
La publication du "dossier Epstein" a longtemps été l'une des promesses du camp de Donald Trump. La décision de ne pas le faire a créé une fracture inédite avec la base du mouvement pro-Trump. © Studio graphique France Médias Monde
Méga-complot et Maga embrouille. "Il n'y a pas de liste secrète de clients de Jeffrey Epstein" : cette affirmation de l'administration Trump, faite le 7 juillet, a provoqué une vive réaction d'une partie de la base électorale du président américain.
Face à la colère d’une partie de ses soutiens, le président américain Donald Trump, habitué aux sorties aussi succinctes que controversées sur les réseaux sociaux, s'est fendu d’un message de plus de 400 mots pour appeler à l’unité de son mouvement, samedi 12 juillet. C’est dire si le sujet lui tient à cœur.
"Qu’arrive-t-il à mes 'gars' et, parfois, à mes 'filles' ? Je n’aime pas ce qui se passe. On fait tous partie de la même équipe, celle de Maga [Make America Great Again, NDLR]. [...] Il y a un an, le pays était mort ; maintenant, c’est le plus ‘sexy’ du monde. Ne gaspillons pas plus d’énergie pour Jeffrey Epstein, quelqu’un dont tout le monde se fiche", a-t-il assuré sur Truth Social, son alternative à X.
Les avis négatifs pleuvent
Son camp ne semble pas partager cet avis avec le même enthousiasme que d’habitude. C’est la première fois qu’un de ses messages a reçu plus d’avis négatifs que positifs sur son propre réseau social. La révolte gronde ?
Une frange de ses partisans refuse d’accepter ce que Pam Bondi, la ministre de la Justice, et le FBI ont affirmé de concert lundi 7 juillet : qu’il n’y avait pas de dossier caché dans les tiroirs de l’administration contenant une supposée liste de clients de Jeffrey Epstein, et que ce dernier s’était probablement réellement suicidé.
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Accepter Gérer mes choixL’administration Trump a ainsi donné l’impression de vouloir balayer sous le tapis une théorie du complot que le président lui-même avait promu à partir du suicide de Jeffrey Epstein en 2018, rappelle le site d’opinons politiques Popular Information.
Donald Trump cherche sans succès depuis une semaine à éteindre ce début d’incendie, répétant encore et toujours qu’il faut tourner la page. Peine perdue : le cas Jeffrey Epstein était encore sur toutes les langues lors du rassemblement de Turning Point USA, l’une des principales organisations pro-Trump, le week-end dernier. Ce sommet réunissant le gratin des ultraconservateurs américains a donné l’impression d’une "famille profondément divisée", a constaté le site républicain – mais anti-Trump – The Bulwark.
"Le mécontentement à l’égard de l’attitude des autorités provient essentiellement de la frange la plus dure du courant pro-Trump. Mais ce sont des voix influentes et qui savent se faire entendre", souligne Liam Kennedy, directeur de l'Institut Clinton pour les études américaines à l'University College Dublin. Il est ainsi rare de voir Tucker Carlson, ex-star de Fox News et trumpiste convaincu, porter la charge comme il l'a fait contre son hérault politique.
Surtout, "Donald Trump a nommé des personnalités qui ont fait carrière en propageant des théories du complot à des postes influents au sein de son administration", note Peter Knight, spécialiste du conspirationnisme dans la culture américaine à l’université de Manchester. Le directeur du FBI, Kash Patel, et son adjoint, Dan Bongino, ont tous les deux, par le passé, appelé à de multiples reprises à la publication de la supposée "liste de clients" de Jeffrey Epstein censée contenir surtout des noms de puissants politiciens "libéraux". Dan Bongino a d’ailleurs exprimé son mécontentement après la décision de Pam Bondi de fermer le chapitre "dossier secret" de Jeffrey Epstein.
Le complot pour les unir tous
Comment expliquer la ténacité d’une partie de la base électorale de Donald Trump dans cette affaire ? Les trumpistes n'ont généralement aucun mal à croire toutes les réalités alternatives promues par leur champion ou à pardonner ses revirements, souligne le New York Times.
Mais cette fois-ci, il y a un petit quelque chose de plus. "Le dossier Epstein est devenu le vaisseau mère de toute la construction conspirationniste d’une partie de l’électorat de Donald Trump", affirme Liam Kennedy. Il est devenu le moteur le plus puissant de QAnon, cette théorie du complot née en 2017 et aux multiples ramifications, qui voit en Donald Trump le seul espoir de mettre un terme à une prétendue "cabale" de puissants libéraux pédocriminels se nourrissant du sang d’enfants.
La supposée liste des clients de Jeffrey Epstein "lie les principales croyances [de cette base trumpiste] ensemble : la détestation des libéraux, l’obsession de la maltraitance infligée aux enfants et le fait qu’il y a des individus puissants qui agissent impunément", résume Liam Kennedy.
Le problème avec QAnon est que "plus personne n’en parle vraiment. Cette bulle semble s’être dégonflée après l’assaut contre le Capitole du 6 janvier 2021. Le dossier Epstein demeure une croyance centrale qui persiste, et si on leur enlève ça, que leur reste-t-il à défendre ?", explique Marc Tuters, spécialiste du complotisme et du populisme à l’université d’Amsterdam.
La fameuse liste représente aussi l’aspect le moins farfelu de leurs thèses. "L’idée qu’il existerait une cabale secrète de libéraux qui boivent du sang d’enfants peut aisément être rejetée, mais avec Jeffrey Epstein, ces complotistes avaient un exemple réel d’une personne ayant pu commettre ces méfaits pendant des années et liée à des individus puissants", détaille Peter Knight.
Un complot pour transformer Trump en quelqu'un de bien
Le besoin de s’accrocher à tout prix à cette théorie du complot touche également une corde encore plus sensible pour une partie de l’électorat de Donald Trump. La lutte pour dévoiler les noms des "puissants" inscrit sur cette liste donnait à l’action de ces pro-Trump une dimension presque religieuse de combat du bien contre le mal pour protéger les enfants innocents. "La grande réussite de Donald Trump est d’avoir transformé quelque chose d’ennuyeux – la politique – en une entreprise plus stimulante et divertissante. Une partie des Américains ne s’intéresse pas à la politique mais ils sont très religieux et le cas Epstein leur procurait un combat à mener", résume Marc Tuters. Ils combattent le Mal – et pas simplement des politiciens démocrates –, et pour garder cette motivation vivace, "il faut à tout prix maintenir cette illusion", ajoute ce spécialiste.
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Réessayer
Autre illusion que le cas Epstein permet de créer : Donald Trump est l’instrument du Bien. En effet, les théories du complot "présentent toujours une version du monde où il y a d’un côté le mal absolu et de l’autre la pureté, sans entre-deux. Avec la croyance que Donald Trump allait publier la liste de clients, il devenait le Sauveur", explique Peter Knight.
Mais si le président américain s’y refuse, il n’est plus cette incarnation du Bien qu’il convient de soutenir à tout prix. C’est dangereux pour le président car ses troupes complotistes et influentes peuvent refuser de "passer à autre chose" et être tentées de considérer qu’in fine, Donald Trump "fait partie du complot", estiment les experts interrogés par France 24. Ce serait alors l’histoire du comploteur arrosé.
Pour l'instant, le risque reste limité car, "dans l’univers de Donald Trump, il y a toujours une nouvelle théorie du complot à laquelle faire adhérer les foules ou un bouc-émissaire à sacrifier pour tourner la page", affirme Peter Knight.
Mais cette querelle de famille a "dévoilé une vulnérabilité au sein du camp Trump", assure Liam Kennedy. Pour cet expert, si le président à su se montrer maître dans l’art d'associer la réalité à ses théories du complot, l’affaire Epstein prouve que ces conspirations peuvent échapper à son contrôle.