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Regroupement des détenus islamistes : une réponse "insatisfaisante" à la radicalisation

Dix-huit mois après la mise en place des regroupements des détenus islamistes pour éviter le prosélytisme dans les prisons, la contrôleure générale des prison estime dans un rapport que le programme gouvernemental ne fonctionne pas.

Le regroupement de prisonniers islamistes dans des unités dédiées (UD) n’est pas une réponse "satisfaisante" au problème de la radicalisation dans les prisons françaises, a tranché la contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL), Adeline Hazan. Après avoir passé au crible les premiers mois de cette expérimentation initiée par le gouvernement dans la foulée des attentats de janvier 2015 à Paris, elle livre des conclusions sans concessions.

Dans un rapport de 57 pages publié le 7 juin, Adeline Hazan dénonce une organisation "disparate" et balbutiante, des mesures mises en place "dans l'urgence" et des réponses "insatisfaisantes" à "un phénomène sans précédent". "La modicité des structures (...) ne paraît pas correspondre (...) au changement d'échelle" du phénomène au regard de la "hausse spectaculaire" du nombre des personnes impliqués dans des filières jihadistes syro-irakiennnes", déplore-t-elle.

Fin avril 2016, on estimait qu'"un millier de personnes venues de France ont été enrôlées" dans ces filières et que "244 sont revenues sur le territoire national". Et, alors que 117 places au total sont prévues dans ces UD, les prisons françaises abritent quelque 1 400 radicaux, dont 300 qui ont "un lien avec le terrorisme".

Des détenus à part

Trois contrôleurs se sont rendus, entre février et mai, dans les quatre établissements concernés – Fresnes (Val-de-Marne), Lille-Annœullin (Nord), Osny (Val-d'Oise) et Fleury-Mérogis (Essonne) – où ils ont rencontré 61 des 64 détenus présents, ainsi que les équipes pénitentiaires impliquées. Et ils ont constaté non seulement que les critères de sélection des prisonniers étaient "peu clairs", mais que la mise en œuvre du programme diffère d’une prison à l’autre, quand elle n’est pas "improvisée".

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Regroupement des détenus islamistes : une réponse "insatisfaisante" à la radicalisation


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Tout d’abord, les contrôleurs dénoncent le "caractère illusoire" de l’étanchéité des séparations, qui est "loin d’être complète". "Dans le meilleur des cas, le résultat pouvant être attendu est celui de la limitation des contacts avec d’autres personnes détenues", estiment-ils. Quant à la pertinence du regroupement, elle est contestable et contestée.

Par les détenus en premier lieu, dont la collaboration est pourtant indispensable au bon fonctionnement du programme. Ils voient ce regroupement comme une mesure discriminante qui fait d’eux "des détenus à part", des "pestiférés", "gardés seulement entre musulmans", estiment les prisionniers interrogés et cités dans le rapport. "Soi disant, c’est pour éviter le prosélytisme. Mais on est isolés comme si on était des virus", déclare un détenu condamné pour la préparation d’un attentat. "Avant, il y avait du lien social. Ici, c’est la rupture", regrette un autre.

"On est isolés comme si on était des virus"

Les magistrats antiterroristes redoutent de leurs côtés "des effets pervers du regroupement qui permettrait de nouer des solidarités, de reconstituer des réseaux, et laisserait toute latitude aux plus forts pour faire pression sur les plus vulnérables". De fait, certains détenus se félicitent de ce regroupement qui leur permet, selon l’un d’eux, "d’être entre nous". "En vérité, ici tout est fait pour qu’on se radicalise davantage, et pour qu’on les [les surveillants, NDLR] déteste", estime un prévenu incarcéré pour sa participation à un réseau. Un aumônier musulman a pointé quant à lui le risque "d’héroïsation" des personnes regroupées, par les autres détenus radicalisés, mais placées en détention ordinaire et avec qui la communication n’est pas complètement coupée.

Les avocats, enfin, craignent que le placement en UD constitue une forme de "pré-jugement" avant le passage de leur client devant un tribunal correctionnel ou une cour d'assises, rapporte Adeline Hazan. L'affectation est en effet liée au degré supposé d'ancrage de la personne dans un processus de radicalisation. "Je crains l’étiquette de terroriste et le regard du juge", témoigne également un prisonnier transféré en UD.

"Il ne s’agit pas de mettre ces personnes dans une machine à laver"

Au-delà de la séparation des prisonniers islamistes, c’est le programme de déradicalisation et de réinsertion qui semble pêcher. Le regroupement n'est pas "une fin en soi. On a défini un contenant mais pour quel contenu ?", s'interroge un directeur d'établissement. "Regrouper les profils sous mandat de dépôt terroriste pour éviter le prosélytisme, mais les laisser dans l’oisiveté et la mise à l’écart ne pouvait qu’être contreproductif", tranche-t-il.

"Il ne s’agit pas de mettre ces personnes dans une machine à laver, et de penser qu’elles vont en ressortir plus propres !", renchérit un autre, admettant bien volontiers les difficultés des équipes pénitentiaires à travailler avec ce public "mal connu", voire des "personnes fracassées" et méfiantes à l’égard du programme comme du personnel.

Un modèle français à dessiner ?

Certains jugent néanmoins la démarche d’évaluation du programme menée par Adeline Hazan prématurée. Conscients de "défricher un monde complexe", des responsables d'établissement ont insisté sur le temps nécessaire à la mise au point de "ce qui pourrait être un modèle français". "Le pire, disent-ils, c'est que nous soyons jugés trop tôt." Mais pour Adeline Hazan, la messe est dite. Dans ses conclusions, la contrôleure ne juge "pas réaliste (...) l'extension de ce modèle expérimental" dans le contexte "d'une surpopulation carcérale structurelle".

Le ministre de la Justice Jean-Jacques Urvoas a désormais un mois pour faire part de ses observations. Mi-juin, il avait confié devant l'Assemblée nationale ne pas être en mesure de dire si le regroupement des islamistes en prison constituait à ses yeux une "bonne solution".