
Le Premier ministre français sortant Sébastien Lecornu, qui a démissionné un jour seulement après avoir nommé son gouvernement, arrive pour prononcer sa déclaration à l'Hôtel Matignon à Paris, le lundi 6 octobre 2025. AP - Stephane Mahe
Au risque d'ulcérer les oppositions et d'accélérer la censure de la nouvelle équipe, le président Emmanuel Macron a fait le choix, vendredi 10 octobre, de reconduire Sébastien Lecornu comme Premier ministre, cinq jours après sa démission fracassante.
Après deux jours de négociations supplémentaires pour tenter d'arracher, en l'absence de toute majorité, un accord de non-censure du futur gouvernement, le chef de l'Etat a décidé de faire de nouveau confiance à ce "moine-soldat" comme il se définit.
En faisant du neuf avec du vieux, cette décision ne correspond pas à une vraie volonté de rupture. Issu de la droite et longtemps resté en retrait de la scène médiatique, Sébastien Lecornu, avait accédé le 9 septembre à la fonction de Premier ministre à seulement 39 ans. Le nom du ministre des Armées - ancien membre des Républicains qui a rejoint Emmanuel Macron dès son élection en 2017 - avait déjà circulé au moment de la nomination de François Bayrou.
Ce choix avait été décrit par de nombreux observateurs comme la "dernière carte" d'Emmanuel Macron pour sortir de la crise politique. Mais cet espoir a été vite douché. Le 6 octobre au matin, quelques heures après l'annonce de son gouvernement et alors que devait se tenir l'après-midi même le premier conseil des ministres, Sébastien Lecornu a remis sa démission au président. Accusé par la gauche de rester sourd à leurs demandes de justice sociale et fragilisé par la fronde des LR, il n'a tenu que 27 jours.
Reconduction des ministres ou ministres techniques ?
Quelques heures après avoir accepté sa démission, Emmanuel Macron lui a finalement confié la mission de mener "d'ultimes négociations" pendant deux jours pour sortir la France de la crise politique. Avant d'achever sa "mission", Sébastien Lecornu a estimé que le projet de budget 2026, détonateur de la crise actuelle avec la censure de François Bayrou le 8 septembre, pourrait être présenté lundi en conseil des ministres, soit la date-butoir pour qu'il soit adopté d'ici la fin de l'année par le Parlement.
Ce qui sous-entend la nomination d'un gouvernement dès la fin de semaine ou à défaut ce week-end. Reconduction des principaux ministres en place ? Ministres techniques, dont peut-être le premier d'entre eux ? Le Premier ministre démissionnaire a formulé une suggestion très remarquée, que la future équipe gouvernementale soit "complètement déconnectée des ambitions présidentielles pour 2027", des ambitions qu'il n'a lui-même jamais manifestées.
“S’il y a [un Premier ministre], nous resterons dans les temps”, a pour sa part affirmé Pierre Moscovici, le premier président de la Cour des comptes, dans Le Parisien ce matin, affirmant donc qu'un gouvernement complet n'était pas nécessaire pour présenter un budget.
Pièce maîtresse de la macronie
Fidèle soutien du chef de l’État depuis 2017, Sébastien Lecornu s’est progressivement imposé comme une pièce maîtresse de la macronie. Présent dans tous les gouvernements depuis la première élection d'Emmanuel Macron, Sébastien Lecornu avait déjà manqué de peu Matignon fin 2024.
Malgré l'absence de majorité à l'Assemblée et l'instabilité politique qui en découle depuis 2022, Sébastien Lecornu s'est maintenu au poste stratégique de ministre des Armées depuis trois ans, où il a connu pas moins de quatre Premiers ministres : Élisabeth Borne, Gabriel Attal, Michel Barnier, et François Bayrou. Logiquement peu loquace à son poste de gardien de la "grande muette", Sébastien Lecornu est aussi un homme politique réservé, qui a su étendre son influence en coulisses.
"C'est un fidèle de Macron qui ne lui fera pas d'ombre. Son bilan à la défense est plutôt bon", avait relevé auprès de l'AFP un diplomate sous couvert de l'anonymat. Leur proximité remonte en partie au mouvement des Gilets jaunes, après lequel Sébastien Lecornu avait co-animé les "grands débats". "Lecornu, c'est le bon soldat qui par ailleurs n'a pas trop de charisme", avait ajouté un conseiller ministériel.
"Animal politique"
Proche de Gérald Darmanin et d'Édouard Philippe, issus comme lui de la droite, il s'est illustré politiquement par ses négociations pied à pied avec les parlementaires de tous bords pour faire adopter, à la quasi unanimité, la loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030, en hausse de 40 % par rapport à la précédente.
"Il est apprécié sur tous les bancs de l'Assemblée", selon un ancien membre de la commission Défense de l'Assemblée qui décrit "un animal politique" : il maîtrise ses dossiers, répond sans regarder ses notes et distribue alternativement à ses adversaires flagorneries et tacles appuyés.
Mais "ce n’est pas difficile" de faire passer un budget en hausse, modère un responsable du bloc central, qui le voit davantage "manœuvrier" et pointe la montée du RN dans son département de l'Eure. Épinglé dans la presse pour un dîner avec Marine Le Pen, il est vu comme "l'homme de la négociation avec le RN dans la psyché socialiste", selon une ministre.
Records de précocité
Originaire de Normandie, petit-fils de résistant, il a un temps pensé faire l'école militaire de Saint-Cyr mais s'est lancé très jeune en politique. Sa carrière a débuté à droite, à l'UMP puis chez les Républicains (LR), battant plusieurs records de précocité.
Assistant parlementaire à 19 ans, il devient en 2008 le plus jeune conseiller dans un cabinet ministériel - celui de Bruno Le Maire aux Affaires européennes - puis en 2015, le plus jeune président d'un département, l'Eure, après avoir été maire de sa ville, Vernon. Propulsé au gouvernement à 31 ans, il passe par plusieurs ministères : l'Écologie, les Collectivités, l'Outre-mer, puis les Armées.
Réserviste de la gendarmerie dans l'Eure, cet amateur d'histoire élu sénateur en 2020 répétait vouloir rester aux Armées, citant régulièrement l'action de son lointain prédécesseur Pierre Messmer, inamovible titulaire du portefeuille sous le général de Gaulle.
S'il reste discret dans les médias, il a pris la lumière avec la guerre en Ukraine, s'efforçant de mettre en musique le "réarmement" du pays ordonné par le chef de l'État ou les garanties de sécurité que les Européens seraient susceptibles d'apporter à Kiev. Il a été aussi en première ligne dans l'intensification de la coopération européenne en matière d'industrie de défense, notamment avec l'Allemagne.
Face à ce qu’il voit comme le "plus gros dérèglement géopolitique depuis la Seconde guerre mondiale", il a bénéficié pour son ministère d'un budget en ascension constante, à l'inverse de la plupart de ses collègues.
Après l'attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023, c'est lui qu'Emmanuel Macron a envoyé en tournée régionale pour négocier la libération d'otages français retenus dans la bande de Gaza et incarner la position française.
Avec AFP