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Polémique sur la détention de Salah Abdeslam : "Tous les détenus ont des droits"

Un député Les Républicains a lancé une controverse en s'indignant des conditions de détention de Salah Abdeslam qui a accès à une cellule réservée au sport. Or le principal suspect des attentats de Paris ne bénéficie pas d'un traitement de faveur.

"Vous vous étonnez qu’une cellule ait été transformée en salle de sport. Il est loisible de baptiser ainsi un espace de 8m2 où le lit a été remplacé par un rameur et de présenter cela comme un avantage". C’est en ces termes que le ministre français de la justice, Jean-Jacques Urvoas, a tenté de mettre un terme, a-t-on appris mercredi 6 juillet, à la polémique concernant les conditions de détention à Fleury-Mérogis de Salah Abdeslam, principal suspect des attentats du 13 novembre à Paris et Saint-Denis.

Dans une lettre datée du 5 juillet, le garde des Sceaux a répondu directement au député Les Républicains Thierry Solère, qui l’avait interpellé le 1er juillet sur l’utilisation par le détenu d’une salle de sport en prison. "J’ai été très étonné de constater qu’une cellule avait été transformée en salle de sport, et encore plus étonné d’apprendre que son usage était exclusivement réservé à cet individu", avait-il écrit au ministre après une visite à la maison d’arrêt et dans le quartier d’isolement où se trouve Salah Abdeslam.

Une salle de sport particulière pour Salah Abdelslam en prison. Ma lettre a @JJUrvoas pic.twitter.com/OjyK4UAljr

— Thierry SOLERE (@solere92) 3 juillet 2016

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Dans la foulée, d’autres personnalités politiques de droite avaient aussi fait part de leur indignation. "Franchement, qui a eu cette idée de lui donner une salle de sport privée ?", a ainsi réagi l’ancien Premier ministre François Fillon. "La prison de Fleury-Mérogis semble donc avoir été transformée en club de vacances pour celui qui a déclaré la guerre à la France", s’est aussi offusqué Nicolas Dupont-Aignan, le président de Debout la République.

"On a l'obligation de veiller à son intégrité physique"

Mais le détenu désormais le plus connu de France ne bénéficie pas d’une prison version Club Med ni d’un traitement de faveur. Comme l’a rappelé Jean-Jacques Urvoas, Salah Abdeslam a été mis en examen pour six chefs d’inculpation dans l’enquête sur les attentats du 13 novembre et a été placé pour cette raison en isolement. Quatre cellules ont ainsi été aménagées pour sa venue : une habituelle, une de secours, une avec un poste de surveillance vidéo et enfin une aménagée comme salle de sport avec un rameur. "Le cumul des exigences propres à l'isolement ainsi qu'à la vidéosurveillance, mais aussi une vigilance particulière sur l'organisation de l'établissement pénitentiaire, empêche que Salah Abdeslam puisse fréquenter la salle de sport du quartier d'isolement", justifie le ministre de la justice tout en s’appuyant sur la circulaire du 14 avril 2011 relative au régime d’isolement.

Merci à @JJUrvoas pour sa réponse 1/3 pic.twitter.com/Z99EOungDc

— Thierry SOLERE (@solere92) 5 juillet 2016

Ce texte fixe effectivement des droits à respecter pour les détenus dans ce cas de figure. "Le quartier d’isolement doit impérativement permettre l’organisation d’activités sportives, seul ou en petit groupe. Des équipements adaptés doivent être prévus à cet effet". Or comme Salah Abdeslam ne doit pas fréquenter d’autres personnes incarcérées, une cellule a donc été transformée en salle de sport. "On lui a donné cette salle de sport par souci de sécurité", explique à France 24 Philippe Kuhn, délégué régional du Syndicat pénitentiaire des surveillants (SPS). "Pour sa sécurité personnelle, mais aussi pour éviter que d’autres détenus dissimulent des objets dans la cellule qu’il fréquente". Pour ce responsable syndical, il n’y a donc rien de choquant dans cette décision. "Il est vrai que c’est un détenu pas vraiment comme les autres car son affaire est très médiatique, mais dans les faits, tous les détenus ont des droits et nous devons les respecter. On a l’obligation de veiller à son intégrité physique pour qu’ils puissent comparaître le jour de son procès".

En respectant scrupuleusement la loi, la France se prémunit aussi de toute action devant la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH). En 2006, Ilich Ramirez Sanchez, plus connu sous le nom de Carlos, n’avait ainsi pas hésité à se tourner vers la CEDH pour contester ses conditions de détention à l’isolement entre 1994 et 2002 à Fresnes. Mais sa requête avait été rejetée sous le motif que le terroriste vénézuélien n’avait pas subi de "traitements inhumains ou dégradants" et que la France était dans son droit en prenant des mesures extraordinaires de sécurité contre celui qui était; dans les années 70, considéré comme le terroriste le plus dangereux dans le monde".

Salah Abdeslam n’est donc pas le premier détenu à être contraint à de telles mesures. Comme l’a raconté au JDD le secrétaire général du syndicat pénitentiaire des surveillants, Jérôme Massip, la figure du grand banditisme Antonio Ferrara avait aussi été incarcéré à l’isolement dans les mêmes conditions de 2003 à 2009 jusqu’à son transfèrement à la maison centrale de Lille-Sequedin : "Pour le surveiller, une vingtaine de surveillants avaient été mobilisés au sein d'une équipe baptisée Icare à la prison de Fleury-Mérogis et tout un étage avait été fermé".

"Un peu comme s’il était au zoo de Vincennes"

"Ferrara n’était pas filmé 24 heures sur 24 comme Salah Abdeslam", modère cependant Philippe Kuhn. Cette mesure suscite aussi la polémique, mais cette fois-ci dans le camp de la défense du terroriste présumé. Après les révélations de Thierry Solère, l’avocat de Salah Abdeslam, Franck Berton, a décidé de porter plainte contre le député pour "atteinte à la vie privée". "Qu’un député de la République profite de son mandat et vienne nous indiquer, par voie de presse, qu’il a regardé ce garçon derrière les caméras pour regarder comment il se comportait, un peu comme s’il était au zoo de Vincennes, n’a pas manqué de nous indigner", a déclaré le défenseur sur BFM TV.

Dans un courrier adressé au ministre de la justice, Franck Berton en a aussi profité pour remettre en cause plus directement cette vidéosurveillance évoquant le quotidien de son client "détenu dans une cellule de 11 m² qui se sent déjà 'épié' 24h/24h". Ce traitement exceptionnel a été validé le 20 mai dernier par la Commission nationale informatique et liberté (CNIL). Mais des associations de défense des prisonniers se sont émues de ce dispositif. "Le risque suicidaire, déjà très fort en détention (sept fois plus élevé qu’en liberté), augmente encore lorsque le régime de détention est particulièrement sévère...", avait ainsi critiqué auprès de France 24 en mai dernier Camille Rosa de l’Observatoire international des prisons (OIP). "En imposant de telles conditions de détention, humainement difficilement supportables, on fragilise psychologiquement le détenu et on contribue au renforcement du risque d'un passage à l'acte".

La principale hantise de l'administration pénitentiaire est un suicide de Salah Abdeslam, à l'image de Yassin Salhi, l'homme qui avait décapité son patron dans une mise en scène islamiste et s'est pendu fin 2015 dans sa cellule, à Fleury-Mérogis.