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Pourquoi l’explosion sur un port en Iran éclaire sur les approvisionnements d’armes venues de Chine
Plus de soixante personnes ont trouvé la mort dans une explosion sur le port de Shahid Rajaee en Iran le 26 avril. Plusieurs sources désignent une cargaison comme étant responsable de l’explosion : des containers contenant du perchlorate de sodium - une substance nécessaire à la fabrication du carburant de missiles. Si les causes restent floues, la tragédie met en lumière le rôle de bateaux d'approvisionnement, reliant la Chine à l’Iran, et qui cherchent à dissimuler leurs activités.
Par : Guillaume Maurice

Sur le port de Shahid Rajee, situé à proximité de la ville iranienne de Abndar Abas, une fumée jaune s’échappe d’un container, ce samedi 26 avril. Quelques secondes plus tard, une forte explosion retentit.

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Les premières images du port sont impressionnantes : les containers sont balayés par le souffle, un large cratère s’est formé et une grande partie des quais sont carbonisés.

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Les causes de l’explosion : le flou règne 

Le soir même de l’explosion, une source liée aux Gardiens de la révolution iraniens citée notamment par le New York Times affirme que l’explosion aurait été déclenchée par le perchlorate de sodium présent dans un container. Selon le média américain, cette substance destinée à fabriquer du carburant pour les missiles balistiques iranien aurait été acheminée en cargo depuis la chine.

Pourquoi l’explosion sur un port en Iran éclaire sur les approvisionnements d’armes venues de Chine

Au micro de l’agence Associated Press, l’entreprise Ambrey spécialisée dans la sécurité maritime affirme elle que “l'incendie aurait été le résultat d'une mauvaise gestion d'une expédition de carburant solide destiné à être utilisé dans les missiles balistiques iraniens”. De son côté, un autre expert interrogé par CNN accrédite lui aussi la thèse d’une explosion due au perchlorate de sodium.

Mais selon un expert iranien en chimie des minéraux, qui a requis l’anonymat, interrogé par notre rédaction, “ il est peu probable” que l’explosion ait été générée par le perchlorate de sodium.

De plus, d’autres sources au niveau des autorités iraniennes entretiennent le flou sur les causes de l’explosion. Selon le média iranien Kahabaronline, le président de la commission de la sécurité nationale et de la politique étrangère du parlement iranien aurait affirmé que “le contenu des conteneurs était des matériaux utilisés dans l'agriculture et la santé.”

Les services douaniers relayés par les médias iraniens ont eux fait valoir que “la cargaison importée qui a explosé et pris feu au port de Shahid Rajaee samedi (26 mai) ne possède aucun numéro de conteneur, ni aucune déclaration indiquant qu'elle a été déclarée aux douanes.”

Les causes exactes de l’explosion sont donc difficiles à déterminer. Mais cette tragédie met la lumière sur un autre phénomène : le rôle des navires iraniens dans l'acheminement d’armes depuis la Chine.

Des cargos iraniens, sous sanction américaine, en partance de Chine

Ce n'est pas la première fois qu’une mystérieuse cargaison de perchlorate est évoquée dans les médias. En janvier 2025, le Financial Times citait deux sources issues des services de renseignement occidentaux selon lesquelles deux bateaux, le Golbon et la Jairan, transporteraient cette substance de Chine vers l’Iran. 

Pourquoi l’explosion sur un port en Iran éclaire sur les approvisionnements d’armes venues de Chine

Ces deux porte-conteneurs battant pavillon iranien font l’objet de sanctions de la part du département d'État américain et de l’Union européenne. Ils appartiennent tous deux à une compagnie maritime nommée Islamic Republic of Iran Shipping Lines, considérée par le Trésor américain comme "la compagnie maritime préférée des proliférateurs [nucléaire, NDLR]  iraniens et des agents d'approvisionnement".

Selon David Soud, expert en sécurité maritime et chercheur à l'Atlantic Council, “la compagnie dispose officiellement de 140 navires. Mais cela ne veut pas dire qu’elle n’en détient pas plus de façon officieuse, par le biais de montages fiscaux.”

La compagnie Islamic Republic of Iran Shipping Lines est directement rattachée à l’Organisation pour l’auto-suffisance du jihad. Selon le Trésor américain, cette succursale des Gardiens de la révolution serait “impliquée dans la recherche iranienne de missiles balistiques et les programmes d'essais en vol”.

Pour Farzin Nadimi, spécialiste de la prolifération des armes iraniennes auprès du Washington Institute, l’Organisation pour l’autosuffisance du jihad joue un rôle clé dans l’industrie de l’armement iranienne :

Cette organisation qui dépend des Gardiens de la révolution est  chargée de l'élaboration des programmes de missiles iraniens. Cette structure effectue du reverse engineering : une fois les technologies chinoises perçues par l’Iran, elles sont ensuite copiées et reproduites par l’organisation pour lancer une production domestique de ces modèles.

La Chine fournit des missiles à l’Iran depuis les années 80. Ainsi, les missiles Fateh qui ont récemment servi à frapper Israël sont basés sur des modèles chinois. Pour la fabrication du carburant des missiles, l’Iran dépend également de la Chine. Les Gardiens de la révolution n’ont pas lancé leur propre production domestique - bien qu'ils en soient technologiquement capables - car les coûts sont trop élevés. Le pays continue donc d’acheminer les substances nécessaires à la fabrication du carburant depuis la Chine.

“ Le navire a modifié artificiellement son signal GPS quand il était au port où a eu lieu l’explosion”

Nous avons pu retracer l’historique d’un de ces deux navires, le Golbon. Il est arrivé au large de la Chine depuis Shahid Rajaee en Iran début novembre 2024. Selon les données de navigation disponibles sur le site Global Fishing Watch, le Golbon est resté plus d’un mois dans une zone située entre Zhoushan et Taicang. Mais pendant cette période, il a effectué un mouvement suspect pouvant potentiellement s’apparenter à du spoofing - une technique consistant à simuler un faux signal afin de masquer sa position.

En effet, du 13 au 23 novembre 2024, alors qu’il se situe aux abords du port de Taicang, le signal que le bateau dessine sur le Global Fishing Watch est une trajectoire circulaire peu commune. La trace du cargo disparaît ensuite totalement entre le 24 et 25 novembre 2024.

Pourquoi l’explosion sur un port en Iran éclaire sur les approvisionnements d’armes venues de Chine

Pour David Soud,  la forme dessinée par le bateau à l’arrêt est suspecte et pourrait laisser à penser que le navire renvoie un faux signal afin de masquer sa position :

 Il est étrange que le cargo décide de couper son signal une fois au port. Par contre, il est possible que le Golbon ait stationné entre le 13 et 23 novembre en attente d’une place pour s’amarrer sur le port de Taicang. Cependant, la trajectoire me semble un peu trop géométrique pour un mouillage. S’il s'agit d’une simulation artificielle de trajectoire, c’est peut-être qu’il y a eu une transaction de marchandise avec un autre navire. Mais il est impossible d’affirmer que le cargo simule un faux signal.

Les transferts de cargaison en pleine mer entre deux bateaux sont souvent l’indication d’une tentative de contourner les sanctions. Plus généralement, ces transactions entre navires placés côte à côte sont un moyen d’empêcher le pistage de la marchandise. Mais dans ce cas précis cela m’étonnerait. Les transbordements de bateau à bateau peuvent être risqués. C’est un grand risque pour les Iraniens de tenter une telle manœuvre avec un produit explosif comme le perchlorate de sodium. De plus, la trajectoire du navire pourrait correspondre avec un simple stationnement.

Après un passage de quatre jours dans le port chinois de Zuhai, le Golbon s’est ensuite redirigé vers l’Iran. Le 12 février, un satellite de l’entreprise Maxar le photographie alors qu’il navigue au large du port iranien de Chabahar. Après ce trajet, le navire s’amarre au port de Shahid Rajaee pendant neuf jours.

Une fois passé au port de Shahid Rajee, le Golbon effectue une escale de neuf  jours au port émirati de Fujrairah avant de se  diriger vers l’Inde où il effectuera un passage par les ports de Kandla puis Mumbai entre le 26 février et le 4 mars 2025.

Le cargo coupe son signal et disparaît

C’est à son retour en Iran que la trajectoire du navire devient confuse. Le 13 mars 2025, alors que le Golbon mouille au large du port de Chabahar, il coupe soudainement son signal. Il réapparaît ensuite le 16 mars plus à l’ouest  - comme le permet d’attester la rupture de sa trajectoire marquée par une ligne orange ci-dessous. 

Pourquoi l’explosion sur un port en Iran éclaire sur les approvisionnements d’armes venues de Chine

Une fois arrivée au port de Shahid Rajee, où s’est produite l’explosion survenue le 26 avril, le signal du navire semble être volontairement brouillé. En effet, le 27 mars, la trajectoire indique que le bateau se situe… sur la terre ferme.

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Pour David Soud, ce mouvement est clairement suspect :

Quand le signal d’un navire indique qu’il se situe sur la terre ferme et que sa trajectoire dessine des traits rectilignes, cela signifie que le signal est modifié afin de cacher l’activité du navire. En effet, il est possible d’acheter des appareils qui modifient artificiellement la trajectoire du navire. C’est une technique utilisée par les pétroliers iraniens pour contourner les sanctions.

Dans le cas précis de l’escale du Golbon au port de Shahid Rajee, il est difficile de comprendre pourquoi l’équipage a utilisé cette technique. De fait, il était parfaitement clair que le cargo se situait dans ce port, car les marins n’ont pas brouillé le signal en amont de l’arrivée à Shahid Rajee. 

Il y a donc plusieurs hypothèses. La première est que les autorités ne souhaitent pas que les analystes étrangers qui pistent le navire connaissent le lieu exact de déchargement de la cargaison. La seconde, est qu’il s'agit tout simplement d’une erreur humaine ou d’un changement de personnel à bord du bateau. Le nouvel équipage pourrait avoir soudainement envie de prendre des mesures de sécurité plus strictes. Il est donc impossible de tirer une conclusion claire.

Pourtant, les images satellite montrent que le Golbon était bien en cours de déchargement au port de Shahid Rajee le 27 mars, alors qu’il brouille sa position au sein du port. 

Pour Farzin Nadimi, le trajet du Golbon évoque les méthodes utilisées par les Gardiens de la révolution pour importer des armes : “ils diluent les cargaisons dans le flux des marchandises civiles. Comme pour la contrebande de pétrole, ils brouillent les signaux des bateaux”.

Il n’en reste pas moins impossible d’affirmer en l’état si les cargaisons du Golbon sont responsables ou non de l’explosion du 26 avril.