Après avoir réuni un million de manifestants dans les rues de Caracas, l’opposition vénézuélienne a montré sa vigueur. Le président Nicolás Maduro, dont certains chavistes exigent le départ, semble cependant prêt à tout pour se maintenir au pouvoir.
Au Venezuela, l’opposition au président Nicolás Maduro est dans une situation paradoxale. Elle contrôle les deux tiers de l’Assemblée nationale et vient de réussir à faire descendre dans les rues de la capitale, Caracas, plus d’un million de Vénézuéliens. Pourtant, elle semble dans l’incapacité de faire tomber l’exécutif. Pour se faire, il lui faudrait organiser un référendum révocatoire dont la mise en place, déjà complexe, est rendue presque impossible par l’obstruction du gouvernement. En attendant, ce dernier se défend avec toutes les armes à sa disposition pour expulser des journalistes étrangers, arrêter des opposants et menacer des parlementaires. Explications de Paula Vásquez, chargée de recherche vénézuélienne au Centre national de recherche scientifique (CNRS).
France 24 : Comment la popularité d’Hugo Chavez a-t-elle laissé place au rejet massif dont souffre, aujourd’hui, son dauphin et actuel président du Venezuela, Nicolás Maduro ?
Paula Vásquez : L’érosion de l’électorat chaviste n’est pas nouvelle, elle a commencé il y a trois ou quatre ans. Elle a seulement brutalement accéléré avec la mort de Chavez, qui a enclenché une crise très profonde.
Aujourd’hui, l’État vénézuélien est en faillite, pour plusieurs raisons. C’est un État importateur, dont la principale ressource est énergétique, mais qui a détruit son tissu entrepreneurial à coups de nationalisation et de politique défavorable aux entreprises. L’État, qui était donc devenu le seul importateur, a ensuite perdu d'importants moyens financiers à cause de la chute combinée du prix du baril de pétrole et de sa production. De plus, la manne de l'or noir a été très largement détournée, ce qui a achevé de conduire le Venezuela à la faillite. On n’en parle pas assez, mais la corruption est un grave problème dans ce pays, le plus cité de toute l’Amérique latine dans les Panama papers (la publication de dizaines de milliers de documents confidentiels ayant principalement trait à des fraudes fiscales, en avril 2016, NDLR).
Cela a conduit à une situation inouïe. Le gouvernement ne peut plus importer de nourriture suffisante et les gens meurent littéralement de faim. Depuis trois ans, quand je me rends au Venezuela pour mes enquêtes de terrain, c’est très difficile de se nourrir. Le lait, la viande, le poisson sont quasiment introuvables. Avec sa politique d’expropriation, le pouvoir chaviste a détruit toute la production domestique. Et l’inflation du bolivar, la monnaie locale, est si importante (près de 700 % pour l'instant pour 2016) que le gouvernement ne peut importer qu’avec des dollars. Mais il faut pouvoir s’en procurer.
La manifestation du 1er septembre a été une réussite, pour l’opposition. Comment s’inscrit-elle dans la bataille contre Nicolás Maduro ?
Cette manifestation a largement dépassé les attentes de l’opposition. La mobilisation a été renforcée par plusieurs initiatives comme celle des 600 indigènes qui ont rejoint Caracas depuis l’Amazonie en marchant un millier de kilomètres. Un groupe de personnes handicapées s’est rendu à la manifestation en fauteuil, depuis Barquisimeto (à près de 300 km de Caracas). Ils ont dû passer 22 barrages de police ou de la garde nationale, placés là pour les arrêter. Les images ont provoqué une grande indignation, qui s’est exprimée de façon sereine, sans violence.
La situation est intenable, elle a donné lieu à une profonde colère. Et les gens ont compris qu’il était impossible de changer de politique publique sans changer de gouvernement. La question est arithmétique : il y aurait besoin de 15 milliards de dollars pour tenir jusqu’à la fin de l’année. Le FMI n’accepterait pas de prêter cet argent et même s’il le faisait, les réformes structurelles exigées en retour seraient très dures et contraires à la ligne chaviste. Le consensus concernant la nécessité d’écarter Maduro s’étend jusqu’aux chavistes. Selon eux, il est le bouc-émissaire parfait, il n’a pas su être à la hauteur du grand homme (Hugo Chavez).
Le Venezuela vient d’expulser plusieurs journalistes étrangers, dont l’envoyée spéciale du Monde. Nicolás Maduro lui-même a menacé les parlementaires de leur retirer leur impunité. Jusqu’où ira la fébrilité du gouvernement, selon vous ?
Le gouvernement contrôle les pouvoirs exécutif et judiciaire, donc les tribunaux et la police. Ce qui conduit à une situation paradoxale : même si l’opposition s’est emparée de l’Assemblée nationale (le 7 décembre 2015, NDLR), elle n’a pas la possibilité de faire appliquer ses lois. On glisse clairement vers une dictature car il n’existe aucune séparation des pouvoirs.
L’opposition fait l’objet d’une chasse aux sorcières. Daniel Ceballos, l’ancien maire de San Cristobal et figure de l’opposition, a par exemple été jeté en prison alors qu’il effectuait déjà une peine d’assignation à résidence. Ils l’ont piégé en lui faisant passer une fausse visite médicale avant de l’incarcérer en l’accusant de fomenter un coup d’État. Ce qui est complètement farfelu et difficile à croire, étant donné qu’il était assigné à résidence. Leopoldo López, le leader du parti d’opposition Voluntad popular (la Volonté populaire), a aussi été incarcéré (il a été condamné en septembre 2015 à 15 ans de prison pour son rôle supposé dans les manifestations de 2014 qui avaient officiellement fait 43 morts, NDLR). Je ne sais pas jusqu’où ils iront, mais les arrestations dans les rangs de l’opposition à la veille de la manifestation de jeudi ont été impressionnantes.
Êtes-vous inquiète à l’idée de retourner dans votre pays ?
Je n’ai pas pu y aller cette année car il était illusoire de vouloir réaliser une enquête de terrain alors que les sondés devaient faire la queue pendant des heures pour de la nourriture. Mais on (les intellectuels vénézuéliens) a tous un peu peur de rentrer, oui, on ne sait pas quand on sera désignés comme dangereux par le régime.