L'homme d’affaires Patrice Talon, qui a bâti sa fortune sur la filière du coton, a remporté la présidentielle béninoise en se présentant comme l’homme de la "rupture". Portrait de celui qui prétend vouloir changer la nature du régime.
Son adversaire a reconnu sa défaite avant même l’annonce des résultats provisoires. Dans la nuit du dimanche 20 au lundi 21 mars, Lionel Zinsou a appelé Patrice Talon pour le féliciter de sa victoire à l’élection présidentielle béninoise. "J'ai eu une conversation cordiale avec lui", a déclaré le Premier ministre dans un message publié sur son profil Facebook.
Un respect des règles de bienséance qui tranche quelque peu avec l’âpreté des échanges qui, quelques jours plus tôt, avait marqué le débat télévisé entre les deux finalistes de la présidentielle. La joute à laquelle s’étaient livrés le chef du gouvernement et l’homme d’affaires à coups de petites phrases assassines avait alors viré au duel de personnalités.
D’un côté, Lionel Zinsou, chef du gouvernement et technocrate posé qui, en sa qualité de prétendant désigné par le parti au pouvoir (Forces cauris pour un Bénin émergent, FCBE), incarnait la "continuité". De l’autre, Patrice Talon, hommes d’affaires bateleur et "self-made man" assumé, qui se présentait comme le candidat de la "rupture". Pour faire simple : l’homme du président Thomas Boni Yayi contre l’homme du changement.
itUn destin digne d’un polar
Au-delà du "storytelling" savamment mis en place pour la campagne, celui qui succédera à Boni Yayi incarne-t-il vraiment un renouvellement de la classe politique béninoise ? De prime abord, Patrice Talon détonne dans le paysage politique du Bénin. "Chemise blanche ouverte, costumes cintrés et lunettes de soleil, c'est au volant de son coupé Porsche" que l'homme d'affaires de 57 ans était allé voter, le 6 mars, au premier tour de la présidentielle, comme l’avait alors rapporté l’AFP.
Entrepreneur béninois en vue dont le patrimoine s’élève à 353 millions d’euros, selon le magazine Forbes Afrique, Patrice Talon n'est pas du genre à s'excuser d'être riche. L’homme a construit sa fortune et sa réputation lorsqu’il dirigeait un empire agro-industriel incluant un quasi-monopole sur la filière coton et le contrôle du Port autonome de Cotonou.
Un parcours de "golden-boy" qui s’est brutalement interrompu après son implication présumée dans une affaire digne des plus grands polars. Longtemps proche de Boni Yayi, dont il avait financé les deux campagnes présidentielles en 2006 et 2011, le "roi du coton" est devenu l'ennemi numéro un du pouvoir pour des malversations supposées. D’abord accusé d’avoir détourné plusieurs millions de dollars dans le cadre de ses fonctions, Patrice Talon fut ensuite soupçonné d’avoir tenté d’empoisonner le chef de l’État sortant, puis d’attaquer l’avion présidentiel.
itExilé plusieurs années à Paris, Patrice Talon a attendu que Thomas Boni Yayi lui accorde son pardon pour effectuer son retour au pays. Et se lancer dans la course à la magistrature suprême. Fort de la haine qu’il suscite au palais présidentiel, il se présente comme le candidat à même de tourner la page Yayi. Reste que parmi ses soutiens, beaucoup viennent du sérail. L’hebdomadaire Jeune Afrique rappelle ainsi que chez les alliés de Patrice Talon, on compte un beau-frère de Boni Yayi (Marcel de Souza), mais aussi quatre anciens ministres (Napondé Aké, Nassirou Bako Arifari, Kogui N’Douro, Pascal Koupaki) ainsi qu’un ex-conseiller du président (Chabi Sika).
"Je partirai dans cinq ans, c’est certain"
"Quand on voit ceux qui soutiennent Talon, on se rend compte qu’il y a des anciennes figures politiques béninoises et des anciens ministres de Yayi. Nous ne sommes pas dans quelque chose qui va changer radicalement la manière de faire de la politique", constatait avant le second tour Cédric Maydrargue, expert de la vie politique béninoise au pôle de recherche Les Afriques dans le monde (LAM).
Déclaré vainqueur avec un confortable score de 65,39 %, Patrice Talon devra prouver qu’il est bien l’homme de la "rupture" et non pas des réseaux. Cet adepte du "bling-bling" nourrira-t-il pour le pouvoir le même goût qu’il a aujourd’hui pour le luxe ? Parmi ses promesses de campagne figure une réforme institutionnelle qui entend mieux redistribuer les pouvoirs au sein d’un régime "hyper-présidentiel". Sa mesure-phare : l'instauration d'un quinquennat unique. "Je partirai dans cinq ans, c’est certain", a-t-il répété sur RFI le 17 mars.