
L'ancien président Evo Morales lors d'un entretien à l'AFP, le 28 avril 2025. © Aizar Raldes, AFP
À un mois de l'élection présidentielle, prévue le 17 août, le climat politique en Bolivie est marqué par une forte polarisation, une crise sociale et économique, et des tensions internes au sein du parti au pouvoir.
Premier président indigène de Bolivie en 2006, Evo Morales a été réélu deux fois et a dirigé le pays pendant près de 14 ans. En novembre dernier, la Cour constitutionnelle de Bolivie a confirmé l’interdiction pour un président d’exercer plus de deux mandats, le rendant inéligible pour l’élection présidentielle de 2025.
Malgré cela, l'ancien chef de l'État bolivien a annoncé, le 20 février, sa candidature à l'élection présidentielle, défiant ainsi ouvertement la justice de son pays.
Originaire du cœur du mouvement des cultivateurs de coca dans la région tropicale de Cochabamba, Evo Morales a mené un processus de transformation sociale, économique et politique qui a marqué un tournant dans l'histoire du pays.
Son administration, basée sur la nationalisation des ressources naturelles, la redistribution des revenus et l'autonomisation des secteurs historiquement exclus, lui a valu un fort soutien populaire, bien qu'il ait également été la cible de critiques pour sa concentration du pouvoir et sa décision de briguer un quatrième mandat en 2019.
Ses détracteurs le tiennent pour responsable de la crise politique et économique actuelle. Il est également dans le viseur de la justice, la dernière plainte déposée contre lui l’accusant de "terrorisme" en raison des nombreux blocages organisés dans le pays par ses partisans.
Pour tenter de se présenter, Evo Morales s’est tourné vers le Parti d'action nationale bolivien (PAN-BOL) – il avait été empêché juridiquement de participer au scrutin sous la bannière du Mouvement vers le socialisme (MAS-IPSP), le parti qu’il avait fondé en 1997. Une vaine tentative puisque le tribunal électoral a annulé début mai le statut de cette formation politique.
France 24 : Comment évaluez-vous le processus électoral à l'approche de l'élection présidentielle ?
Evo Morales : Ce week-end, j'ai participé à une réunion avec près de 1 500 dirigeants et nous avons établi que sans notre mouvement politique Evo Pueblo [Evo le peuple], il n'y a pas de démocratie. Sans Evo sur le bulletin de vote, il ne peut y avoir d'élection.
Une fois de plus, nous avons demandé au Tribunal suprême électoral d'autoriser le Parti d'action nationale bolivien (PAN-BOL), car à l'aide d'une protection constitutionnelle, nous gagnerions. Il s'agit d'une obligation de se conformer à une résolution constitutionnelle, présentée au tribunal de garanties constitutionnelles, et ils ne s'y conforment pas.
Il y a donc une totale illégalité et illégitimité des élections nationales.
Certains secteurs proches de vous ont appelé au boycott des prochaines élections si vous n'êtes pas candidat. Soutenez-vous ces actions et craignez-vous la violence ?
Celui qui boycotte les élections, c’est le pouvoir exécutif et, en relation directe avec lui, le Tribunal suprême électoral et le Tribunal constitutionnel plurinational de Bolivie autoprorogé. Qu'ils m’inscrivent s'ils veulent sauver la démocratie. Et s'ils veulent gagner, qu'ils me battent dans les urnes.
Les sondages du 1er juillet montrent que, sans Evo Morales, le vote nul est de 32 %. Ces votes sont ceux d'Evo.
Si je suis premier, qui attaque la démocratie, qui boycotte la démocratie ? C'est le gouvernement avec ses institutions, avec le Tribunal suprême électoral et le Tribunal constitutionnel plurinational.
Vous avez été une figure centrale de la création du MAS-IPSP. Avez-vous le sentiment que le parti s'éloigne de ses racines ?
Le MAS-IPSP est le seul mouvement politique, je dirais au monde, qui, avec les Aymaras et les Quechuas, est un mouvement indigène originel. C'est le seul parti de gauche qui a gagné les élections. En Bolivie, le Parti communiste n’a jamais gagné, le Parti socialiste non plus. Il y avait tant de partis de gauche et ils n’ont jamais gagné.
Nous avons gagné avec le seul parti qui a fait preuve de stabilité, d'espoir et de confiance. J'ai été là pendant 14 ans et pendant toutes ces années, la Bolivie n'a manqué de rien.
Nous avons sauvé la Bolivie. J'ai fait de la politique pour le pays, pas pour l'argent. Je n'ai pas de formation académique, j'ai gagné les élections grâce à la vérité, l'honnêteté et la sincérité. Le peuple n'est pas idiot, le peuple sait qui soutenir. Être président, c'est garantir le bonheur du peuple, et le bonheur est garanti par la sécurité et la stabilité. J'ai garanti les deux.
Quel niveau de responsabilité vous attribuez-vous dans la crise politique et institutionnelle que traverse actuellement la Bolivie ? Quelle autocritique faites-vous sur vos décisions, votre maintien au pouvoir et votre rôle dans la division du parti au pouvoir ?
Quand nous avons gagné les élections [la présidentielle de 2020, NDLR], depuis l'Argentine, j'ai dit : "Ce n'est pas parce que je suis président du MAS-IPSP que je vais être pris en compte dans le choix du gouvernement, c'est la responsabilité de Luis Arce. Qu'il défende l'instrument politique et qu'il fasse une bonne gestion." Je n'ai pas du tout interféré dans les décisions de Luis Arce.
Le 8 novembre [2020, NDLR], Luis Arce a prêté serment en tant que président. Le lendemain, il a nommé le gouvernement et a laissé de côté quatre ministères. Je ne comprends pas comment il a pu réduire le ministère de la Culture, le ministère de l'Énergie, qui devait accélérer les investissements dans le lithium en tant qu'État et changer la matrice énergétique. À l'époque, j'ai pensé que "Lucho" allait se droitiser, mais je n'en étais pas sûr non plus.
Aujourd'hui, je suis convaincu qu'il s'est droitisé. Pourquoi a-t-il voulu réduire l'État ? C'est la recette de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international. Dans le même temps, il a mis en œuvre des politiques de contraction économique, sous prétexte d'éviter l’inflation.
Craignez-vous qu'en cas de victoire de la droite, l'État plurinational soit en danger ?
C'est la crainte que nous avons, qu'ils éliminent l'État plurinational par une réforme constitutionnelle. Les candidats d'aujourd'hui disent : privatiser toutes les entreprises publiques, en finir avec l'État paternaliste et entrepreneur. Mais les gens rejettent cela.
La version originale de cet entretien, en espagnol, est disponible ici.