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Israël : Aryeh Deri, le chef ultraorthodoxe dont dépend la survie politique de Netanyahu
Aryeh Deri, chef du parti ultraorthodoxe Shass, est une figure centrale de la vie politique israélienne depuis 40 ans. Opposé à la conscription des Haredim, ce fin stratège au parcours sulfureux conditionne désormais son soutien à Benjamin Netanyahu. Son éventuel retrait de la coalition provoquerait des élections anticipées. Portrait.
Aryeh Deri (au centre), alors ministre de l'Intérieur, en janvier 2023. © Ronen Zvulun, AFP

Serait-il l'homme qui fera chuter Benjamin Netanyahu ? Vétéran de la vie politique israélienne à laquelle il participe depuis près de 40 ans, le leader du parti ultraorthodoxe Shass est revenu cette semaine au centre du jeu politique.

Mercredi 16 juillet, Aryeh Deri a annoncé que sa formation quittait le gouvernement. En cause : une mesure portée par le cabinet de Benjamin Netanyahu et visant à incorporer davantage d'étudiants religieux dans les rangs de l'armée, une population jusqu'ici exemptée de service militaire.

Le parti Shass, qui représente les juifs ultraorthodoxes séfarades, demeure, pour l'heure, au sein de la coalition du Premier ministre, qu'il continuera de soutenir à la Knesset, le Parlement.

La veille, c'est l'autre formation religieuse ultraorthodoxe, le parti Judaïsme unifié de la Torah (UTJ), qui avait claqué la porte de l'exécutif, mais aussi de la coalition au pouvoir. Désormais, celle-ci ne dispose plus que d'un siège d'avance pour rester au pouvoir.

L'avenir politique de Benjamin Netanyahu en Israël dépend désormais en partie d'Aryeh Deri. Si le Shass décide de suivre l'UJT, cela provoquerait des élections anticipées que le Premier ministre n'est pas certain de remporter.

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Israël : Aryeh Deri, le chef ultraorthodoxe dont dépend la survie politique de Netanyahu
© France 24
02:18

"Une vraie complicité" avec Benjamin Netanyahu

"Personne ne croit à une rupture", réagit Denis Charbit, professeur de sciences politiques à l'Université ouverte d'Israël. "Benjamin Netanyahu et Aryeh Deri s'entendent très bien. Tous deux sont des vétérans de la politique israélienne", poursuit l'auteur d'"Israël, l'impossible État normal" (éd. Calmann-Levy, 2024). "On compte sur les doigts de la main les députés qui sont à la Knesset depuis les années 1990. Netanyahu et Deri ont cette longue expérience faisant défaut aux jeunes loups qui sont sur les bancs depuis une décennie à peine."

Le chercheur décrit "une vraie complicité entre les deux hommes", voire une "chimie personnelle", alors même que Benjamin Netanyahu "ne nourrit pas une estime particulière pour les leaders ultraorthodoxes en général".

Le rabbin Aryeh Deri, 66 ans, a commencé la politique très jeune et a vite été considéré à gauche comme à droite comme l'"enfant prodige de la classe politique israélienne". En 1988, à 29 ans, il est nommé au ministère de l'Intérieur dans le gouvernement d'Yitzhak Shamir (Likoud), ce qui fait de lui le plus jeune ministre de l'histoire politique d'Israël.

Né au Maroc, père de neuf enfants, celui qui est souvent décrit comme un homme charismatique a bâti son parcours politique en cofondant en 1984 le parti Shass – acronyme des Gardiens séfarades de la Torah. Aryeh Deri est parvenu à inscrire son parti dans la durée et à fidéliser son électorat, essentiellement des juifs orientaux dont il s'est fait le porte-voix.

Parti ultraorthodoxe le plus puissant à la Knesset avec ses onze sièges, la formation est devenue sous son impulsion "un acteur central de la vie politique israélienne par sa longévité", explique Denis Charbit.

Multiplication des démêlés avec la justice

Dans les années 1990, Aryeh Deri fait alliance avec le Parti travailliste, intègre le gouvernement d'Yitzhak Rabin et vote les accords d'Oslo. Mais il doit démissionner après avoir été compromis dans une affaire de corruption. Il finit par être condamné à trois ans de prison en 2000 pour avoir touché 155 000 dollars de pot-de-vin.

C'est dans ce contexte qu'il opère une "mue politique" et se rapproche de la droite. À partir de 2009, il finit par nouer une alliance solide avec Benjamin Netanyahu. C'est grâce à lui qu'il finit par reprendre la tête du ministère de l'Intérieur en 2016.

Mais le sulfureux Aryeh Deri récidive. Reconnu coupable de fraude fiscale en 2021, il promet de se retirer de la vie politique. Une condition fixée par la justice pour lui éviter la prison.

Toutefois, il ne tient pas parole. Et après avoir récupéré son siège de député quelques mois plus tard, il vise un poste au gouvernement.

Point d'orgue de ces arrangements avec la justice, les députés israéliens votent en décembre 2022 un texte baptisé "loi Déri" par la presse. La législation permet à une personne reconnue coupable d'un crime mais non condamnée à une peine de prison ferme d'obtenir un portefeuille ministériel. Un texte taillé sur mesure pour lui, de façon à lui permettre d'entrer au gouvernement de Benjamin Netanyahu.

Mais lorsque le chef du Likoud le nomme de nouveau à l'Intérieur en 2023, la Cour suprême invalide ce choix. Arieh Deri s'incline, mais cela n'empêche pas Benjamin Netanyahu, lui-même aux prises avec la justice, de pouvoir compter sur le vétéran ultraorthodoxe comme un allié de poids.

"Garder la main sur les décisions"

Preuve en est : aujourd'hui, Aryeh Deri est invité à participer au cabinet de sécurité de l'État. Selon Denis Charbit, le leader du parti Shass "ne veut pas laisser Benjamin Netanyahu seul face à Itamar Ben Gvir et Bezalel Smotrich", deux figures de l'extrême droite israélienne, respectivement ministre de la Sécurité nationale et ministre des Finances. "Ils sont tous les trois religieux, mais Deri ne partage pas les mêmes références spirituelles", estime le chercheur.

Selon lui, au lieu de précipiter la chute d'un Benjamin Netanyahu fragilisé, Aryeh Deri lui offre un répit. Le parti Shass a déclaré mercredi qu'il continuerait de le soutenir à la Knesset. Cela permet au Premier ministre d'éviter pour l'heure la menace d'élections anticipées et de conserver sa capacité à faire approuver par son cabinet de sécurité un éventuel accord de cessez-le-feu pour Gaza.

La pause estivale de la Knesset pourrait par ailleurs permettre à Benjamin Netanyahu de parvenir à un accord sur ce contentieux de longue date à propos de l'exemption de service militaire des étudiants juifs ultraorthodoxes. Mais l'opinion publique israélienne verrait cette concession d'un mauvais œil, alors même que le pays a mobilisé près de 300 000 réservistes pour mener la guerre à Gaza.

L'UJT, lui, se sent floué. Les députés ultraorthodoxes ashkénazes ont quitté les présidences de commissions parlementaires. Le parti Shass "a préféré garder la main sur les décisions en demeurant dans la coalition sans rester au gouvernement", analyse Denis Charbit.

L'enjeu est de taille pour Aryeh Deri et son parti : en Israël, les écoles ultraorthodoxes ont besoin du financement de l'État pour exister. "Ils doivent rester au pouvoir pour continuer à obtenir leurs subventions", résume le chercheur franco-israélien.