
L'Équipe de France de cricket à Paris lors de la tournée du trophée de la Coupe du monde de cricket masculin 2023 de l'ICC, le 19 août 2023. © FRANCE 24
France Cricket devrait perdre le droit d’aligner des équipes et d’organiser des championnats à compter du jeudi 1er janvier, seulement six mois après avoir célébré l’obtention d’un siège au sein du comité des directeurs généraux du Conseil international du cricket (ICC).
Membre associé de l’ICC depuis 1998, France Cricket ne disposait d’un statut officiel en France que par le biais d’un accord avec la Fédération française de baseball et softball (FFBS), délégataire du ministère des Sports pour la discipline depuis 2005, un partenariat qui expire à la fin du mois. En l’absence de cet accord, France Cricket ne peut prétendre au rôle d’autorité nationale officielle, faute de reconnaissance gouvernementale minimale, aussi connue sous le nom d’agrément.
En juillet 2025, l’organisation se félicitait pourtant de l’élection de son vice-président, Gurumurthy Palani, au comité des directeurs généraux de l’ICC, saluée comme une avancée majeure après plusieurs années de controverses.
Une révolution
En 2023, France 24 avait révélé des accusations de dysfonctionnements au sein de France Cricket, notamment l’organisation présumée de "matches fantômes" destinés à satisfaire aux critères de financement de l’ICC.
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À la suite de ces révélations, au moins 18 clubs dissidents ont rejoint l’ASPTT, une fédération omnisports regroupant des dizaines de disciplines. L’ASPTT a déposé avant la date limite de juin une demande auprès du ministère des Sports pour obtenir la délégation du cricket en France et a informé l’ICC qu’elle attendait la décision des autorités. Selon une source ministérielle, l’ASPTT était le seul candidat, France Cricket n’ayant pas déposé de dossier en raison de l’absence d’agrément.
En janvier 2024, le ministère avait indiqué qu’il "examinerait la situation" après les appels à une enquête formulés par les clubs dissidents. Contacté, il n’a pas précisé si cet examen avait eu lieu, mais a confirmé que la délégation du cricket "pourrait changer" au 1er janvier.
L’ASPTT apparaît comme un allié inattendu pour le cricket. Fondée en 1898 comme club de cyclisme pour les postiers, l'Association sportive des postes, télégraphes et téléphones s’est ensuite étendue aux agents des télécommunications publiques. Elle compte aujourd’hui plus de 200 000 membres et regroupe des disciplines allant du parkour à la pétanque.
Pendant que l’ASPTT attend son heure, la relation entre France Cricket et la FFBS est arrivée à son terme.
Les raisons d’une rupture
Lorsque France Cricket a rejoint l’ICC en 1998, le soutien gouvernemental n’était pas une condition explicite d’adhésion. L’État français a confié la délégation du cricket à la FFBS en 2005 et, depuis au moins 2012, France Cricket agit comme organe directeur national dans ce cadre.
Leur dernier accord, signé en 2022, était conçu comme une transition vers l’indépendance : France Cricket devait reprendre certaines fonctions, comme la délivrance des licences, tout en œuvrant à l’obtention de l’agrément ministériel d’ici 2026.
La FFBS a confirmé auprès de France 24 qu’elle ne demanderait pas le renouvellement de la délégation du cricket et que son accord avec France Cricket prendrait fin le 31 décembre.
1998 France Cricket devient membre de l’ICC
2005 L’État délègue la gestion du cricket à la FFBS
2012 France Cricket signe un accord avec la FFBS
2017 L’ICC exige explicitement que ses membres disposent d’une reconnaissance étatique
2023 – 2025 France Cricket cherche à devenir indépendante
2025 La FFBS abandonne le cricket, l’ASPTT demande la délégation
Des documents internes de France Cricket montrent que l’organisation a menacé d’engager des poursuites judiciaires en juin 2024, "après un dernier essai de conciliation avec la FFBS", se disant frustrée par ce qu’elle considérait comme un soutien insuffisant pour obtenir davantage de reconnaissance et de financements.
Le président de la FFBS, Didier Séminet, a expliqué que la décision de se séparer résultait d’une "analyse stratégique et institutionnelle" et que les conditions n’étaient plus réunies pour gérer le cricket conformément aux normes gouvernementales. Des sources proches de la FFBS ont indiqué que l’émergence des accusations visant France Cricket avait renforcé la décision de se retirer.
Des compétitions féminines sans joueuses
Le financement de l’ICC, qui représente plusieurs centaines de milliers d’euros par an, constitue l’essentiel du budget de France Cricket. Ces fonds sont conditionnés à la remise de rapports d’activité, notamment sur le nombre de terrains et de joueurs réguliers.
France 24 avait précédemment fait état de matches féminins déclarés mais qui semblaient ne jamais avoir eu lieu.
Le 25 juin dernier, France Cricket a annoncé une nouvelle initiative en faveur du cricket féminin, affirmant vouloir "encourager le plus grand nombre possible de femmes à jouer au cricket". Mais les clubs peinent à concrétiser cette ambition.
Entre le 22 juillet et la fin de la saison, le calendrier des rencontres féminines a été modifié au moins neuf fois. La saison a même été prolongée de deux mois. Malgré ces ajustements, les clubs ont écopé de 6 750 euros d’amendes pour 22 matches invalides, principalement des rencontres féminines ou de jeunes qui n’ont jamais eu lieu, faute de joueuses ou d’arbitres.
Une somme négligeable pour France Cricket, mais un fardeau pour des clubs qui peinent déjà à aligner les équipes nécessaires pour justifier les demandes de financement de leur instance dirigeante.

La première journée du nouveau championnat féminin était programmée le 28 juin. Trois matches devaient se tenir à Grigny, au sud de Paris, sur un terrain de sport situé entre une zone industrielle et un massif boisé abritant l’une des plus grandes prisons d’Europe, Fleury-Mérogis.
Avant le coup d’envoi prévu à 14 h, seuls des hommes jouaient sur le terrain. Ils ont continué au-delà de 14 h 30, sans qu’aucune joueuse ne soit présente.
Dans le même temps, d’autres hommes accompagnés de chiens sont sortis du pavillon sportif voisin et ont commencé à patrouiller le long du terrain. Leur identité reste inconnue, tout comme leur éventuel lien avec les joueurs présents ou avec France Cricket.
"Chasse ! Chasse !", a crié l’un d’eux, alors que les chiens semblaient suivre une piste dans les buissons.
Au 30 juin, les matches féminins initialement prévus à Grigny le 8 août avaient été déplacés vers un autre terrain, sans explication. Ces rencontres ont ensuite été validées comme ayant été disputées par France Cricket.
L’ICC face à une décision
Les règles de l’ICC stipulent que les membres associés doivent disposer d’un "statut, d’une structure et d’une reconnaissance appropriés". Cette exigence peut être satisfaite par une lettre de soutien du gouvernement national, même si l’ICC conserve un "pouvoir discrétionnaire absolu".
L’ICC, qui n’a pas répondu aux demandes de commentaire, n’a jamais suspendu un membre pour défaut de reconnaissance étatique, bien qu’elle ait déjà exclu certains pays, notamment les États-Unis, par le passé.
Dans une déclaration datant de 2023, France Cricket affirmait ne s’être "jamais rendue coupable du moindre 'acte frauduleux'". L'organisation, qui n’a pas répondu aux sollicitations de France 24, ne semble pas compter mettre fin à ses activités.
Selon des comptes rendus du conseil d’administration, la candidature de France Cricket pour accueillir l’Assemblée générale de l’ICC en 2026 à Paris est "actuellement en cours d’examen par l’ICC". Les documents montrent également que France Cricket poursuit ses démarches pour obtenir l’agrément : après un premier refus le 10 mars, une seconde demande a été déposée le 11 août. Et en janvier, l’organisation prévoit d’inaugurer un nouveau siège sur un site appartenant à l’État à Mennecy, au sud de Paris.
Plus tôt ce mois-ci, France Cricket a accueilli la deuxième réunion de l’Association européenne de cricket (ECA), un organisme indépendant non officiellement lié à l’ICC, qui a annoncé la création d’un Euro T20 Club Champions Trophy en 2026. Le vice-président de France Cricket, Gurumurthy Palani, a également été élu vice-président de l’ECA.
Ce tournoi inaugural pourrait offrir à France Cricket une voie vers la compétition internationale en dehors des structures de l’ICC. Mais sans le soutien du ministère, l’organisation n’aurait aucune autorité légale pour désigner un champion national officiel.
Des équipes nationales en sursis
Malgré l’incertitude entourant son statut national, la France figure toujours dans les compétitions internationales à venir de l’ICC : en mai, le tournoi de qualification sous-régional Europe A pour la Coupe du monde T20 masculine, et en juillet, les qualifications Europe division 2 de la Coupe du monde masculine des moins de 19 ans.
Une nouvelle équipe nationale féminine issue du territoire français du Pacifique, la Nouvelle-Calédonie, a disputé des compétitions locales en mars, mais n’a pas participé aux dernières qualifications pour la Coupe du monde féminine T20.
L’ancienne équipe nationale féminine, qui avait terminé en tête de sa division lors des qualifications pour la Coupe du monde il y a deux ans, a été dissoute après avoir demandé une enquête sur les accusations visant France Cricket.
Tant que le gouvernement français n’aura pas tranché, à compter du 1er janvier, toute entité alignant des équipes sous le nom de "France", attribuant des titres nationaux ou se présentant comme la "Fédération française de cricket" – comme l’affiche France Cricket sur son compte Instagram – s’expose à des sanctions au titre du code du sport.
Cet article a été adapté de l'anglais par Anaëlle Jonah. Retrouvez ici la version originale.
