Durant 10 mois, en 1916, la bataille de Verdun opposa les poilus aux soldats du Kaiser. Des Américains participèrent à cet affrontement au volant de leurs ambulances en assurant l'évacuation des blessés.
"Une vingtaine d’obus tombèrent autour de nous. C’était le bombardement le plus important auquel j’avais jamais assisté. J’étais content que mon esprit soit occupé pour ne pas trop y penser. Deux hommes qui se trouvaient à un peu moins de 100 mètres furent décapités et plusieurs chevaux trouvèrent la mort. Je pouvais sentir que nous allions vivre une période mouvementée". L'auteur de ces mots n'est pas un soldat français mais un Américain, William Yorke Stevenson, venu secourir les poilus sur le front de Verdun en 1916*.
Bien qu'à cette époque, les États-Unis ne soient pas encore entrés en guerre aux côtés des Alliés, une poignée d’Américains apportent déjà leur aide à la France. Dès septembre 1914, l’hôpital américain de Neuilly se mobilise pour soigner les blessés du front. Au même moment, quelques centaines de jeunes volontaires, la plupart issus de la Ivy League, les grandes universités privées du nord-est des États-Unis, embarquent pour l’Europe. "Certains voulaient probablement 'sauver la civilisation des barbares', d’autres avaient de vieux liens de famille avec la France et l’Angleterre, mais la majorité d’entre eux cherchaient surtout un peu d’excitation et d’aventure", explique Ross Collins, professeur à l’Université du Dakota et spécialiste de la Première Guerre mondiale.
Des ambulanciers américains sous les ordres de l’armée française
En France, trois organisations d’ambulances américaines viennent de se créer : la Harjes Formation, l'American Volunteer Motor Ambulance, et l’American Field Service (AFS), fondée en 1915 et qui devient la plus importante. "Initialement, les militaires français interdisaient aux volontaires des pays neutres, à l’exception des soldats de la Légion étrangère, de se rendre près du front car ils avaient peur des espions. Mais au début de l’année 1915, ils y ont finalement autorisé les ambulanciers", décrit Ross Collins. "En contrepartie, l’AFS était sous commandement de l’armée française jusqu’à l’entrée en guerre des États-Unis en avril 1917. Un officier français s’occupait de chaque unité et un assistant américain relayait ses ordres". Les ambulanciers américains sont alors soumis aux mêmes règles et à la même discipline que les soldats. Ils reçoivent par ailleurs la même solde et les mêmes rations que les poilus.
Lorsque éclate la bataille de Verdun fin février 1916, l'une des plus sanglantes de la Grande Guerre, les volontaires de l’AFS sont, bien entendu, sollicités pour s’occuper des très nombreux blessés. Pendant les 10 mois de combats entre les Français et les Allemands dans cette région fortifiée de la Meuse, trois sections se relayent au volant des ambulances, des Ford T spécialement aménagées, soit environ une soixantaine d’hommes. Dans l’enfer des combats, ces jeunes américains sont témoins de la boucherie qui se déroule aux confins de l'Hexagone. "Les blessés, capables de marcher, passaient devant les rayons des phares, le rouge des taches de sang se détachait du blanc de leurs bandages, présentant un vif contraste. Au poste de secours, les hommes qui étaient morts dans les ambulances étaient jetés à la va-vite sur l’herbe, au bord de la route, et recouvert d’un drap. Je n’avais jamais vu un tel cirque", raconte Henry Sheahan, un ancien étudiant de Harvard, âgé de 28 ans**. Même s’ils ne vivent pas le quotidien des poilus dans les tranchées, les ambulanciers ne sont pas non plus à l’abri des bombardements. Au total, tout au long de la Première Guerre mondiale, sur près de 2 500 volontaires de l’AFS qui ont secouru les poilus évacuant plus de 400 000 hommes, 127 y ont perdu la vie.
"Sauver des milliers de vie"
Selon Nyssa Runyan, diplômée de l’Université de Washington State, auteur d'une étude sur le sujet, leur rôle a eu un impact durable : "L’AFS a démontré l’efficacité des ambulances motorisées. Le modèle mis en place par l’AFS a ensuite été utilisé par l’armée américaine pendant de nombreuses années. Même s’il n’y a pas de bilan exact, cette organisation a permis de sauver des milliers de vie et de nombreux conducteurs ont reçu des décorations françaises pour les services rendus à la France et à sa population". Avec son roman, "L'adieu aux armes", l'écrivain américain Ernest Hemingway, lui-même ambulancier pour la Croix-Rouge durant la Grande Guerre en Italie, les a même fait rentrer dans la légende. Mais le plus bel hommage leur est rendu dès 1916 par l'ancien président Théodore Roosevelt : "La chose la plus importante qu'une Nation peut sans doute sauvegarder est son âme propre, et ces jeunes gens ont aidé cette Nation à sauvegarder son âme. Il n'y a pas un Américain digne de ce nom qui n'ait contracté une grosse dette d'obligation à l'égard de ces jeunes gens pour ce qu'ils ont fait. (…) Aidons-les autant que nous le pouvons pour rendre leur effort aussi effectif que possible".
Son souhait a été exaucé. Cent ans plus tard, l’American Field Service existe toujours. Loin des théâtres de guerre, l’organisation œuvre désormais pour la paix et pour le rapprochement des cultures en proposant aux jeunes des programmes d’échanges internationaux dans plus de 50 pays.
*Extrait tiré de ses mémoires, "At the Front in a Flivver" (Au front dans un tacot), publié en 1917
**Extrait tiré de ses mémoires, "A Volunteer Poilu" (Un poilu volontaire), publié en 1916
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