
À gauche, un homme en tenue traditionnelle druze se fait raser de force par des hommes en treillis militaire. À droite, un homme en tenue civile se fait emmener par une dizaine d'hommes armés et équipés de gilets pare-balles. © Telegram / SabrenNews22 / zainaldinmaham1
Après l’éclatement d’affrontements entre des tribus bédouines sunnites et des combattants druzes, le gouvernement syrien a déployé mardi 15 juillet des forces dans la région de Soueïda avec l’objectif affiché de rétablir l’ordre, avant de s’en retirer mercredi après un accord de cessez-le-feu.
Dans ce contexte, de nombreuses vidéos d’humiliations présentées comme étant commises par les forces syriennes sur des membres de la communauté druze ont circulé sur les réseaux sociaux.
Nombre d’entre elles montrent des hommes – désignés comme appartenant à la minorité druze – se faire raser la moustache par d’autres individus.
Les vidéos sont pour la plupart difficiles à authentifier, du fait de leur cadrage serré et de leur mauvaise qualité. De plus, dans la majorité des images des exactions, les violences sont commises par des hommes en treillis kaki, qui ne portent ni insigne ni élément reconnaissable.
Humiliation d’un cheikh
L’une de ces vidéos en particulier a circulé massivement.
Elle montre un homme en treillis militaire raser la moustache d’un homme âgé portant la tenue traditionnelle druze noire, avec un bonnet blanc. Deux autres hommes assistent à la scène, l’un en noir, l’autre également en treillis. Un des hommes en tenue militaire dit notamment à un autre "Vas-y, rase-lui tout" pendant que la victime clame son innocence.
La vidéo a notamment été partagée le 15 juillet par le canal Telegram Sabereen news, un média irakien affilié à des milices chiites pro-Iran.
"Des membres des gangs terroristes d’Al-Joulani [le nom de guerre d’Ahmed al-Charaa, le président syrien, NDLR] entourent un homme âgé et lui rasent la moustache de force à Soueïda", peut-on lire en accompagnement de la vidéo.
Les hommes en question ne portant pas d’insigne, il est difficile de confirmer leur identité.
Pour afficher ce contenu Telegram, il est nécessaire d'autoriser les cookies de mesure d'audience et de publicité.
Accepter Gérer mes choixSelon le média local Suwayda 24, la scène aurait eu lieu à Al-Thaala, un village situé à une dizaine de kilomètres à l’ouest de Soueïda.
L’homme est identifié comme étant Marhej Shaheen, un cheikh "âgé de près de 80 ans". Il avait fait l’objet, en 2020, d’un article de l’agence de presse syrienne Sana.
"Les moustaches sont un symbole bien connu de l'identité druze"
Tobias Lang, directeur du Centre autrichien pour la paix, a expliqué à la rédaction des Observateurs de France 24 la symbolique de ce geste :
"Les moustaches druzes sont un symbole bien connu de l'identité druze, tout comme les vêtements des religieux avec leurs chapeaux blancs ou leurs pantalons amples. Et les moustaches sont un de leurs symboles traditionnels. C’est donc une attaque symbolique claire contre l’identité druze."
Dans un premiers temps, plusieurs médias, dont Suwayda 24, ont rapporté que le cheikh était mort à la suite de l’incident, en se basant sur des sources locales, dont une femme se présentant comme la petite-fille du cheikh. Le 17 juillet, celle-ci a finalement déclaré qu’il était vivant.
"Rasez-lui la moustache"
D’autres vidéos montrant des scènes similaires ont circulé, peu après l’entrée des forces de sécurité syriennes dans Soueïda.
Une vidéo partagée le 15 juillet montre un homme habillé en noir être emmené par une dizaine d’hommes armés et portant des gilets pare-balles.
On peut entendre une voix dire : "Des moustaches, partout des moustaches ! Rasez-lui la moustache !"
Pour afficher ce contenu Telegram, il est nécessaire d'autoriser les cookies de mesure d'audience et de publicité.
Accepter Gérer mes choixLa rédaction des Observateurs a pu géolocaliser cette vidéo. Elle a été prise sur un axe du nord-ouest de Soueïda. Des images publiées peu avant montraient des véhicules de la Sûreté générale, la nouvelle police syrienne, prendre possession de l’axe routier.

Aucun insigne ou écusson n’est visible sur les vêtements de la plupart des hommes qui procèdent à l'humiliation.
Une voiture portant le logo de la police militaire est visible au début de la vidéo, mais les hommes en question ne portent pas les uniformes beiges et brassards rouges de cette institution.
Seul un élément est visible dans le dos de l’un des hommes qui tient l’individu emmené : un rectangle blanc correspondant à l’uniforme des membres de la Sûreté générale.

Thomas Pierret, chercheur spécialiste de la Syrie à l’Institut de recherche et d’études sur les mondes arabe et islamique, décrypte :
"La Sûreté générale ne dépend pas du ministère de la Défense mais du ministère de l'Intérieur.
C’est malheureusement révélateur, parce qu’ils sont censés incarner l'ordre étatique par rapport à des forces armées dont on sait qu'elles sont hétérogènes.
Le discours du nouveau pouvoir depuis le premier jour de la prise de Damas, c'est que dès qu'on peut, on enlève l'armée et on met la Sûreté générale à la place, qui est censée être moins sujette aux dérives idéologiques radicales, aux faits d'indiscipline."
Police militaire
Une autre vidéo montre un homme arborant le brassard et l’insigne de la police militaire. Juste devant lui, un autre individu armé coupe la moustache d’un homme assis et habillé en noir.
La victime ressemble fortement à la personne emmenée de force dans la vidéo mentionnée précédemment, mais nous n’avons pas pu certifier s’il s’agissait du même individu.
Pour afficher ce contenu X (Twitter), il est nécessaire d'autoriser les cookies de mesure d'audience et de publicité.
Accepter Gérer mes choixLa police militaire avait été déployée à Soueïda pour "réguler le comportement militaire et sanctionner les contrevenants", selon des propos du ministre syrien de la Défense rapportés par Sana.

Thomas Pierret décrypte :
"L'armée syrienne est la fusion de nombreux groupes armés différents, en grande partie des factions rebelles qui ont changé de nom [après la chute de Bachar al-Assad, NDLR].
Ce sont parfois des forces rebelles indisciplinées, pas structurées et coupables d'exactions. La police militaire était censée mettre fin au phénomène, mais ces exactions montrent le caractère très relatif de cet organe censé discipliner les combattants.
En termes de communication, [ces images sont] vraiment catastrophiques.
Ce n’est pas dans l'intérêt du gouvernement syrien que toutes ces choses se produisent, quand vous voulez vous présenter à l'intérieur et à l'extérieur comme le garant de la stabilité."
Sur la majorité des images, ce sont cependant des hommes en treillis militaires kaki qui sont à l’origine des humiliations – même si l’absence d’insigne ne permet pas d’identifier l’unité à laquelle ils appartiennent.
Thomas Pierret estime :
"Je pense que, tout simplement, dans l'armée syrienne, il n’y a pas encore vraiment d'uniforme. Il s’agit de la fusion de pas mal de groupes armés différents : les HTS, leurs alliés… Donc l'uniforme, ce n’est pas la première chose que vous faites : vous essayez d'abord de créer une chaîne de commandement qui tienne plus ou moins la route."
Certaines de ces personnes ne feraient peut-être même pas partie de la nouvelle armée syrienne selon le chercheur Tobias Lang :
"Il est très difficile de faire la distinction entre les membres réguliers des forces de sécurité et des groupes malveillants ou criminels. Je ne pense pas qu'il y ait toujours une distinction claire."
"Tenir les auteurs pour responsables"
Dans un communiqué publié le 16 juillet, la présidence de la République arabe syrienne a condamné ces "actes odieux" commis à Soueïda et s’est engagée "à enquêter sur tous les incidents s’y rapportant, ainsi qu’à poursuivre en justice toute personne impliquée".
Pour afficher ce contenu X (Twitter), il est nécessaire d'autoriser les cookies de mesure d'audience et de publicité.
Accepter Gérer mes choixL’agence Sana a également rapporté que la police militaire du ministère de la Défense avait arrêté un membre des forces de sécurité à Soueïda en raison de son comportement.
L’homme dont la photo a été relayée par l’agence de presse ressemble à celui que l’on voit en train de couper une moustache dans la vidéo mentionnée précédemment, mais il n’est pas possible d’établir le lien avec certitude.
Des humiliations similaires au printemps 2025 ?
Tobias Lang rappelle le contexte dans lequel ces exactions ont été commises :
"Les forces de sécurité syriennes sont intervenues officiellement sous le prétexte de séparer les deux groupes. Évidemment, elles ne l’ont pas fait. Elles ont pris le parti des Bédouins sunnites et ont commencé à attaquer des villages druzes."
Selon un bilan donné jeudi 17 juillet par l'Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH), les affrontements dans la région ont fait au moins 594 morts. D'après l'ONG, 300 Druzes de Soueïda figurent parmi les morts, dont 154 civils, y compris 83 "exécutés sommairement par des membres (des forces relevant) des ministères de la Défense et de l'Intérieur".
Des vidéos d'exactions similaires avaient circulé lors de heurts entre combattants druzes et groupes armés sunnites en banlieue de Damas le 30 avril.
Après le départ des forces gouvernementales de Soueïda jeudi, les affrontements entre combattants druzes et milices tribales sunnites se sont poursuivis.