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Russell Vought, la "grande faucheuse" de Trump contre la bureaucratie américaine
Directeur du Bureau de la gestion du budget, Russell Vought caresse un rêve : réduire à son minimum l’Etat fédéral américain pour offrir les pleins pouvoirs à Donald Trump. Alors que les États-Unis sont plongés dans le shutdown, il veut saisir l'occasion pour licencier des milliers de fonctionnaires et de saper les agences fédérales. Au risque d'ouvrir une bataille devant les tribunaux.
Russel Vought s'exprime lors d'une conférence de presse à la Maison Blanche, le 11 mars 2019, à Washington. © Evan Vucci, AP

S'il est un homme que le shutdown aux États-Unis ravit, c'est bien Russell Vought, le directeur du Bureau de la gestion du budget à la Maison-Blanche. Pendant que le pays tourne au ralenti, avec des milliers de fonctionnaires au chômage technique et des services publics fortement perturbés, lui, se frotte ouvertement les mains. Car, selon cet homme de 49 ans à la longue barbe blanche et aux larges lunettes, cela offre l'occasion parfaite d'avancer vers la réalisation de son rêve : démanteler la bureaucratie américaine pour concentrer tous les pouvoirs aux mains de la même personne, Donald Trump.

Mettre à mal le "Deep state"

"Russell Vought est un idéologue dont l'objectif est de détruire le 'Deep State' pour renforcer le pouvoir exécutif aux États-Unis", explique Jérôme Viala-Gaudefroy, maître de conférences à Sciences Po Saint-Germain-en-Laye et spécialiste des États-Unis. Cette notion, très utilisée par les sites complotistes d'extrême droite américains et régulièrement reprise par Donald Trump, théorise l'idée selon laquelle il y aurait deux gouvernements dans le pays, l'un visible et l'autre invisible. Le premier serait le président et le pouvoir exécutif. Le second serait un mécanisme caché d'agences et d'individus - la bureaucratie.

Autrement dit, dans le monde idéal de Russell Vought, le président disposerait d’encore davantage de pouvoirs :  réduire les dépenses, licencier des employés fédéraux, contrôler des agences indépendantes ou encore déréglementer l'économie.

Or, "en tant que directeur du Bureau de la gestion du budget, le travail de Russell Vought consiste justement à chapeauter les administrations. Il élabore des budgets, supervise des réglementations, évalue les performances de certaines agences…", détaille le spécialiste des États-Unis. Et en plein shutdown, c'est à lui que revient la tâche de déterminer comment utiliser les rares fonds maintenus pour faire fonctionner les services publics. 

De fait, il ne se fait pas prier pour asséner des coups à la bureaucratie américaine. Depuis le premier jour de paralysie budgétaire, le 1er octobre, il a gelé à tour de bras des milliards de subventions fédérales dans les terres démocrates. Et il envisage d'aller plus loin en procédant à "des licenciements massifs" d'employés fédéraux. 

Et si les menaces de Russell Vought ne suffisaient pas, Donald Trump en a remis une couche, jeudi 2 octobre, en partageant sur son réseau Truth Social une vidéo faite par IA où on voit son directeur du budget en large robe noire à capuche, en "grande faucheuse", avançant dans un couloir où sont accrochés des portraits de figures démocrates. En fond, la musique "(Don't Fear) The Reaper" du groupe Blue Öyster Cult.  En parallèle, il pointait du doigt quelles agences ils aimeraient voir fermer à l'occasion du shutdown. 

En réalité, "tout cela reste sûrement de l'ordre de la menace" Conditionel vraiment nécessaire ?, nuance Jérôme Viala-Gaudefroy. "Russell Vought n'a pas le pouvoir à lui seul de licencier des milliers de fonctionnaires ou de faire fermer des départements entiers dans des agences fédérales. Ces décisions doivent normalement passer par le Congrès.

Le projet d'une vie

Pour Russell Vought, détruire le "Deep State" est le projet d'une vie. Ce "chrétien nationaliste" comme il aime se définir, est né dans le Connecticut dans une famille très religieuse, d'un père électricien et d'une mère institutrice. Et selon lui, ses parents ont été ruinés toute leur vie à cause des impôts.

"Mes parents ont travaillé de longues heures pour me permettre de faire mes études", avait-il déclaré lors de sa première audition de confirmation au Sénat, en janvier. "Mais ils ont aussi travaillé de longues heures pour financer le gouvernement, et je me suis souvent demandé ce qu'ils auraient pu construire et donner sans un tel fardeau."

Aussitôt diplômé d'une université évangélique dans l'Illinois, il s'installe ainsi à Washington et travaille avec plusieurs figures des républicains, notamment Phil Gramm, un fervent partisan de l'austérité. En parallèle, il devient l'un des principaux architectes du "Project 2025" de l'Heritage Foundation qui deviendra, même s'il s'en est depuis distancié, la principale feuille de route du second mandat de Donald Trump. Et ce plan prévoit ouvertement de remplacer des dizaines de milliers de fonctionnaires fédéraux et affirme que le président doit avant un pouvoir absolu sur le pouvoir exécutif.

En 2020, il a pour la première fois la possibilité de porter son ambition jusqu'au bureau ovale de la Maison Blanche. Alors que Donald Trump entame les derniers mois de son mandat, il est appelé pour diriger le Bureau de la gestion du projet. L'expérience lui laisse un gout d'inachevé.

C'est fort de cette expérience qu'il passe ensuite le mandat de Joe Biden, dans une petite maison à quelques pas du Capitole, à planifier minutieusement un plan d'action avec d'autres fidèles de Donald Trump. En 2022, il publie ainsi un "budget" de 104 pages visant à "éliminer le fléau de la bureaucratie éveillée et militarisée visant le peuple américain".

Une efficacité redoutable

Dès son retour à la Maison Blanche, Russell Vought est donc prêt à passer à l'offensive et à mettre son plan à exécution. Mais il se trouve confronté à un nouvel obstacle : Elon Musk et son Département de l'efficacité gouvernementale (Doge). Les deux hommes, à la tête de deux entités distinctes, ont la même mission – saper les agences fédérales, et Russell Vought se trouve d'abord relégué dans l'ombre du fondateur de Space X. 

De quoi agacer l'idéologue. "Elon Musk détruisait les services publics sans y être préparé et sans méthode alors que Russell Vought travaillait en se basant sur son programme mûrement réfléchi et minutieux", rappelle Jérôme Viala-Gaudefroy. "On va laisser le Doge casser les choses, et on recollera les morceaux plus tard", aurait tancé le directeur du Budget, frustré d'être ainsi marginalisé, relate The New York Times. 

Russell Vought a finalement retrouvé la lumière après la rupture entre Donald Trump et Elon Musk. Depuis, il multiplie coupes budgétaires et licenciements au point de se faire surnommer "le bouledogue de Maga" par l'ancien conseiller de Trump, Steve Bannon. 

En arrivant au pouvoir, le président "doit agir de la manière la plus rapide et la plus agressive possible (...) pour démanteler cette bureaucratie", insistait-il en novembre 2024. L'État américain s'est transformé en "oligarchie" administrative trop indépendante du politique, un "État profond" composé de fonctionnaires "woke" qui refusent de suivre les choix du président élu, fustigeait-il.

Depuis le 20 janvier, il revendique donc une longue liste de "progrès". Sur les réseaux sociaux, il se vante d’avoir déjà retardé ou suspendu 8 milliards de subventions destinées à la transition énergétique, affectant des projets dans au moins 16 Etats, tous démocrates. Il a aussi bloqué 18 milliards de financements pour deux projets d’infrastructures de transport à New York et Chicago.

En parallèle, il a mené une campagne visant à supprimer des centaines de réglementations dans les domaines de l'environnement, de la santé, des transports ou encore de l'alimentation. Au total, dénombrait-il en août, ses efforts ont abouti à 245 initiatives de déréglementation en un an". 

Aller devant les tribunaux

"Reste à savoir jusqu'où est désormais prêt à aller Russell Vought", lance Jérôme Viala-Gaudefroy. "S'il mettait ses dernières menaces à exécution et qu'il allait jusqu'à licencier des fonctionnaires, outrepassant le pouvoir du Congrès, il franchirait une nouvelle étape qui pourrait le conduire jusque devant les tribunaux."

Mais avec une Cour suprême et un Congrès majoritairement acquis à la cause du président américain, "c'est peut être son objectif. Une bataille légale lui permettrait d'entériner les changements qu'il opère déjà", poursuit le spécialiste des États-Unis. "Russell Vought pourrait par exemple s'en prendre légalement à l'Impoundment Control Act, qui donne au Congrès un contrôle sur le budget. Sans cela, le président pourrait bloquer toutes les dépenses et les politiques qui lui déplaisent.

Mettre fin au financement fédéral de l'audiovisuel public, enterrer l'aide étrangère et revenir sur des dizaines et des dizaines de régulations... "C'est excitant d'être embarqué là-dedans", a lancé récemment Russell Vought. Mais "nous voulons nous assurer que la bureaucratie ne puisse pas se reconstituer plus tard dans les administrations futures."

"À la fin, c'est peut-être Donald Trump qui l'arrêtera. S'il remarque que saper les services publics a des conséquences trop négatives sur son image", termine Jérôme Viala-Gaudefroy. Mais, pour le moment, le président américain laisse faire. Après tout, il s'agit d'avoir plus de pouvoir.