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Pourquoi la consommation de drogues augmente-t-elle en France ?
La consommation de plusieurs stupéfiants a nettement augmenté en France. Celle de cocaïne et de MDMA a presque doublé entre 2017 et 2023. En cause, une offre accrue, mais aussi une société en quête de "psycho stimulation". Décryptage.
Selon l'OFDT, en 2023, près d'un adulte sur dix (9,4 %) avait consommé au moins une fois de la cocaïne au cours de sa vie. Getty Images - Jamesmcq24

La France est-elle devenue trop “high” ? En 2023, près d'un adulte sur dix (9,4 %) avait consommé au moins une fois de la cocaïne au cours de sa vie, contre 5,6 % en 2017, selon l'Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT). Sur la même période, l'expérimentation de la MDMA, plus connue sous le nom d’ecstasy, est passée de 5 % à 8,2 %. En 2023, 14,6 % des adultes avaient déjà essayé une drogue illicite (hors cannabis), contre 9,6 % en 2017, résume la même source

Qui consomme ? Emmanuel Macron, qui a fait de la chasse au narcobanditisme un combat de son second quinquennat, estimait récemment que  "ce sont parfois les bourgeois des centres-villes qui financent les narcotrafiquants".

"Une erreur scientifique", tranche Marie Jauffret-Roustide, chercheuse Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) au Centre d'étude des mouvements sociaux : "On voit aujourd'hui que la cocaïne est globalement consommée par toutes les classes sociales."

“Uber-drogue”

Cette hausse de la consommation s'explique par une offre accrue et moins coûteuse, mais aussi "ubérisée", poursuit la sociologue : "Les consommateurs ne sont pas obligés de se rendre sur des points de deal pour acheter des produits. Les dealers viennent à eux."

Résultat : "L’usage s’est diffusé à tous, des personnes insérées socialement et professionnellement à des personnes en situation de précarité", confirme Hélène Donnadieu, chercheuse Inserm et cheffe de service addictologie à l'hôpital de Montpellier.

"Parmi les groupes qui subissent le plus fortement des inégalités sociales, il y a plus de consommation à risque", nuance toutefois Marie Jauffret-Roustide. "Dans les populations en situation de défaveur sociale, le tabac, par exemple, peut plus souvent être utilisé comme un anxiolytique", note la sociologue.

Hausse des inégalités, plus de drogue ?

Selon un rapport publié par l'Insee le 7 juillet 2025, le taux de pauvreté en France a atteint 15,4 %, son plus haut niveau depuis le début du décompte en 1996, creusant l'écart entre les 20 % les plus riches et les 20 % les plus pauvres.

Or "dans les périodes d'incertitude économique et d'accroissement des inégalités sociales, on a une augmentation des consommations de substances, quelles qu'elles soient", observe Marie Jauffret-Roustide.

Avec des effets beaucoup plus éphémères que d'autres stupéfiants, impliquant donc des prises régulières, la cocaïne demeure relativement onéreuse. Exposée au cinéma - dans des classiques tels que "Loup de Wall Street" ou "Scarface"la poudre blanche fut longtemps qualifiée de "drogue de riche".

"Cela a contribué à produire une image de moindre dangerosité", note Marie Jauffret-Roustide : "Dans l'esprit des consommateurs, les cocaïnomanes ne se retrouvent pas dans la rue, c'est-à-dire qu'ils sont perçus comme des personnes qui continuent à performer", qui peuvent contrôler la substance — contrairement aux usagers de crack ou d'héroïne, "en lien avec la précarité sociale".

Les aficionados les plus modestes rechercheraient-ils dans sa consommation un sentiment d'ascension sociale ?  "La cocaïne a en tout cas bénéficié d'une image beaucoup plus positive que l'héroïne", car "les représentations des substances sont très liées aux profils qui sont associés à ces substances", répond la chercheuse. "Dans l'esprit des consommateurs, il y avait l'idée que la cocaïne pouvait être associée à une possibilité de contrôle de la substance. Beaucoup plus que l'héroïne ou le crack."

La cocaïne, drogue d’une société “performative”

Pourtant, "on a une augmentation très importante ces dix dernières années des admissions aux urgences en lien avec la consommation de cocaïne" rappelle Marie Jauffret-Roustide.

Mais si l’ecstasy fut popularisée par le monde festif de la "techno", la cocaïne s’invite plus volontiers dans le quotidien, y compris professionnel.

Aussi, dans l'attrait pour "la C", Xavier Briffault, sociologue et chercheur au CNRS, lit la signature de sociétés “performatives”, aux exigences cognitives et de gestion du stress importantes : "Les gens utilisent des stimulants pour augmenter leur fonctionnement psychique, dans des perspectives de productivité, voire de créativité."

Performance aussi dans la sexualité, abonde Marie Jauffret-Roustide. Le "chemsex", la sexualité dopée aux drogues, a "nettement gagné en visibilité", note l'Observatoire français des drogues et des tendances addictives. La même source relevait en octobre 2024 que 13 à 14 % des hommes ayant eu des rapports sexuels avec d'autres hommes l'auraient expérimenté au cours de l'année précédente.

"On est véritablement, en Europe, sur une aire de la psychostimulation", commente Hélène Donnadieu. La cocaïne et autres substances répondent à "une notion d'humain modifiable, d'humain augmenté".

"L'augmentation du nombre de personnes qui consomment crée naturellement et malheureusement, chez les personnes vulnérables, une augmentation de personnes malades", poursuit la chercheuse. "On observe effectivement une augmentation de demande de l'accès aux soins pour des troubles de l'usage vis-à-vis des psychostimulants."

Toutefois, "toutes les personnes qui consomment n'ont pas un usage problématique", et "quelqu'un qui n'a pas un usage problématique n'a pas besoin de venir me voir, il n'est pas malade”, tranche la médecin.

“Tapage médiatique”

La lutte contre le narcotrafic suscite une mobilisation politique accrue depuis l'assassinat d'un jeune militant anti-drogue à Marseille. Le gouvernement a souligné l'importance d'intensifier la lutte, Emmanuel Macron comparant la menace à celle du terrorisme.

"Tout ce tapage médiatique, qui confond le narcotrafic et les utilisateurs est extrêmement problématique car cela renforce l'image stigmatisante des utilisateurs", et bloque l'accès aux soins, déplore Hélène Donnadieu.

En 2023, 90 % des personnes interpellées pour des infractions liées aux stupéfiants étaient des consommateurs, et non des trafiquants. Pourtant, pour Hélène Donnadieu, les maîtres mots des pouvoirs publics devraient être l'accompagnement et la prévention. Car celle-ci peut fonctionner, conclut-elle : en France, "on observe ainsi une nette diminution de la consommation d'alcool, de tabac et de cannabis chez les jeunes".