logo

"Exécutés" en Éthiopie : MSF livre ses conclusions sur la mort de trois humanitaires au Tigré
Un rapport publié mardi par Médecins sans Frontières revient sur un épisode marquant du conflit en Éthiopie en 2021: l’assassinat de trois employés de l'ONG dans la région septentrionale du Tigré. À l’aide de témoignages, d’images satellites et d’archives, l’enquête de MSF contredit la version d’Addis-Abeba.
Le logo de Médecins sans frontières (MSF) lors de l'exposition de "MSF We did what we could" dans le cadre de l'édition 2024 du Prix Bayeux Calvados-Normandie des correspondants de guerre, à Bayeux, dans le nord-ouest de la France, le 10 octobre 2024. © Lou Benoist, AFP

Les faits remontent à juin 2021. Trois employés de Médecins sans Frontières (MSF) – une Espagnole et deux Éthiopiens – avaient été tués dans la région en guerre du Tigré, dans le nord de l'Éthiopie. L'organisation humanitaire avait alors dénoncé "un assassinat brutal", tandis que la communauté internationale réclamait une enquête.

Quatre ans plus tard, MSF l'affirme : il s'agit d'un "assassinat intentionnel et ciblé", une "exécution" au cours de laquelle les humanitaires "se sont fait tirer dessus à bout portant, à plusieurs reprises".

Tous trois employés de MSF Espagne, María Hernández Matas, Yohannes Halefom Reda et Tedros Gebremariam ont été "exécutés", tués par balles "alors qu’ils faisaient face à leurs agresseurs", selon un rapport publié mardi 15 juillet. Les travailleurs humanitaires et leur véhicule, qui a été incendié, étaient clairement identifiés, rappelle MSF.

Des conclusions que l'ONG dit publier faute d'avoir pu obtenir du gouvernement éthiopien un "compte rendu crédible" des décès, malgré vingt réunions en face à face au cours des quatre dernières années.

"En l'absence de tout compte rendu officiel, nous avons l'obligation morale envers notre personnel et les familles de nos collègues décédés de rendre publiques nos propres conclusions, une étape nécessaire pour faire la lumière sur des meurtres brutaux qui ne doivent pas être ignorés ou oubliés", a affirmé Paula Gil, présidente de MSF Espagne.

Pour afficher ce contenu YouTube, il est nécessaire d'autoriser les cookies de mesure d'audience et de publicité.

Accepter Gérer mes choix

Une extension de votre navigateur semble bloquer le chargement du lecteur vidéo. Pour pouvoir regarder ce contenu, vous devez la désactiver ou la désinstaller.

Réessayer
"Exécutés" en Éthiopie : MSF livre ses conclusions sur la mort de trois humanitaires au Tigré
01:12

Des militaires éthiopiens localisés sur les lieux 

L'attaque avait eu lieu dans la ville d'Abi Adi, au centre de la région du Tigré. L’armée éthiopienne y était déployée pour mener une opération militaire afin de déloger les combattants du Front populaire de libération du Tigré (TPLF) qui opéraient dans la zone.

Raquel Ayora, haute responsable de MSF Espagne, a rappelé auprès de la BBC que les humanitaires étaient parfaitement identifiables grâce à leurs gilets MSF, et les logos de l'organisation apposés de chaque côté de leur véhicule, lui-même surmonté du drapeau de l'ONG.

"Donc [les troupes éthiopiennes] savaient qu'elles tuaient des travailleurs humanitaires", a-t-elle affirmé, ajoutant que l'itinéraire de l'équipe avait été communiqué à l'avance aux groupes combattants.

Selon Raquel Ayora, des responsables du ministère éthiopien de la Justice avaient informé verbalement MSF à la mi-2022 que leur enquête préliminaire montrait que les troupes gouvernementales n'étaient pas présentes sur les lieux du meurtre. Ce que contredisent toutefois les image satellites et les témoins interrogés par l'organisation.

Aussi, sans pointer nommément un responsable, MSF désigne clairement les troupes éthiopiennes comme présentes sur les lieux, en contradiction avec la version officielle.

"Ce n'était ni le résultat d'échanges de tirs, ni une erreur tragique. Nos collègues ont été tués dans ce qui ne peut être décrit que comme une attaque délibérée".

– Paula Gil, présidente de MSF Espagne

MSF révèle en effet qu'un convoi de soldats éthiopiens était bel et bien présent dans la zone où ont été tués ses trois humanitaires. Dans une enquête publiée en mars 2022, le New York Times avait d'ailleurs affirmé qu’un colonel éthiopien avait donné l’ordre de tuer les trois employés.

Dans son rapport, MSF explique en effet s'être appuyé sur des images satellites et des informations accessibles au public sur les mouvements de l'armée éthiopienne au moment des meurtres, ce qui lui a permis de localiser les troupes éthiopiennes à "l'endroit précis" où les meurtres ont eu lieu.

Pour afficher ce contenu X (Twitter), il est nécessaire d'autoriser les cookies de mesure d'audience et de publicité.

Accepter Gérer mes choix

"Éliminez-les"

Le rapport cite par ailleurs des témoins qui déclarent avoir entendu sur une radio militaire un commandant donner l'ordre de tirer après avoir été informé par un officier de l'approche d'une voiture blanche. Malgré l'arrêt du véhicule, le commandant aurait par la suite ordonné "d'aller les attraper" et de les "éliminer".

Le corps de María Hernández Matas, l'une des coordinatrices d'urgence de MSF au Tigré, et de Yohannes Halefom Reda, assistant de coordination, ont été retrouvés à quelques centaines de mètres du véhicule, rappelle Raquel Ayora, qui précise que tous deux marchaient lorsqu'ils ont été abattus. "Nous ne savons pas s'ils ont été convoqués pour un interrogatoire, ou s'ils ont décidé d'engager le dialogue avec les soldats".

Tedros Gebremariam, chauffeur pour MSF, a quant à lui été retrouvé mort près du véhicule criblé de balles et incendié.

Pour afficher ce contenu X (Twitter), il est nécessaire d'autoriser les cookies de mesure d'audience et de publicité.

Accepter Gérer mes choix

Selon MSF, ces meurtres ont eu lieu à un moment où le conflit au Tigré s'intensifiait et où les troupes éthiopiennes et érythréennes devenaient de plus en plus hostiles à l'égard des travailleurs humanitaires dans la région.

À ce jour, les autorités éthiopiennes n'ont pas réagi publiquement à la publication de ce rapport.

Le conflit du Tigré, qui a éclaté en 2020, a fait plus de 600 000 morts, selon le chiffre avancé par l'ancien président nigérian Olusegun Obasanjo, alors médiateur pour l'Union africaine (UA). Il opposait les forces fédérales éthiopiennes, appuyées notamment par l’armée érythréenne, aux rebelles tigréens.

La région a été mise sous cloche pendant presque tout le conflit : l’aide internationale était bloquée par Addis Abeba, tandis que les liaisons aériennes et les télécommunications étaient coupées.

Un accord de paix a finalement été conclu en novembre 2022.

À relire Conflit au Tigré : une impasse politique et humanitaire pour le pouvoir éthiopien

Avec la publication de ce rapport, MSF réclame justice et protection pour les travailleurs humanitaires qui continuent de risquer leur vie dans les zones de conflit. "Nous espérons qu'en cherchant la vérité sur ce qui est arrivé à nos collègues du Tigré, nous pourrons contribuer à créer un environnement plus sûr pour les travailleurs humanitaires".