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Nauru, le cauchemar sans fin des migrants refoulés par l'Australie

Deux migrants détenus sur l’île de Nauru se sont immolés, conséquence de la politique migratoire de l’Australie, qui sous-traite l’accueil de ces demandeurs d'asile à des micros-États non signataire des conventions des droits de l’Homme.

Hodan Yasin est entre la vie et la mort. Cette Somalienne de 21 ans s’est immolée par le feu dans le centre de rétention de Nauru, cette petite île du Pacifique où l’Australie relègue les demandeurs d’asile qui ont tenté d’entrer illégalement sur son territoire. Transportée le 3 mai à l’hôpital de Brisbane, la jeune femme était, aux dernières nouvelles, dans un état critique "mais les médecins sont optimistes", ont twitté jeudi matin Doctors4refugees, un collectif de médecins défenseurs des droits des demandeurs d’asile.

Avant sa tentative de suicide, Hodan avait été admise en Australie pour recevoir des soins médicaux, et elle espérait pouvoir y rester. Mais sitôt les soins terminés, elle a été renvoyée sur l’île de 21 kilomètres carrés où elle était retenue depuis trois ans. Une décision qui l’a poussé à ce geste désespéré. Comme Omid Masoulmi quelques jours avant elle. Ce migrant iranien de 23 ans, également prisonnier à Nauru, est décédé le 29 avril des suites de ses brûlures dans le même hôpital de Brisbane. Lui aussi s’était immolé par le feu. D’après les médias australiens, il serait resté huit heures en agonie dans le centre avant d’être enfin évacué.

Les destins brisés d’Hodan et Omid illustrent le coût humain de la politique migratoire de l’Australie, qui sous-traite l’accueil de migrants à des micros-États qui ne sont pas tenus par les conventions des droits de l’Homme. Le pays refoule systématiquement toutes les embarcations de migrants qui tentent de l’approcher. Et ceux qui parviendraient à gagner ses côtes sont placés dans des camps de rétention sur les îles de Manus, en Papouasie-Nouvelle-Guinée, de Nauru, un micro-État insulaire du Pacifique, ou sur Christmas Island, un territoire australien dans l'océan Indien.

Viols, violences physiques et psychologiques

S’il reste très difficile de savoir ce qui se passe exactement dans le camp de Nauru – les médias internationaux s’y voient systématiquement refuser l’accès – l’Australie est régulièrement pointée du doigt par les organisations de défense des droits de l’Homme et les Nations unies pour les conditions de vie réservées aux demandeurs d’asile.

"Nous avons reçu des informations faisant état de viols, de harcèlement sexuel et de violences physiques et psychologiques dans ces centres", a déclaré dans un communiqué du 3 mai Champa Patel, conseillère en chef d'Amnesty International, accusant l’État australien d’être responsable du décès d’Omid Masoulmi. "Ce nouveau décès est un triste exemple de plus de la manière dont l'Australie laisse tomber ces personnes, qui sont parmi les plus vulnérables de la planète", ajoute-t-il.

Fin avril, le représentant général du Haut Commissariat aux réfugiés de l'ONU (HCR), Thomas Albrecht, s’est pour sa part montré inquiet de l’"état mental grave" dans lequel se trouvent beaucoup de migrants, et réclamé des actions urgentes pour prévenir une détérioration de leur santé mentale. Un rapport de Fairfax Media publié en janvier indiquait qu'un migrant tentait de se suicider tous les deux jours par automutilation,  pendaison, empoisonnement ou étouffement.

La "solution Pacifique"

Ces camps ont été ouverts en 2001 par le Premier ministre conservateur de l’époque, John Howard, dans le cadre de la "solution pacifique". Destinée officiellement à dissuader les passeurs illégaux, cette politique controversée a été instaurée après l’afflux des "boat people", venus des pays asiatiques voisins. Fermés en 2007, ils ont été rouverts en catastrophe en 2012 par le gouvernement travailliste de Julie Gillard alors que plus de 17 000 migrants avaient tenté, cette année-là, d’atteindre illégalement les côtes australiennes.

En 2013, l’Australie durcit sa loi, stipulant qu’aucun demandeur d’asile arrivant clandestinement par bateau ne sera accueilli comme réfugié, même si sa demande est jugée légitime. Canberra se targue d’avoir ainsi évité tout naufrage en mer, contrairement à l’hécatombe en Méditerranée. La classe politique, quasi-unanime sur ce point, se félicite d’avoir ruiné les affaires des passeurs en dissuadant les migrants de venir en Australie. Et aucune immolation ne semble être en mesure d’infléchir cette ligne politique.

"Aucune action (...) ne conduira le gouvernement à dévier de sa course. Nous n'allons pas permettre que des gens se noient à nouveau en mer", a encore répété le 3 mai, à la presse, le ministre australien de l’immigration Peter Dutton. De ce point de vue, cela semble efficace : les bateaux n’arrivent plus sur les côtes australiennes depuis la mise en place de la loi. Entre 2008 et 2013, au moins 1 200 personnes étaient mortes noyées en tentant de gagner le continent.

Nauru, du rêve au cauchemar

À défaut de laisser les réfugiés se noyer, l’Australie les oublie sur ces îles confettis du Pacifique, sans aucune perspective d’avenir. Début avril, plusieurs dizaines de migrants ont manifesté à Nauru pour rappeler aux autorités qu’ils avaient passé près de 1 000 jours dans le camp. Aujourd’hui, environ 500 personnes – venues principalement d'Iran, Sri Lanka, Afghanistan et Bangladesh – sont toujours enfermées à Nauru et plus de 750 à Manus, en attendant que l’Australie négocie leur hypothétique départ vers un pays tiers.

Canberra cherche des pays d’accueil. Un accord a été conclu avec le Cambodge en septembre 2014, mais malgré les millions de dollars versés à Phnom Penh, seuls cinq réfugiés y ont été transférés. L’Australie songerait désormais au Kirghizistan. En attendant, les migrants sont condamnés à errer sur ces micros-îles qui n’ont rien à leur offrir.

Naru était pourtant il y a vingt ans l’un des pays les plus riches au monde grâce au phosphate pur, minerai précieux dans la fabrication des engrais, dont regorgeaient ses sols. Mais la surexploitation des ressources a tué ses forêts et transformé ses terres en désert. Une mauvaise gestion des finances publiques a aussi plongé le pays dans la faillite. Transformée en paradis fiscal, l’île est aujourd’hui si dévastée et appauvrie que l’évacuation de ses 9 000 habitants – à 95 % obèses en raison des mauvaises habitudes alimentaires lors des années d’opulence – a même été envisagée. L’Australie ne s’est pas proposé pour les accueillir. Pas plus qu’elle ne veut des 500 migrants coincés sur cette prison à ciel ouvert, aujourd’hui menacée par la montée des eaux.