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Présidentielle au Cameroun : Paul Biya, l'éternel président-candidat
Au pouvoir depuis 1982, Paul Biya, 92 ans, a annoncé briguer un huitième mandat lors de la présidentielle du 12 octobre. Tout sauf une surprise pour le plus vieux dirigeant en exercice au monde, qui aborde ce nouveau scrutin en position de force malgré des voix discordantes au sein de son propre camp.
Le président camerounais Paul Biya et son épouse Chantal Biya sont accueillis par le secrétaire général de la présidence, Ferdinand Ngoh Ngoh, à l'aéroport de Yaoundé, le 21 octobre 2024, après avoir quitté le pays pendant plusieurs semaines. © Présidence camerounaise via AFP

À 92 ans, Paul Biya n'a toujours pas l'intention de passer la main. Au pouvoir depuis près de 43 ans, le chef de l'État camerounais a annoncé à la mi-juillet se présenter à la présidentielle d'octobre pour un huitième septennat, dans une annonce postée sur X ressemblant presque mot pour mot à celle de 2018.

Rejouant la carte du père de la Nation, désintéressé du pouvoir, Paul Biya a affirmé vouloir "répondre favorablement aux appels pressants qui montent des dix régions de notre pays et de la diaspora". Malgré un faux suspense savamment entretenu, l'annonce n'a surpris personne tant le régime camerounais avait préparé les esprits à ce règne sans fin, et ce depuis plusieurs années.

"Depuis 2020, il y a eu de nombreuses motions de soutien émanant de différents bords pour demander au président de se représenter. Par ailleurs, Paul Biya lui-même avait affirmé en décembre 2024 que sa 'détermination à servir le peuple restait intact'", rappelle sur France 24 Roger Nicolas Oyono Mengue, doctorant au centre de recherche Les Afriques dans le monde (LAM) au sein de Sciences Po Bordeaux. "Dans sa manière de gouverner, on retrouve chez Paul Biya cette manière de créer le suspense pour au final se relégitimer en apparaissant comme la pièce maîtresse du puzzle."

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Présidentielle au Cameroun : Paul Biya, l'éternel président-candidat
© France 24
07:58

Malgré cette apparente continuité dans l'exercice du pouvoir, cette énième candidature a suscité des critiques inédites alors que la présence de Paul Biya est devenue de plus en plus fantomatique. Le chef de l'État passe désormais le plus clair de son temps dans son palais édifié dans son village natal de Mvomeka’a, dans le sud du pays, ou en voyage privé à Genève. En octobre dernier, son absence prolongée du pays avait relancé les rumeurs entourant l'état de santé du plus vieux dirigeant élu en exercice au monde et qui gouverne sans partage sur le Cameroun depuis quatre décennies.

Fractures dans le camp présidentiel

Le camp Biya a ainsi connu plusieurs défections, avec la déclaration de candidature à la présidentielle d'Issa Tchiroma Bakary et celle de Bello Bouba Maïgari, tous deux membres du gouvernement et soutiens de longue date du chef de l'État.

Pour officialiser sa candidature, le président-candidat s'est également passé de la traditionnelle consultation préalable des instances du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), suscitant quelques remous au sein du parti présidentiel. En témoigne l'obstination de Léon Theiller Onana, un conseiller municipal qui conteste en justice la désignation du chef de l'État et réclame la tenue d'un congrès du parti, dont Paul Biya est toujours le président national.

"Cela donne une impression, au sein de la population, qu'il y a une forme d'érosion du pouvoir liée à l'âge de Paul Biya et à ses apparitions de moins en moins nombreuses dans l'espace public", décrypte sur RFI Brice Molo, sociologue et historien à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) et à l’université de Yaoundé. "Mais cette absence est compensée par l'hyperprésence du secrétaire général de la présidence de la République [Ferdinand Ngoh Ngoh], qui apparaît comme le principal profiteur de cette nouvelle candidature."

Ferdinand Ngoh Ngoh devrait être l'homme clé de la campagne à venir. Selon Jeune Afrique, l'omnipotent secrétaire général de la présidence a pris les rênes d'un comité stratégique informel chargé de sonner le rappel des troupes et mettre en branle la machine électorale du RDPC.

"Un système" qui tient

Malgré ces signes d'essoufflement, le système Biya semble encore avoir les ressources pour faire taire – ou tout du moins marginaliser les voix discordantes – et ainsi préserver la "paix nationale", estime Roger Nicolas Oyono Mengue.

"Ce système fonctionne par redistribution du gâteau national en termes de postes, ce qui génère beaucoup de soutiens du nord au sud et de l'est à l'ouest du pays", analyse l'expert. "Il peut y avoir des logiques ethniques derrière, ce que le pouvoir décrit comme des logiques sociologiques. Tout cela crée un consensus. Certes, le petit peuple souffre mais ce dernier peut aussi bénéficier de certains systèmes de rente."

"Paul Biya rassemble car son nom est associé aux instruments qui permettent de gouverner : l'administration publique est restée jusqu'ici assez loyale, tout comme l'armée. Paul Biya a encore la possibilité de rétribuer et punir", abonde Brice Molo.

Disposant de vastes ressources naturelles, notamment du pétrole et du gaz, ainsi que des essences de bois précieux, le Cameroun est également l'un des principaux exportateurs de cacao. Selon la Banque mondiale, le PIB a augmenté de 3,5 % en 2024, contre 3,2 % en 2023, grâce à la hausse des prix du cacao, "l'augmentation des rendements du coton ou encore l'amélioration de l'approvisionnement en électricité".

Présidentielle au Cameroun : Paul Biya, l'éternel président-candidat

L'opposition en ordre dispersé

Malgré ces atouts économiques, de fortes inégalités persistent au Cameroun et la faiblesse des infrastructures constitue un problème récurrent. Par ailleurs, l'inflation continue d'éroder le pouvoir d'achat des Camerounais, avec un taux de 5 % en 2024, d'après les chiffres officiels.

Sur les réseaux sociaux, la population camerounaise, dont 40 % vit sous le seuil de pauvreté, n'hésite plus à faire part de sa frustration concernant les conditions de vie précaires et l'insuffisance des services de base, comme l'accès à l'eau potable et à des soins de qualité.

Si l'opposition peut espérer capitaliser sur cette colère sociale et le désir de changement d'une partie de la jeunesse, durement frappée par le chômage, les rivalités politiques rendent improbable la perspective d'une candidature commune. Selon Elecam, l'organe en charge des processus électoraux, près d'une trentaine de dossiers de candidature ont déjà été déposés.

À quelques mois du vote, les tractations vont toutefois bon train entre plusieurs personnalités et partis de l'opposition. Mais aucun consensus clair ne s'est encore dégagé. Parmi les prétendants, Cabral Libii, une figure importante de l'opposition, ou encore Maurice Kamto. Arrivé deuxième lors de la présidentielle de 2018, ce farouche opposant est probablement l'un des seuls à être en mesure de faire de l'ombre à la candidature de Paul Biya.

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Présidentielle au Cameroun : Paul Biya, l'éternel président-candidat
© France 24
02:12

Ancien candidat du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC), Maurice Kamto se présente cette fois sous la bannière du Mouvement africain pour la nouvelle indépendance et la démocratie (Manidem). Une décision destinée à contourner une disposition du Code électoral qui exige des partis souhaitant participer à l'élection présidentielle de disposer d'élus au Parlement ou dans les conseils municipaux. Or le MRC avait boycotté les dernières élections législatives et municipales en 2020.

Un tour de passe-passe institutionnel déjà contesté par plusieurs membres du gouvernement, qui dénoncent un vice de forme et appellent au rejet de la candidature de l'ancien ministre de la Justice. Réponse attendue au début du mois d'août avec la publication de la liste définitive des candidats à la présidentielle du 12 octobre – où Paul Biya fera figure, encore et toujours, de grand favori du scrutin.