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France-Islande : les aventures d’un jeune coq face aux Vikings

Alors que les Bleus s’apprêtent à affronter l’Islande en quart de finale de l’Euro, notre journaliste-supporter a concentré clichés et mauvaise foi pour aller à la rencontre du public "viking" considéré comme l’un des plus sympas du monde.

Ce qu’il y a de bien pratique avec le football, c’est qu’on peut s’en donner à cœur joie avec les clichés sans obligatoirement passer pour un indécrottable xénophobe. Je ne suis pas un geek du football (je regarde la Ligue 1 d'un œil distrait) mais j'adore les compétitions internationales comme l'Euro-2016. Et j'en connais les poncifs : sur le terrain, les Allemands sont rigoureux, les Italiens truqueurs et les Hongrois rugueux. Les supporters sont soumis au même régime. Les Anglais sont bagarreurs et alcoolisés, les Russes encore plus (bagarreurs, en tous cas) et les Irlandais qu’est-ce qu’ils sont sympas, dis donc (t’as pas vu la dernière vidéo ? Celle où ils chantent dans une maison de retraite ?).

Mais alors quid des Islandais ? Alors que nous nous apprêtons à les affronter en quarts de finale, dimanche, au Stade de France, force est de reconnaître que je ne sais que peu de choses d'eux. Il y a un mois, j'aurais dit volontiers que leur équipe était modeste (nous les avons déjà rencontré 11 fois et 11 fois nous l’avons emporté). Mais depuis le début de la compétition, les choses ont changé. Après des matchs de poule plus que respectables, l’Islande s’est offert le luxe de battre les Anglais en huitième sur le score de 2 à 1.

Ça fout un peu les jetons mais c’est mignon

La performance a provoqué un déluge de blagues foireuses sur le Brexit (les Anglais qui sortent de l’Europe deux fois en une semaine, ptdr) et un torrent de réactions enthousiastes de la part de la presse française. Les Petits Poucets de la compétition (autre cliché éculé des chroniques sportives) pratiquent un football vaillant, combattif et défensivement efficace. Encore mieux, ils ne sont pas prétentieux comme Ronaldo et Ibra. Encore plus fort, ils ne font pas de bras d’honneur aux journalistes ni de chantage à la sextape. Leurs supporters sont formidables. Dans les tribunes, ils communient avec les joueurs en lançant des "Hou" les bras en l’air. Ça fout un peu les jetons mais c’est mignon. Bref, nous les aimons tellement qu’on n’a pas trouvé mieux que de les surnommer les Vikings (de toute façon, tous les Européens vivant au nord du continent sont pour nous des Vikings). J’ai quand même voulu vérifier si les supporters islandais étaient tous de grands gaillards barbus sachant faire du bateau.

Sur les conseils de l’Association France-Islande, je prends contact avec Lea Gestsdóttir-Gayet, une Franco-Islandaise qui, me dit-on, "connaît sur le bout des doigts le foot français, anglais et, bien sûr, islandais". Rendez-vous est pris avec elle place de la Madeleine. "Devant la Maison de la truffe", me précise-t-elle (je ne sais pas comment je dois le prendre). Comment va-t-on se reconnaître ? : "C’est facile, je porterai le maillot de l’Islande." Effectivement, Lea porte le désormais célèbre maillot bleu foncé. "Je le mets tous les jours depuis le début de l’Euro, me raconte-t-elle. Mais je le lave tous les soirs." Pas très Viking, tout ça.

Lea fut de tous les matchs ou presque. Elle était à Marseille pour la rencontre contre la Hongrie (1-1), à Saint-Etienne pour celle contre le Portugal (1-1) et, bien sûr, à Saint-Denis pour la victoire face à l’Autriche (2-1). Et la consécration face à l’Angleterre sur la pelouse de Nice ? "Je n’y suis pas allée car je commençais à fatiguer." Plutôt bon signe, me dis-je… Par mail crypté, j’envoie direct l’info à Didier Deschamps : "Au bout d’un moment, les Islandais commencent à fatiguer".

Être instituteur et pompiste, entraîneur et dentiste

Le quart de finale contre la France, sa deuxième patrie, elle ne le ratera bien évidemment pas. Elle a acheté son billet pour le Stade de France quelques minutes après la qualification des "Strakárnir okkar" ("Nos garçons", en islandais). Comme des milliers de ses compatriotes. Il se dit que 30 000 Islandais se sont rendus jusqu’en France depuis le début de l’Euro. Soit 10 % environ de la population totale de l’île. J’ai pris ma calculette : si les Russes s’étaient déplacés dans les mêmes proportions, ils auraient été 14,5 millions sur notre territoire. Ça aurait fait beaucoup de bagarres.

Bon, c’est pas tout ça, mais nous sommes le vendredi 1er juillet, et Lea doit aller retirer sa place. Les guichets de l’UEFA sont situés dans l’ouest de Paris, à deux pas du Parc des Princes qu’elle fréquente à l’occasion pour les matchs du Paris-Saint-Germain. Je l’accompagne. En chemin, elle me raconte rapidement son histoire. Père islandais, mère française. Treize années passées en Islande, 15 en France, où elle travaille désormais pour la compagnie Icelandair. "J’ai un diplôme islandais de prof de philo, mais il n’est pas valable ici. Mais ce n’est pas grave, les Islandais ne se définissent pas vraiment par leur métier. Là-bas, tu peux même avoir plusieurs jobs. Être instituteur pendant l’année scolaire et pompiste durant les vacances."

On veut bien la croire. Quelques-uns des joueurs de la sélection islandaise ne sont même pas footballeurs à plein temps. Le gardien Hannes Halldórsson, par exemple, est également connu pour être cinéaste. C’est lui qui a réalisé en 2012 le clip de la chanson islandaise concourant à l’Eurovision. Quant à Heimir Hallgrímsson, l’entraîneur adjoint de l’équipe, il est dentiste à mi-temps. Imaginez : Dimitri Payet garagiste intérimaire dans la banlieue de Londres. Ou Didier Deschamps expert-comptable le week-end chez Bricolex.

Ce genre d’histoires, je les "like" sur Facebook. C’est tellement authentique, sans chichi. Génial ! le football renoue enfin avec ses valeurs originelles : collectif, abnégation, engagement. C’est chou mais, désolé, ça ne suffira pas pour nous battre. On est la France, on a inventé la Coupe du monde et les Jeux olympiques (si, si). La compétition, on connaît. Les Islandais, eux, c’est la première fois qu’ils atteignent ce niveau. "Les Français sont curieux et ouverts mais ne peuvent pas s’empêcher d’être condescendants envers les petits pays, remarque Lea. En gros, vous avez les mêmes connaissances géographiques que les Américains. Pour vous, tous les pays qui finissent en 'lande' se ressemblent. Franchement, si l’Islande perd dimanche, j’accepterais la défaite, mais si les Français commencent à nous chambrer en chantant 'Mais y sont où les Islandais ?', je vais me mettre en colère."

Il paraît que ce qui nous fait rire, ce sont leurs noms finissant irrémédiablement en "-sson", source intarissable de franche rigolade entre Twittos (genre "But de Yaletéléphonequissonn sur un centre d’Harleydavidssonn !"). Explication de Lea : "En Islande, les noms de famille n’existent pas, une personne s’appelle 'Untel, fils d’Untel'. En clair, tout le monde se tutoie. Dans les stades, on acclame les joueurs par leur prénom. Nous ne sommes pas un peuple snob." C’est vrai que Björk, c’est la simplicité incarnée.

L'Islande, ce village

Lea me dit : "Nous sommes peu nombreux, mais nous nous croisons partout. À Montreuil où j’habite [c’est à l’est de Paris], il m’arrive de croiser des Islandais que je connais." Au début, cet esprit "Islande-petit-village-où-tout-le-monde-se-connaît", moi j’y crois moyennement. Du folklore. Sauf que, lorsque nous arrivons aux guichets de l’UEFA, voilà qu’on tombe sur Petur. Petur vient de Dalvik, le village où a grandi Lea (1 359 habitants, selon Wikipédia). Le truc de dingue, c’est que Petur était l’entraîneur de Lea à l’école de foot. Le monde est petit quand même.

Mais pas le temps de parler du bon vieux temps. Petur n’a pas dormi de la nuit. Il a dû faire cinq heures de route pour rejoindre l’aéroport de Reykjavik, où l’attendait le vol de 7 h 40 pour Paris. Maintenant qu’il a récupéré sa place pour le match, il lui tarde de rejoindre son hôtel. Le taxi est là qui l’attend. Lea, elle, repart travailler. Je reste bavarder avec d’autres supporters affublés de l’incontournable maillot bleu foncé.

Big Pete et Einar, deux mètres à la toise, assisteront dimanche à leur cinquième match en tribune. Tous deux disent être "gardes du corps". Je ne bronche pas. Le premier vient de Reykjavik, le second de Selfoss, petite commune située à 50 km de la capitale. "Un endroit de merde", résume Big Pete. Sympa. Depuis leur arrivée en France le 9 juin, les deux colosses ont parcouru l’Hexagone du Nord au Sud. Paris, Marseille, Saint-Étienne, retour à Paris, Nice, (re)retour à Paris. Sur le pays hôte, ils ne tarissent pas d’éloges. Je me décrispe. "L'organisation du tournoi est impeccable. Il y a un bon esprit ici. Même avec les Anglais, ça s’est bien passé. Nous sommes en bons termes avec tout le monde." Seule ombre à cet idyllique tableau : "Le p*** de prix des p*** de billets de train : 200 euros pour faire Nice-Paris".

Mais peu importe les sommes déboursées, "ça les vaut largement". "On a travaillé dur pour assister à l’Euro et on travaillera encore plus dur pour éponger nos dépenses", se justifie Big Pete. Un peu plus tôt, Lea m’expliquait le rapport que les Islandais entretiennent avec l’argent : "Après la Seconde Guerre mondiale, l’Islande fut le pays qui bénéficia le plus des aides du plan Marshall. En trois générations, les Islandais sont devenus riches. Ils se comportent donc comme des gamins qui ont reçu beaucoup d’argent de poche. Et puis, ils ont cette insouciance que résume très bien une expression intraduisible en français mais qui dit, grosso modo : ‘Ça se passera comme ça doit se passer'."

Alors qu’est-ce qui doit se passer dimanche soir au Stade de France ? "Nous allons gagner contre la France, grâce à un but de Laurent Koscielny contre son camp", assure Big Pete. La défaite est impensable. "Nous sommes des Vikings et vous êtes des coqs. On vous coupe en deux avec nos épées." Ah ouais quand même. Au moins, nous, on est juste condescendants.

"La pêche, c’est un patrimoine dont nous sommes fiers"

Plus tard, je me rends dans un pub de Pigalle où, selon mes sources, les supporters islandais se retrouvent pour regarder les matchs (ceux des autres équipes). L’établissement ressemble à n’importe quel débit de boissons d’une capitale occidentale. Salle immense, écrans de télévision en veux-tu en voilà, 2,7 kilomètres de tireuses à bière. On est loin de l’image d’Épinal "pichets de vin et nappes à carreaux". Heureusement, le Moulin Rouge est juste à côté. Paris canaille, quoi.

Ce vendredi soir, le QG parisien des Islandais diffuse le quart de finale entre le Pays de Galles et la Belgique. Georg est attablé avec des amis aux maillots bleu foncé. "Pour moi, la France, c’est l’art, le vin et la gastronomie", me dit-il devant sa pinte et son hamburger-frites. Ce n’est pas parce qu’on est à Paris qu’on doit dîner chez Fauchon et s’extasier devant "L’Origine du monde" de Courbet. Georg n’est pas venu pour faire du tourisme. Il a déjà eu l’occasion de le faire lors de ces précédents voyages en France. Tous les Islandais que j’ai rencontrés ont, comme lui, effectué plusieurs séjours en Hexagone.

On ne peut pas en dire autant des Français. Moi, en tous cas, je n’ai jamais mis les pieds en Islande. L’île est certes une destination en vogue mais reste pour beaucoup une contrée lointaine avec des volcans aux noms bizarres (la prise de tête quand il fallait prononcer Eyjafjallajökull en 2010). D’où les idées reçues. "Vous êtes tous des pêcheurs et des paysans, sauf Björk qui est chanteuse, n’est-ce pas ?", osè-je demander à Georg. "Oui, c’est vrai. Mon frère est capitaine d’un bateau. Comme l’était mon père. La pêche, c’est un patrimoine dont nous sommes fiers", me prend-il de court. Lui ne traque pas le hareng, il est informaticien. Il y a donc des ordinateurs en Islande.

Georg fait partie de ces Islandais tout juste débarqués de l’île pour assister au duel contre la France. Coût du vol Reykjavik-Paris : 1 000 euros. D’autres ont préféré limiter les frais en passant par Bâle, en Suisse, ou Düsseldorf, en Allemagne, avant de rejoindre Paris en bus. C’est donc depuis l’Islande qu’il a assisté à l’incroyable parcours de l’équipe nationale. "L’atmosphère est incroyable là-bas. Les médias ne parlent que de cela. Les magasins ferment pendant les matchs. Même si on perd dimanche, nos joueurs seront accueillis en héros", rapporte-t-il. Football fiction : si l’Islande gagnait l’Euro, le 11 juillet prochain ? "On fera la fête pendant un mois et cette date deviendra sûrement un jour férié."

De mémoire d’Islandais, le pays n’avait connu pareille effervescence que lors des Jeux olympiques de 2008 à Pékin lorsque l’équipe de handball avait fini seconde. Ah oui, et qui avait terminé premier ? "La France, rit-il. Merci pour la question piège ! Bien joué !" Les Islandais sont beaux joueurs. Ils nous le prouveront encore dimanche.