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Des Afghans craignent pour leur vie après une fuite massive de données des autorités britanniques
La divulgation accidentelle des données de 19 000 Afghans ayant aidé les forces britanniques plonge une partie des personnes concernées et leurs familles dans l’angoisse des représailles de la part des Taliban. Car si certaines ont été discrètement évacuées par le Royaume-Uni depuis l'année dernière, les autres dénoncent un sentiment d'abandon.
Des Taliban lors d'une parade célébrant le troisième anniversaire de leur prise de pouvoir, le 15 août 2024. © Abdul Khaliq, AP

La fuite de données est d'une ampleur considérable. Près de 19 000 noms d'Afghans ayant demandé l'asile au Royaume-Uni après avoir collaboré avec les autorités britanniques avant le retour des Taliban au pouvoir en août 2021 ont été divulgués par simple négligence, à la suite d'une erreur dans l'envoi d'un e-mail.

À l'origine de cette divulgation massive de données se trouve un soldat britannique basé à la caserne de Regent's Park, le quartier général des forces spéciales à Londres.

Le quotidien britannique The Guardian révèle que l'homme était chargé de vérifier les demandes de réinstallation dans le cadre de la "politique d'assistance et de réinstallation en Afghanistan" (Arap), conçue pour les Afghans ayant travaillé pour les forces britanniques dans le pays. Un programme mis en place par Londres pour rapatrier rapidement vers le Royaume-Uni les personnes craignant des représailles de la part des Taliban.

Le soldat chargé de superviser les demandes a alors contacté plusieurs Afghans au Royaume-Uni, pensant leur envoyer une liste de 150 noms. Mais en réalité, il leur a envoyé par courriel une copie de la liste complète des candidats à l'asile, qui a été transmise à d'autres personnes en Afghanistan.

Dans cette liste figuraient leurs noms, mais aussi leurs adresses et l'identité des membres de leurs familles.

Une divulgation des données aux conséquences dangereuses, l'affaire intervenant en février 2022. Les Taliban ont repris le pouvoir à Kaboul six mois plus tôt, ils fouillent les maisons et menacent ceux qui ont collaboré avec les armées occidentales.

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Des Afghans craignent pour leur vie après une fuite massive de données des autorités britanniques
Fuite massive de données concernant des Afghans ayant travaillé avec les forces britanniques © France 24
06:51

Ordonnance de la Haute cour de justice

Pourtant, le gouvernement britannique tarde à réagir. D'après la BBC, il n'aurait été informé du scandale qu'en août 2023, lorsqu'une association signale que des informations confidentielles ont été publiées sur Facebook.

Paniqués, les ministres et les responsables du ministère de la Défense demandent alors à la Haute cour de justice une ordonnance empêchant la diffusion de toute information autour de cette fuite, pour réduire le risque que les Taliban apprennent l'existence de ces données et "protéger les personnes qui auraient pu être ou qui ont été exposées".

Selon les médias britanniques, cette mesure, qui a été levée mardi, est la plus longue ordonnance de ce type. C'est la première fois que le gouvernement demande une telle mesure restrictive à l'encontre des médias.

"Tout est apparu en une seconde"

Pour les familles afghanes concernées, le choc reste immense. Réfugiée à Londres aujourd'hui, Nagina, la fille d'un traducteur de l'armée, a raconté à la BBC la réaction de son père lorsqu'il a réalisé qu'il faisait partie de ceux dont l'identité avait été dévoilée après avoir reçu un e-mail des autorités britanniques.

"Mon père a alors tapé ses identifiants du ministère de la Défense sur Internet pour voir ce qui se passait. Et tout est apparu en une seconde. Personne ne sait qui a accès à ces données, elles ont pu être envoyées aux Taliban", se remémore-t-elle. "C'était une journée horrible pour ma famille", poursuit la jeune fille, qui décrit son père pris de tremblements.

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En sécurité à l'étranger, elle craint pour ses proches restés au pays, notamment pour sa grand-mère, qu'elle juge "complètement vulnérable".

Seuls 4 500 Afghans ont été évacués depuis la divulgation des données, grâce à une opération tenue secrète. Le programme de réinstallation pour les personnes concernées, intitulé "Afghanistan Response Route", a été mis en place en avril 2024 après que le gouvernement conservateur de l'époque a eu connaissance de la fuite.

"À ce jour, 900 bénéficiaires principaux [de ce programme, NDLR] sont au Royaume-Uni ou en transit, accompagnés de 3 600 membres de leurs familles pour un coût d'environ 400 millions de livres sterling (460,7 millions d'euros)", a révélé mardi le ministre de la Défense, John Healey, devant le Parlement.

Environ 600 autres Afghans et leurs proches devraient être accueillis au Royaume-Uni avant la fin du programme. Au total, environ 6 900 personnes devraient donc s'installer dans le pays dans le cadre de l'Afghanistan Response Route.

9 500 Afghans laissés sur place

Quid de ceux restés en Afghanistan ? Dans son discours devant la Chambre des communes, John Healey a également indiqué que le gouvernement allait mettre fin au programme d'accueil, laissant sur place environ 9 500 Afghans ayant travaillé pour Londres, selon le Guardian.

Parmi eux, le ministère de la Défense estime que 600 soldats afghans inclus dans la fuite de données, ainsi que 1 800 membres de leurs familles, sont toujours en Afghanistan, rapporte la BCC.

Ahmed, un ancien soldat qui a mené des opérations en Afghanistan avec les troupes britanniques, confie au Guardian avoir pleuré lorsqu'il a réalisé que ses informations étaient incluses dans l'ensemble de données. Il a pu gagner le Royaume-Uni avec sa femme et ses enfants grâce au programme Arap, mais nombre de ses proches sont toujours en Afghanistan. Or la fuite de données incluait son numéro de demande Arap, qu'il avait utilisé pour défendre sa famille élargie.

"Je pensais que tout était sécurisé ici. Nous avons mené de nombreuses opérations avec les troupes britanniques. J'ai peur. Je m'inquiète pour la famille de mon frère et de ma femme, ainsi que pour mes collègues, car beaucoup sont encore en Afghanistan", dit-il.

Ahmed connaît la violence des Taliban. Il a déjà perdu deux jeunes frères, dont l'un avait participé à des opérations militaires. Ils avaient tenté de fuir les Taliban après que le domicile familial avait été perquisitionné, mais ils avaient été abattus.

"Ne pas accepter de demandes d'ajout d'amis"

"Je suis actuellement en Afghanistan et si cette information est divulguée, le régime afghan actuel me retrouvera et me torturera, ce qui mettra ma vie en danger", témoigne aussi Abdullah. Il raconte avoir reçu un e-mail des autorités britanniques le prévenant que ses données avaient pu être compromises.

Le message lui conseille de "limiter l'accès à ses profils sur les réseaux sociaux et de ne pas accepter de demandes d'ajout d'amis ou de suivi de personnes que l'on ne connaît pas et en qui l'on n'a pas confiance". Il était aussi recommandé de ne pas répondre aux appels téléphoniques ni aux messages provenant d'inconnus.

"J'ai tout fait pour les forces britanniques… Je le regrette. Pourquoi ai-je mis ma famille en danger à cause de cela ? Est-ce là la justice ? (…) On a aidé les Britanniques, et maintenant, on est abandonnés", s'indigne sur Sky News un autre père de famille afghan qui travaillait pour l'armée britannique.

Plus aucun risque ?

De son côté, le ministre britannique de la Défense a déclaré qu'il était "incapable de dire avec certitude" si quelqu'un avait été tué à la suite de la violation majeure de données. Il a aussi estimé qu'il était "hautement improbable" que le fait d'être sur la liste augmente désormais le risque d'être ciblé par les Taliban.

Mais d'après Adnan Malik, avocat chez Barings Law représentant un millier de victimes, en Afghanistan, certaines des personnes figurant dans la base de données divulguée ont dû se cacher, tandis que d'autres ont été tuées lors d'attaques ciblées. Il envisage d'engager des poursuites judiciaires à l'encontre de l'État britannique.

Mardi, le juge britannique qui a décidé de lever l'ordonnance de secret pour cette affaire a affirmé que le ministère de la Défense avait déclaré que les Taliban "possédaient probablement déjà les informations clés de l'ensemble de données" et que la confirmation de son existence n'était pas susceptible d'augmenter "substantiellement" le risque auquel étaient confrontées les personnes concernées.

Quant au responsable de cette fuite de données, le gouvernement n'a pas précisé s'il avait fait l'objet de mesures disciplinaires. John Healey a seulement déclaré que le soldat impliqué dans la fuite "ne faisait plus le même travail" et a présenté des "excuses sincères". Il a ajouté qu'il n'allait pas "lancer une chasse aux sorcières", reconnaissant que l'affaire est "bien plus grave que l'erreur d'un seul individu".

Avec AFP