
Le FN continue sa progression électorale car il est aujourd'hui en position de conquérir au moins deux régions sur treize. Le parti a peut-être bénéficié de l’émotion qui frappe la France depuis les attentats du 13 novembre.
L'organisation de l'État islamique a-t-elle donné un coup de pouce au Front national ? Trois semaines après avoir connu la plus terrible attaque terroriste de son histoire récente, la France a hissé le parti frontiste à un sommet qu’il n’avait encore jamais atteint, soit 27,7% au niveau national. C’est près de trois points de plus que son précédent record lors des départementales, qui remonte à neuf mois seulement.
Trois points en moyenne nationale, cela peut représenter cinq ou six points de mieux dans les régions où le Front national (FN) est bien ancré. En Nord-Pas-de-Calais-Picardie ou en Provence-Alpes-Côte-d’Azur (PACA), où il dépasse les 40 %, cela lui a sans doute permis de faire le "trou" avec le candidat du parti Les Républicains. Un écart de 14 à 15 points, qui semble pratiquement irrattrapable, même avec le retrait de la liste socialiste arrivée troisième.
Trois points qui font une énorme différence. Le FN existe et s’est même enraciné en France depuis une trentaine d’années. Il n’a donc pas attendu que l’organisation de l'État islamique (EI) menace la France pour prospérer. Il a connu des hauts et des bas en exploitant la peur : celle du chômage, de la désindustrialisation, de la mondialisation et de l’euro, de la délinquance (surtout la petite, celle dont les Français sont directement victimes lorsqu’ils sont cambriolés ou que leur voiture est volée ou brûlée) et bien sûr de l’immigration et de l’islam.
Les carburants du FN : le chômage... et le terrorisme
Selon l’institut Ipsos 4 électeurs sur 10 ont voulu, par leur vote, sanctionner le gouvernement et le président de la République. C’est particulièrement le cas de ceux qui ont choisi le parti d’extrême droite. Parmi eux, 44 % se sont déterminés en raison du chômage. Les autres peurs sont toujours bien là, mais une autre s’est hissée en deuxième position (32 %), celle du terrorisme.
Or, sur cette question, toujours selon Ipsos, les électeurs du FN se distinguent en affirmant que ce parti, selon eux, serait plus à-même de les protéger. Autrement dit, ils ont la foi, lorsque les autres Français sont relativement désabusés.
Il est aussi paradoxal de noter qu’à Paris et en Ile-de-France, où la menace de nouveaux attentats est la plus angoissante, on a moins qu’ailleurs voté pour le FN. Encore que, en région parisienne aussi, le parti d’extrême droite progresse de façon spectaculaire.
Une autre contradiction a également été relevée à plusieurs reprises par les spécialistes de la carte électorale sur la question de l’immigration : en règle générale, les Français qui côtoient de nombreux immigrés dans leur vie quotidienne votent beaucoup moins FN que ceux qui vivent en périphérie immédiate de ces quartiers. Un peu comme s’ils réagissaient à la peur de l’"envahissement", sous le coup d’un fantasme de relégation et de déclassement renforcé par des médias télévisuels de plus en plus anxiogènes. Une peur de second plan, en quelque sorte, plutôt qu’une réalité.
Une participation en hausse à cause des attentats ?
Il est difficile de savoir si les terroristes du 13-Novembre ont consciemment frappé à quelques semaines du scrutin, dans le but de déstabiliser la démocratie. Le 11 mars 2004, l’attentat sanglant de la gare d’Atocha, à Madrid, dans lequel près de 200 personnes trouvèrent la mort, frappa le pays trois jours avant la date des élections générales. La tendance mesurée par les sondages fut inversée et les socialistes, qui réclamaient le retrait des troupes espagnoles d’Irak, furent portés au pouvoir. On peut quand même noter que le FN est sans doute le parti politique français qui peut "plaire" le plus à l’EI en raison de son opposition catégorique aux frappes en Syrie.
Ce n’est pas verser dans le complotisme que de constater que les électeurs sont sensibles à l’émotion et qu’il est facile pour les terroristes d’en jouer. Quoi qu’il en soit, il est tout à fait raisonnable de penser que ces attentats d’une violence sans précédent, ajoutés à la peur d’être envahi par une vague de réfugiés syriens parmi lesquels pourraient se dissimuler des terroristes, ont sans doute déplacé 2 à 3 % d’électeurs - et sans doute davantage dans les régions qui lui sont acquises - de la droite républicaine vers le FN.
Par contraste, le Parti socialiste, qui subit l’usure du pouvoir et les critiques de l’opposition, mais dont les leaders ont eu une attitude digne et responsable dans cette dernière période, résiste bien, ce qui est plutôt inattendu.
De 2 % à 3 % d'électeurs cela peut sembler dérisoire pour un parti qui était déjà arrivé premier lors des départementales, deux mois après les attentats de janvier à Paris. Mais cela peut faire la différence lors du second tour des régionales et finalement offrir au FN deux ou trois régions parmi les plus peuplées de France.