La visite historique de Barack Obama à Cuba, sa poignée de main avec Raul Castro, marquent une nouvelle impulsion dans les relations cubano-américaines. Pourtant, beaucoup de contentieux persistent entre les deux pays.
Barack Obama, premier président américain en exercice à fouler le sol cubain en près de 50 ans, a créé la sensation lors de sa venue à La Havane. Entre la poignée de main avec le président cubain Raul Castro au palais de la Révolution, lundi 21 mars, son tweet "Que bola Cuba ?" [Comment ça va Cuba ?], envoyé juste avant d’atterrir à l'aéroport José Marti, et sa balade en famille dans le quartier historique de la vieille ville, tout a été minutieusement réfléchi par la communication de la Maison blanche pour rendre cette visite aussi historique que photogénique.
Si les Cubains sont venus en nombre accueillir et saluer le président américain dans les rues de la capitale, "cette visite cache de réelles difficultés entre Washington et La Havane à normaliser leur liens, au-delà du rétablissement des relations diplomatiques de juillet 2015", affirme sur France 24 Janette Habel, politologue à l’Institut des Hautes Études de l’Amérique latine (IHEAL). "Le contentieux est lourd entre les deux anciens ennemis de la guerre froide et les intérêts des deux gouvernements actuels ne sont pas les mêmes du tout."
"La levée de l’embargo dépend de l’ouverture politique et économique de l’île"
Le principal obstacle reste l'embargo économique, toujours en vigueur depuis 54 ans. Le Congrès américain à majorité républicaine, qui doit voter sa levée, s'y oppose toujours farouchement. "Son abolition dépend d’un assouplissement politique et économique dans l’île, indique la politologue. Sauf que le gouvernement cubain n’est pas prêt à cela".
Sur ce dossier, Barack Obama "n’avance pas aussi vite qu’il le voudrait", commente sur France 24 Luis Avila, responsable du programme Amérique latine de l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE). À défaut, l’hôte de la Maison blanche tente d'en gommer quelques méfaits. Avant sa venue à La Havane, le président américain a annoncé des assouplissements sur les transferts d’argent à Cuba, mais aussi sur les déplacements d’Américains vers l’île et sur les échanges économiques entre les entreprises américaines et cubaines. Ainsi, le Trésor américain a pu autoriser la chaîne hôtelière Starwood à ouvrir deux hôtels dans la capitale, une première depuis la révolution castriste de 1959. Barack Obama a également annoncé, lundi 21 mars, sur la chaîne américaine ABC que Google allait améliorer le réseau Internet sur l’île.
Mais ces avancées restent encore insuffisantes aux yeux du gouvernement cubain. "L’embargo constitue le plus gros frein à notre développement économique ; il a fait perdre 121 milliards de dollars à Cuba", a dénoncé le ministre des Affaires étrangères cubain Bruno Rodriguez.
Cuba inflexible
Par ailleurs, le rétablissement des relations se heurte aussi à la délicate question des droits de l’Homme. Quelques heures avant l’arrivée de Barack Obama dimanche, des interpellations ont eu lieu à La Havane lors du traditionnel rassemblement des Dames en blanc, ces épouses et proches de dissidents emprisonnés qui réclament leur libération. Coutumiers du fait, les militants ont été libérés très vite. Parmi eux, la responsable du mouvement, Berta Soler, qui s’était exprimée un peu plus tôt auprès des médias : "Ce n’est pas le bon moment de venir à Cuba pour le gouvernement américain, Cuba n’a pas changé, Cuba n’a pas avancé en matière de droits de l’homme", avait-elle indiqué.
Sur ce volet, les autorités cubaines demeurent intraitables. Le ministre des Affaires étrangères Bruno Rodriguez a prévenu la semaine dernière que La Havane n'était pas disposée à "renoncer à un seul de ses principes (...) pour avancer vers la normalisation".
Si Barack Obama s’est engagé à évoquer ce sujet avec Raul Castro lors de leur entretien, aucune avancée n’est attendue. Seule la rencontre du président américain avec des dissidents cubains, mardi, dans le cadre d’un entretien avec des membres de la société civile cubaine, peut laisser espérer quelques déclarations.
"Privilégier une transition progressive"
Enfin, la base de Guantanamo constitue le dernier dossier fâcheux entre Washington et La Havane. Il s’agit d’un véritable fardeau pour Barack Obama, qui s'est toujours engagé à sa fermeture. Les Cubains exigent la restitution de cette zone occupée depuis 1903. Mais la Maison blanche a refusé que ce sujet soit abordé pendant la visite. Selon Amnesty International, 91 prisonniers sont toujours détenus dans la prison de Guantanamo.
Malgré tous ces obstacles, Barack Obama reste bien décidé à laisser une trace dans l’Histoire en contribuant au dégel entre les deux pays. "Notre intention a toujours été de créer une dynamique tout en étant conscients que le changement n'interviendrait pas du jour au lendemain", a-t-il reconnu sur ABC. Nous avons jugé que venir ici serait le meilleur moyen de favoriser plus de changement".
L’hôte de la Maison blanche a mis en place "une stratégie sur le long terme parce qu’il veut privilégier une transition progressive à Cuba", confirme Janette Habel, qui ajoute que les États-Unis veulent aussi "éviter une crise migratoire sur leur territoire, comme cela a été le cas dans les années 1990". Il entend toutefois rendre ce rapprochement "irréversible", afin qu'il se poursuive au-delà de la fin de son mandat, en 2017, et de celui de Raul Castro, en 2018.