un treuil monté sur un cadre métallique, et l’un d’eux pénétrer dans le sol.
Pour afficher ce contenu Facebook, il est nécessaire d'autoriser les cookies de mesure d'audience et de publicité.
Accepter Gérer mes choixLa terre visible sur l’image est celle extraite lors du creusement d’un tunnel. La structure métallique est ce que l’on appelle en Syrie une “raf‘a” : un dispositif sur lequel est fixé un moteur, utilisé pour faire descendre puis remonter une benne transportant la terre depuis le fond jusqu’à la surface.

Des chantiers près d'hôpitaux et d’autres sites civils
En plus des travaux à l’Hôpital national, des habitants de Raqqa ont observé des chantiers près de l'hôpital Al-Mawasi, au stade municipal de la ville, ainsi que dans des quartiers résidentiels, comme le montrent des photos divulguées de la ville. Nous avons vérifié l'authenticité des images auprès d'habitants de la ville.



Des supports en béton transportés dans la ville
Une photo publiée sur Facebook le 11 juin 2025 montre un camion transportant des supports en béton présentés comme destinés au renforcement de tunnels creusés à Raqqa. Une autre publication, datée du 9 novembre 2025, évoque l’ouverture par les FDS d’un centre de fabrication de blocs de béton sur la place al-Aqtan, dans le nord de la ville. Des habitants indiquent que l'installation fonctionne en continu.

Contactées par la rédaction des Observateurs de France 24 sur l’existence, la nature et les objectifs des tunnels creusés dans la ville de Raqqa, les autorités officielles des FDS n’ont pas répondu à nos questions au moment de la publication de cet article.
“Les tunnels sont creusés dans le but de préparer des combats en milieu urbain”
Selon un analyste de la région, ces travaux s’inscrivent dans une stratégie ancienne dans les zones sous contrôle des FDS, une stratégie adoptée par la milice kurde syrienne les Unités de protection du peuple (YPG) en 2014.
Les Unités de protection du peuple (YPG) ont commencé à creuser des tunnels dès mi-2014 dans la région de Hassaké, à une période marquée par des frappes turques. À l’origine, ces tunnels visaient principalement à se protéger de l’aviation turque. [Après la création des FDS en 2015], les opérations de creusement se sont intensifiées dans toutes les zones sous leur contrôle, notamment à Manbij, Afrin et Hassaké.
Selon un autre analyste, basé à Raqqa, les travaux se sont accélérés après mars 2025, malgré la signature de l’accord avec Damas. Les chantiers seraient confiés via des appels d’offres à des entrepreneurs dont la majorité sont kurdes. Il décrit un réseau souterrain d’ampleur régionale.
“Les tunnels sont creusés dans le but de préparer des combats en milieu urbain, de fortifier des positions et d’assurer des couloirs secrets permettant la mobilité lors des affrontements militaires. Les tunnels se répartissent en trois catégories : des galeries destinées au déplacement du personnel, d’autres suffisamment larges pour permettre le passage de véhicules, et des tunnels utilisés comme abris et centres de commandement.
En raison de l’interconnexion des tunnels, un effondrement pourrait entraîner la chute de dizaines d’immeubles et provoquer des pertes civiles massives.”
“Les tunnels s’étendent partout, sous les mosquées, les hôpitaux, les jardins publics”
Pour les habitants de la ville, l’inquiétude est palpable. Salamah nous a confié :
“J’ai le sentiment que les FDS préparent la ville à une forme de résistance. Comme beaucoup d’habitants, je crains une nouvelle guerre.”
Un autre habitant de la ville, Qassem (pseudonyme), s’inquiète également pour l'intégrité structurelle du sol sous les bâtiments de la ville :
“La situation est effrayante. Il y a quelques mois, les FDS ont expulsé une famille vivant près du stade municipal de Raqqa afin de creuser un tunnel à partir d’une pièce de leur maison. C’est catastrophique : les tunnels s’étendent partout, sous les mosquées, les hôpitaux, les jardins publics. Tout cela laisse présager une préparation à une confrontation militaire avec l’armée.”
La nature du sol à Raqqa, proche de la nappe phréatique et à dominante sableuse, et dans une zone exposée au risque sismique, inquiète les habitants. Des effondrements se produisent régulièrement.
Des images publiées le 15 novembre montrent un effondrement de terrain dans un quartier résidentiel sur la route Al-Furusiyah, dans le nord de la ville. Les habitants locaux attribuent l'effondrement à la présence de tunnels sous le sol.

