La très large victoire des partisans du Brexit déboussole l’Europe mais elle mettra fin aux ambiguïtés anglaises et oblige les Européens à se réinventer.
Au risque de contrarier les catastrophistes qui donnent de la voix, le résultat du référendum sur le Brexit peut-être une chance pour l’Europe. Une chance pour qu'elle donne enfin l’image d’une union politique et sociale dont les membres relèvent ensemble, avec des règles communes, les défis du XXe siècle. C’est aussi, n’en déplaise à ceux qui ont pris le deuil, une victoire de la clarté, ce qui n’est jamais une mauvaise chose pour la démocratie.
Cela fait longtemps que le Royaume-Uni avait un pied – voire un pied et demi – en dehors de l’Union, et les concessions arrachées par Cameron pour soi-disant maintenir son pays dans l’UE étaient absolument exorbitantes. Cet épisode indigne, ce énième renoncement des Européens, avait donné l’impression que l’Europe n’était plus qu’un club de vieux conservateurs sans idées ni colonne vertébrale.
L’ampleur de la victoire du "Leave" est aussi une bénédiction. Elle vaut beaucoup mieux qu’une courte victoire du "Remain" qui n’aurait pas dissipé les ambiguïtés. On a d’ailleurs plutôt envie d’écrire : "Feu le Royaume Uni". Car c’est probablement la première leçon qu’il faut tirer de ce référendum ubuesque. Pour retrouver son "indépendance", le Royaume-Uni s’est suicidé.
Car, mis à part Londres qui est une ville monde, c’est l’Angleterre (et le Pays de Galles) qui a voté pour le Brexit. Il ne fait guère de doute que d’ici deux ans, le delai minimum pour négocier la sortie effective des Anglais, l’Écosse se prononcera une nouvelle fois sur son avenir et choisira cette fois de se séparer de la couronne pour rester dans l’UE et même d’entrer dans la zone euro.
En Irlande du Nord, le Brexit risque de remettre en cause la paix fragile entre les communautés. En votant "Remain", ce petit coin du royaume niché sur l’île irlandaise a donné la victoire aux Républicains. Ceux qui espèrent se réunir avec l’Irlande ont en effet remporté le référendum dans le référendum contre les unionistes qui prônaient massivement le "Leave". La sortie de l’UE réveillera probablement les forces centrifuges, peut-être synonymes de nouvelles violences.
Sur le plan international, la position de l’Angleterre sera certainement affaiblie, y compris sa relation si particulière avec les États-Unis, surtout si les démocrates conservent la Maison Blanche en novembre. Pour Washington, l’alliance privilégiée avec le Royaume-Uni avait surtout l’avantage de leur offrir une sorte de tête de pont en Europe. Une petite Angleterre repliée sur elle-même a beaucoup moins d’intérêt pour les Américains.
Saisir une chance de réinventer l'Europe
Les Anglais sont un peuple de grand génie. C’est à eux de prouver qu’il se porteront mieux en dehors de l’Europe. Ils ont survécu à bien pire dans leur longue histoire et il serait risqué de pronostiquer leur déclin. Pour l’Europe, ce vote de clarté peut donc être une chance.
Il ne faut pas trop s’affoler du comportement des marchés qui vont plonger car ils n’avaient pas anticipé ce résultat. Ils s’en remettront aussi. Les plus malins attendent déjà le meilleur moment pour acheter. Les marchés sont par définition court-termistes et l’Europe a besoin, plus que jamais, d’un projet de long terme.
Car, bien au-delà du Royaume-Uni, elle n’inspire plus ni confiance ni envie. Elle ne rassure plus. C’est l’Europe passoire, l’Europe bureaucratique, l’Europe de la faible croissance et du chômage, des inégalités fiscales, des normes aberrantes qui a été sanctionnée et si on leur en donnait la possibilité, d’autres peuples se prononceraient comme les Anglais en cédant aux sirènes populistes et nationalistes qui se font de plus en plus bruyantes.
En moins de 20 ans, les peuples européens ont viré de l’euro-enthousiasme à l’euroscepticisme parce que leurs gouvernements ont préféré l’élargissement à tout prix à la consolidation du projet européen. Ceux-ci n’ont cessé de repousser les choix vers plus d’intégration et de fédéralisme qui représentent le seul avenir de l’Europe si elle veut être autre chose qu’un grand marché commun.
Aller dans cette direction sera plus facile sans les Anglais. C’est ce qui a poussé un grand européen comme Michel Rocard à souhaiter la victoire du Brexit. Mais comme il le dit lui même, il n’est pas certain que les Européens sachent quoi faire de cette chance. Pour cela, il faudrait que nous ayons aux commandes des pays européens du "cœur " de l’Europe des hommes d’État dotés d’une réelle vision.