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"Provocation, inconscience" : Bayrou enflamme les débats sur la suppression de jours fériés
L'annonce par le Premier ministre, François Bayrou, mardi, de la suppression de deux jours fériés, dont le lundi de Pâques et le 8-Mai, a suscité de vives critiques. Deux journées dont la signification et l'impact mémoriel sont sujets à débat. Décryptage. 

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Le président Emmanuel Macron devant la tombe du Soldat inconnu, sous l'Arc de Triomphe, à Paris, lors des commémorations des 80 ans de la la capitulation allemande, le 8 mai 2025. © France 24
1:14:00

Dans le cadre de sa cure budgétaire de 43,8 milliards d'euros, le Premier ministre François Bayrou a suggéré, mardi 15 juillet, de supprimer en France des jours fériés du calendrier. Il a cité le lundi de Pâques et le 8-Mai, tout en se disant "prêt à accepter d'autres idées".

Cette annonce a tout de suite fait réagir de nombreux politiques de toutes tendances confondues. Le patron du RN, Jordan Bardella, a déploré une "provocation" et "une attaque directe contre notre histoire, contre nos racines, et contre la France du travail".

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Le député de la France Insoumise Aurélien Saintoul a également dénoncé sur son compte Twitter l'annonce faite par François Bayrou, "liquidateur", selon lui "de l'héritage du Conseil national de la Résistance". Membre du conseil de Paris, le socialiste Mahor Chiche s'est emporté contre le Premier ministre "qui ne trouve rien de plus innovante et d'absurde que de proposer la suppression du 8-Mai" alors que "la France, la paix sont menacées et où on a une impérieuse nécessité de renforcer le lien intergénérationnel et citoyen". 

Lionel Benharous, maire de la ville des Lilas, où se trouve le fort de Romainville, lieu de détention de milliers de résistants durant la Seconde Guerre mondiale, s'est aussi emporté contre "une inconscience dangereuse". "À l'heure où le racisme et l'antisémitisme retrouvent une audience terriblement inquiétante, où nos valeurs républicaines sont fragilisées, où l'extrême droite est au pouvoir ou s'en approche dans tant de pays, décider que le 8-Mai ne sera plus férié n'est pas seulement une mesure d'austérité, mais aggrave les menaces qui assaillent notre démocratie", a déclaré cet élu sur sa page Facebook. Du côté des syndicats, la numéro un de la CGT, Sophie Binet, a jugé que supprimer le 8-Mai, "jour de la victoire contre le nazisme", serait "très grave". 

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Par ces réactions véhémentes, les personnalités politiques font écho à l'attachement de bon nombre de Français à ces deux jours fériés. Ces dates à l'histoire complexe sont pourtant sujettes à débats. 

Le 8-Mai, pas toujours férié

Comme le souligne l'historien Denis Peschanski sur son compte Facebook : "la commémoration du 8 mai n'a pas été constamment un jour férié". Ce spécialiste de la Seconde Guerre mondiale rappelle que cette journée, qui célèbre la cessation des hostilités en 1945 avec la capitulation allemande, a d'abord été une commémoration qui devait "se dérouler le dimanche, donc soit le 8 mai s'il tombe le dimanche, soit le dimanche suivant". Ce n'est qu'en 1953 que le gouvernement décide d'en faire un jour férié. "Au moment où est votée la seconde grande loi d'amnistie, c'est une façon d'offrir une forme de compensation au monde résistant", explique Denis Peschanski.

Six ans plus tard, le général de Gaulle décide de supprimer le jour férié, mais de maintenir la commémoration nationale. "On peut penser qu'il regarde du côté de l'Allemagne, mais aussi qu'il a, là déjà, une perspective économique et qu'il met l'accent sur le 18 juin et la Résistance, même s'il ne fait pas du jour de l'Appel un jour férié", analyse l'historien. En 1975, l'un de ses successeurs, Valéry Giscard d'Estaing, supprime finalement cette commémoration au nom de l'Europe et de l'amitié franco-allemande, ce qui suscite de vives réactions de la part des associations de résistants et de déportés. 

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Après son arrivée au pouvoir, François Mitterrand décide de rétablir la journée de commémoration et d'en faire de nouveau un jour férié. Pour autant, selon Denis Peschanski, il n'y a pas de corrélation automatique entre la reconnaissance d'un jour férié et son impact dans la société. Le 8 mai, férié ou pas, n'a jamais été une date forte de la commémoration de la Seconde Guerre mondiale". Pour le président du conseil scientifique et d'orientation de la Mission Libération, "il en va tout autrement du 6 juin 1944, devenu commémoration internationale depuis le même François Mitterrand en 1984, mais jamais un jour férié".

L'historien estime aussi que le "8 mai souffre de la concurrence mémorielle, étant loin d'être la référence partout en Europe de l'Ouest, moins encore en Europe de l'Est avec le souvenir de l'emprise soviétique qui suivit la guerre, ou encore en Afrique avec la décolonisation et dans le Pacifique".

Une spécificité française

Dans un message publié sur Facebook, son confrère Raphaël Spina, lui aussi spécialiste de la Seconde Guerre mondiale, note également que "de nombreux pays ne marquent pas le 8 mai comme jour férié, notamment le Royaume-Uni et les États-Unis d'Amérique, sans qu'on puisse les accuser de mépriser la lutte antinazie dont ils ont été des acteurs essentiels, ou des victimes majeures". Le 8 mai n'est ainsi férié que dans deux autres pays européens hormis la France : en République Tchèque et en Slovaquie. La Bulgarie fête le 6 mai la journée de l'armée et du courage et les Pays-Bas la Fête de la libération le 5 mai. Le Luxembourg a la fête de l'Europe, le 9 mai, et en Slovénie, le 27 avril est la "Journée de la résistance contre l'occupation" allemande et italienne. 

Fataliste, Raphaël Spina constate, par ailleurs, que les jours fériés sont censés servir à se rendre au monument aux morts, mais qu'il n'y a guère de personnes présentes le 8 mai, "à part des enfants des écoles emmenés là par leurs enseignants". "À ce train, à quoi bon un jour férié là où une évocation médiatique et une cérémonie officielle suffiraient tout autant au souvenir", résume-t-il.

L'historien soutient que ce n'est pas lui qui "va approuver la suppression éventuelle du 8-Mai comme jour férié", mais il admet que "par élimination" il ne reste plus grand-chose à supprimer. "Personne ne va proposer d'abolir le caractère férié de fêtes familiales comme Noël, Pâques ou Toussaint, de fêtes religieuses comme l'Ascension et l'Assomption qui permettent les sacro-saints ponts", explique-t-il. "Quant au 1er mai férié, syndicats et salariés ne voudront pas qu'on touche à ce précieux héritage du régime de Vichy, qui voulait en 1944 désamorcer ainsi le risque d'avoir encore des grèves ce jour-là", précise Raphaël Spina.

"Aucune signification religieuse" pour le lundi de Pâques

En seconde option, François Bayrou a justifié la suppression du lundi férié de Pâques car il n'a "aucune signification religieuse". Légalement férié depuis 1886, le lundi de Pâques n'est pas marqué par une grande célébration religieuse, même s'il est vraisemblablement le rescapé d'une tradition chrétienne vieille de plusieurs siècles. 

Certains voient dans le lundi de Pâques une réminiscence de l'"Octave de Pâques", qui désigne les huit jours suivant la fête pascale, l'une des plus importantes pour les chrétiens. Cette octave est marquée de messes où les mêmes prières sont répétées chaque jour.

Comme le rappelle le diocèse de Nanterre, cité par l'AFP, la pratique de l'octave religieuse se retrouve déjà dans l'Ancien Testament avec la fête des Tabernacles, et "c'est l'empereur Constantin qui l'a introduite dans la liturgie catholique au quatrième siècle".

La tradition a duré pendant plusieurs siècles. En 1802, Napoléon Bonaparte dépoussière le calendrier des jours fériés et met fin à cette longue semaine chômée. En 1886, le lundi de Pâques (tout comme celui de la Pentecôte) devient légalement férié. Cette date est systématiquement fériée dans 23 des 27 pays de l'UE (cela dépend des régions en Espagne).

Pour Philippe Portier, directeur d'études à l'École pratique des hautes études (EPHE), s'exprimant dans Le Monde en 2023, "il reste que ces deux jours procèdent bien de la tradition catholique". Pour Laurent Stalla-Bourdillon, prêtre et théologien, le lundi de Pâques est "vraiment une fête religieuse. Quand on est catholiques, on fête Pâques toute la semaine". En revanche, pour l'historien des religions Odon Vallet, aujourd'hui "cela n'a pas d'importance religieuse".

Un chiffon rouge ?

Alors que le débat fait rage autour de la suppression ou non de ces jours fériés, certains observateurs soulignent qu'il s'agit d'une diversion. Cité par le journaliste politique Nils Wilcke, un conseiller de l'exécutif s'en amuse : "C'est une mesure qui ne sera jamais votée au Parlement, c'est juste pour laisser les oppositions s'essouffler là-dessus et faire passer le reste".

"La proposition de Bayrou de supprimer deux jours fériés est un chiffon rouge pour qu'on ne parle que de ça pendant des jours sans que les Français ne se rendent compte de tous les autres renoncements annoncés ce jour pour leur santé, les services publics", a aussi dénoncé sur X Marine Tondelier, la secrétaire générale des Écologistes, en faisant allusion aux autres mesures drastiques annoncées par le Premier ministre.

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Au total, la France compte 11 jours fériés. Dans l'Union européenne, la moyenne est de 11,7 jours fériés par an, hors spécificités régionales. Les travailleurs des pays de l'UE bénéficient de neuf à 15 jours fériés, selon un décompte de l'AFP à partir de l'Autorité européenne du travail EURES et d'autorités nationales, excluant les jours fériés tombant par définition un dimanche (comme le dimanche de Pâques).

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Avec AFP