
Sébastien Lecornu et Emmanuel Macron après le défilé militaire annuel à Paris, le 14 juillet 2025. © Mohammed Badra, Reuters
En 2024, Michel Barnier a mis sur pied ce qu’il a appelé le "socle commun" entre le bloc central – les partis Renaissance, MoDem, Horizons – et Les Républicains (LR), parti qui se situait officiellement depuis 2017 dans l’opposition à Emmanuel Macron. Un attelage fragile mais qui avait l’avantage pour Emmanuel Macron de constituer une majorité relative de 211 députés à l’Assemblée nationale, soit davantage que les 192 élus du Nouveau Front populaire (NFP) et les 141 députés de l’alliance entre le Rassemblement national (RN) et l’Union des droites pour la République (UDR).
Outre la poursuite de la politique économique du chef de l’État, le "socle commun" devait permettre la "stabilité". Mais après la censure infligée à Michel Barnier en décembre 2024 et la non-confiance subie par François Bayrou en septembre 2025, ce "socle commun" a implosé, dimanche 5 octobre, avec la constitution du premier gouvernement de Sébastien Lecornu, qui a préféré démissionner dès le lendemain, jugeant que "les conditions n’étaient plus remplies" pour exercer ses fonctions de Premier ministre.
Lors des quatre jours suivants, le patron de LR Bruno Retailleau a affirmé qu’il ne participerait qu’à un "gouvernement de cohabitation". Le fondateur du parti Horizons Édouard Philippe, Premier ministre d’Emmanuel Macron de 2017 à 2020, a appelé le président de la République à démissionner. Élisabeth Borne, également Première ministre d’Emmanuel Macron de 2022 à 2024, a proposé de suspendre la réforme des retraites. Et le patron du parti Renaissance Gabriel Attal, lui aussi Premier ministre d’Emmanuel Macron durant huit mois en 2024, a demandé au chef de l’État, à l'instar de plusieurs autres macronistes comme Agnès Pannier-Runacher, de ne pas nommer un Premier ministre "identifié comme très proche du président de la République", ce dernier devant selon lui "partager le pouvoir et ne pas donner le sentiment de s’acharner à vouloir garder la main sur tout".
"Le socle commun est mort", vive "la plateforme de stabilité"
Mais lors de la réunion qu’il a organisée vendredi après-midi à l’Élysée avec l’ensemble des forces politiques, à l’exception du Rassemblement national et de La France insoumise, Emmanuel Macron n’a pas souhaité donner suite à ces appels. Et alors que seuls Gabriel Attal et Marc Fesneau, le président du groupe MoDem à l’Assemblée nationale, levaient la main lorsqu’il demandait qui faisait encore partie de la majorité, d’après le récit de Marine Tondelier, et que Bruno Retailleau déclarait "le socle commun est mort", le chef de l’État a estimé qu’il existait toujours une "plateforme de stabilité" de 210 députés. Il était donc légitime selon lui de renommer Sébastien Lecornu, qui s’est lui-même décrit mercredi soir au 20 h de France 2 comme un "moine soldat" du président.
Charge à ce dernier désormais d’éviter la censure que lui promettent déjà le Rassemblement national, La France insoumise, Les Écologistes et le Parti communiste, soit un total de 264 voix sur les 289 nécessaires. Il lui faudra pour cela convaincre le Parti socialiste (PS) de ne pas s’aligner avec le reste de la gauche, tout en évitant de s’aliéner le centre et la droite. Dans cette optique, Emmanuel Macron lui "donne carte blanche" pour "les négociations", a fait savoir un proche du chef de l’État.
Les questions de la réforme des retraites, de la taxation des ultra-riches et du pouvoir d’achat des Français sont présentées par les socialistes comme les sujets clés des discussions à venir. "Tous les dossiers évoqués" pendant les ultimes négociations menées mardi 7 et mercredi 8 octobre, "seront ouverts au débat parlementaire : les députés et sénateurs pourront assumer leur responsabilité, et les débats devront aller jusqu'au bout", a écrit sur X Sébastien Lecornu, semblant confirmer qu'il maintenait son renoncement au 49.3.
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Accepter Gérer mes choixL’enjeu décisif des retraites
Une source proche des discussions a affirmé qu'Emmanuel Macron avait échangé par téléphone avec Olivier Faure avant la reconduction de Sébastien Lecornu et que le Parti socialiste ne censurerait pas a priori avant la déclaration de politique générale. L’information d’un accord de non-censure a même été relayée vendredi soir, avant qu’un démenti catégorique du PS n’intervienne, affirmant n’avoir "aucune assurance ni garantie" sur ses demandes.
Pour autant, le sujet des retraites a bien été évoqué vendredi par Emmanuel Macron lors de sa réunion de 2 h 30 avec les forces politiques à l’Élysée. Le président a préféré parler d’un décalage du "report de l'âge légal du 1er janvier 2027 au 1er janvier 2028", une piste qu'il n'a "pas endossée" mais citée "à titre d'exemple dans le débat", a rapporté son entourage. Insuffisant pour le PS qui a finalement fait savoir dans la nuit de vendredi à samedi qu'il censurerait le gouvernement Lecornu II en l'absence de "suspension immédiate et complète" de la réforme des retraites.
De quoi compliquer la tâche du Premier ministre quand on sait que les partis Les Républicains et Horizons sont farouchement opposés à une telle suspension, tout comme un certain nombre d’élus Renaissance. Or, il suffirait que la moitié des députés LR se joignent à la censure promise par les oppositions pour faire tomber Sébastien Lecornu. C’est donc un sacré numéro d’équilibriste qui attend le Premier ministre.
Pendant ce temps, Marine Le Pen pourra se délecter du spectacle. Lorsque les forces politiques étaient reçues par Emmanuel Macron vendredi après-midi, elle profitait d'un bain de foule et prenait des selfies avec les Français au congrès national des sapeurs-pompiers organisé au Mans. "Nous, c'est avec les Français que nous avons rendez-vous", a-t-elle lancé, semblant déjà faire campagne bien loin de la "réunion de marchands de tapis" organisée à l’Élysée, selon ses mots.