
La froide poignée de mains entre Tadej Pogacar et Jonas Vingegaard à l'arrivée de la 10e étape, le 14 juillet 2025 au Mont-Dore. © Loïc Venance, AFP
Le début du Tour de France a été long pour tout le monde. Avec un Grand Départ hexagonal et une pause décalée en raison du 14-Juillet qui tombait un lundi, les coureurs ont enquillé dix jours consécutifs de course. Dix journées loin d'être de tout repos, entre les chutes, les pièges du vent et les étapes au profil exigeant. La journée de repos à Toulouse n'a pu faire que du bien au peloton.
On peut cependant imaginer que du côté de la Visma-Lease a Bike, la pause a été studieuse, avec au programme un remue-méninges sur le thème "Comment faire craquer Tadej Pogacar pour que Jonas Vingegaard remporte son troisième Tour de France ?"
"Nous sommes derrière au classement général. Il faudra trouver l'opportunité pour l'attaquer mais ce ne sera pas facile. Il est si fort…", a soupiré le directeur sportif de la formation néerlandaise, Grischa Niermann, au soir de la 10e étape au Mont-Dore.
Tadej Pogacar a l'ascendant mais…
Le 29 octobre dernier, plus d'un coureur a grimacé lors de la présentation du parcours de la 112e édition du Tour de France. Pour cette Grande Boucle 100 % hexagonale, les dix premiers jours de course ressemblaient à un long chemin de croix pour Jonas Vingegaard et les grimpeurs qui veulent disputer le classement général. En dix étapes, le Tour 2025 proposait un bel éventail de chausse-trapes en tout genre : étapes plates mais venteuses propices aux coups de force par des bordures, arrivées en côte taillées pour puncheurs et tracés accidentés sans un mètre de plat. Sans compter la nervosité du peloton, inhérente à chaque début de Tour, qui conduit à la multiplication des chutes.
À l'arrivée, Jonas Vingegaard a bien résisté. À chaque bordure qui s'est présentée, les Visma-Lease a Bike ont su le placer dans le bon wagon, à l'image de la première étape. Le leader des Jaune et Noir a su également éviter les chutes. Quant aux arrivées sur des pentes courtes et sèches, une de ses grandes faiblesses en comparaison avec Pogacar, le vainqueur des Tours 2022 et 2023 a su résister. Le travail de préparation a été payant puisqu'il a toujours fini dans la roue de son concurrent, que ce soit à Rouen, à Vire ou à Mûr-de-Bretagne.
De manière inattendue, c'est lors de la cinquième étape, le contre-la-montre de Caen, que Jonas Vingegaard a perdu le plus de plumes. Sur le tracé quasi plat, le Danois de 28 ans a laissé une minute et cinq secondes à son adversaire dans une contre-performance qui brouille le bilan de sa première partie de Tour. Sans ce chrono désastreux, il pointerait à 12 secondes de Pogacar au lieu de son retard actuel d'une minute et 17 secondes.
… les montagnes arrivent
Heureusement pour Vingegaard, son terrain de jeu favori arrive. Après une étape de transition autour de Toulouse mercredi, les coureurs arriveront dans les Pyrénées pour trois jours de course. De quoi rebattre les cartes ?
Si Tadej Pogacar est un coureur assez polyvalent, à l'aise en montagne mais aussi sur les montées plus courtes, le Danois présente lui un profil de pur grimpeur. Pour le leader de la Visma-Lease a Bike, la course à la victoire commence donc vendredi avec la 13e étape qui se terminera au sommet du Hautacam. Il y a des bons souvenirs : en 2022, il s'était imposé avec son maillot jaune, distançant le Slovène d'une minute et quatre secondes.
Et si, après avoir péché sur le contre-la-montre, Jonas Vingegaard revenait dans le match avec le même exercice ? Cette 13e étape, entre Loudenvielle et Peyragudes, constitue une occasion rêvée : le chrono en côte, disputé sur un vélo de route et non de contre-la-montre, pourrait sourire au Danois. Dans un exercice similaire, Vingegaard avait chipé 1'38'' et le Tour 2023 à Pogacar sur la route de Combloux.
Si ça n'était pas assez, il restera suffisamment d'occasions à Vingegaard pour s'exprimer : la troisième étape pyrénéenne et son arrivée à Superbagnères samedi, le mont Ventoux le 22 juillet et le duo alpestre de cette année avec le col de la Loze et la montée de La Plagne lors des étapes 18 et 19.
Vingegaard peut compter sur le collectif Visma
Sur le papier, chacun des deux coureurs se présentait sur le Tour avec sa "dream team". D'un côté, l'armada néerlandaise avec Simon Yates, Matteo Jorgenson, Sepp Kuss, Edoardo Affini, Tiesj Benoot et Victor Campenaerts. De l'autre, l'arsenal émirati avec João Almeida, Adam Yates, Pavel Sivakov, Marc Soler, Jhonatan Narvaez, Tim Weelens et Nils Politt.
Au bout de dix jours de course, force est de constater que les "frelons" jaune et noir ont fait bien meilleure impression que la bande à Tadej. Jonas Vingegaard a toujours été entouré de ses partenaires, alors que le Slovène s'est retrouvé par moments isolé.
Le vainqueur sortant du Tour a aussi joué de malchance. Il a perdu sur chute João Almeida, appelé à être son meilleur lieutenant en montagne. Ses deux autres gardes du corps pour la deuxième moitié du Tour, Adam Yates et Pavel Sivakov, sont pour le moment en difficulté. Par contraste, tout semble rouler pour l'équipe Visma, qui a même le luxe de conserver une seconde carte pour le général en la personne de Matteo Jorgenson, toujours à 1'37'' de Pogacar. Et Simon Yates, frère jumeau d'Adam, s'est aussi offert une victoire lundi au Mont-Dore.
Ce n'est pas anodin. En 2022, l'équipe néerlandaise avait fait craquer le Slovène sur les pentes du Granon en profitant de sa supériorité numérique. À l'époque, Roglic et Vingegaard avaient attaqué à tour de rôle un Pogacar esseulé, permettant au Danois de s'envoler vers la victoire d'étape et le maillot jaune. Lundi, sur la première étape de montagne, les "frelons" ont esquissé les prémices de la même tactique avec Sepp Kuss et Matteo Jorgenson, qui ont porté des attaques face à un Tadej Pogacar quasi seul. Mais Jonas Vingegaard n'a jamais porté l'estocade finale : est-il patient ou trop juste physiquement pour décoller le champion ?
Une dynamique pour Pogacar ou Vingegaard ?
Depuis le début de l'année 2024, rien ni personne ne résiste à Tadej Pogacar sur un vélo. Depuis un an et demi, le Slovène croque tout ce qui se présente devant lui. Lors du Critérium du Dauphiné, dernière course par étapes avant le Tour de France, le vainqueur sortant du Tour a tellement écrasé Jonas Vingegaard sur les étapes de montagne que les spectateurs ont craint qu'il n'y ait même pas de match sur la Grande Boucle.
Or Jonas Vingegaard répond bien présent pour le moment. Ce qui signifie que les trois semaines qui ont séparé la fin du Critérium du Dauphiné et le début du Tour ont permis au Danois d'élever son niveau à celui de son rival. Avant de le dépasser avec un pic de forme en troisième semaine ? C'est à ce moment-là que le Slovène avait craqué en 2023.
En face, Tadej Pogacar aimerait passer la fin du Tour de France à gérer son avantage. Car, après le doublé Giro-Tour 2024, il espère signer cette année le doublé Tour-Vuelta. Pour ça, il lui faut en garder sous la pédale.
Or méfiance : à regarder trop loin, on ne voit pas le frelon qui s'apprête à piquer.