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Que sait-on du "cargo de l'horreur", bloqué deux mois en mer avec 2 900 vaches à son bord ?
Plus de 2 900 vaches sont restées bloquées deux mois à bord d'un cargo bétailler en provenance d'Uruguay et interdit de débarquer en Turquie. Plusieurs ONG de défense des animaux appellent à une enquête internationale, s'alarmant du possible déversement de cadavres en mer après avoir signalé la mort de dizaines de vaches.
Le bétailler Spiridon II photographié le 5 avril 2022. © Ethan Yawney, Marine Traffic

Cet événement est considéré par les associations de défense des animaux comme "l'un des pires cas de transport d'animaux vivants de l'histoire récente".

Après un voyage d'un mois depuis Montevideo, en Uruguay, le cargo Spiridon II est resté ancré au large de Bandirma, à l'ouest de la Turquie, durant un mois supplémentaire, interdit de débarquer faute de certificats sanitaires et commerciaux appropriés. À son bord, 2 901 vaches, dont 1 400 gestantes. Plusieurs dizaines de bêtes seraient mortes, et plus d'une centaine auraient mis bas dans des conditions désastreuses.

Le gouvernement uruguayen a annoncé lundi 24 novembre que les bovins ont débarqué en Libye "en bonne santé".

Le jour-même, la Fondation pour le bien-être animal (Animal Welfare Foundation, AWF) a appelé à une enquête internationale, s'alarmant du possible déversement de cadavres en mer.

Dix jours auparavant, elle avait déjà alerté sur le blocage de ce "cargo de l'horreur", signalant la mort d'au moins 58 bovins durant la traversée de l'Uruguay à la Turquie, précisant à cette date qu'"au moins 140 vaches [avaient] mis bas à bord".

"Les nouveau-nés vivants ont une existence très difficile", dans "un enclos surpeuplé" poursuivait l'ONG, estimant "fort probable que la plupart des veaux soient morts".

Des animaux morts jetés par-dessus bord ?

Selon l'AWF, le bétailler battant pavillon togolais sur lequel des dizaines de bovins sont morts, avait repris la mer lundi, sans que l'on puisse savoir s'il transportait encore des bêtes, et il a coupé son signal, dans le but "possible d'éviter des contrôles".

L'extinction du signal pendant trois jours la semaine dernière soulève des questions, notamment sur le possible déversement par-dessus bord d'animaux morts, ainsi que le lisier et déchets accumulés durant deux mois, ce qui serait une "claire violation de l'accord international sur la protection marine Marpol".

L'ONG fonde ses suppositions sur des images satellitaires montrant le pont vide, sans les grands sacs blancs repérés auparavant et suspectés de contenir les corps.

"Nous assistons à l'une des plus graves violations de la protection marine et du bien-être animal enregistrées ces dernières années – et à un nouvel exemple de l'échec structurel du transport d'animaux vivants par la mer", a commenté Maria Boada Saña, vétérinaire pour l'AWF.

La Fondation appelle à une enquête "immédiate", de la part de l'Organisation mondiale de la santé animale et de l'Organisation maritime internationale, avec examen des animaux – à bord ou en Libye –, et à des investigations pour violations éventuelles de l'accord Marpol. Elle appelle aussi à l'interdiction du transport d'animaux vivants en haute mer.

Dimanche, des camions de transport d'animaux ont été vus quittant le port libyen de Benghazi, dans l'est du pays, où le navire a été dérouté alors qu'il devait repartir vers l'Uruguay, indique, citant une source sur place, la fondation, pour qui "au moins une partie des [quelque] 3 000 bêtes ont été débarquées en Libye, un pays sans contrôles effectifs en matière de bien-être et de transport animaliers".

L'Uruguay a évoqué un désaccord entre l'exportateur et l'importateur. La semaine dernière, il avait indiqué que le bétailler entamait son voyage de retour, précisant qu'il tenterait de réacheminer le bétail vers une autre destination.

"Des inspections ont révélé que certains animaux n'étaient pas munis de boucles auriculaires ni de puces d'identification électronique, et que 469 d'entre eux ne correspondaient pas aux listes fournies", ce qui a conduit à l'interdiction d'entrée du bétail, a de son côté indiqué le gouvernement turc.

Le transport d'animaux vivants en question

Lundi, l'Uruguay a réaffirmé que "cette affaire ne soulève aucune préoccupation sanitaire concernant le bétail exporté" et qu'il s'agit d'un différend entre parties privées.

Conformément aux directives de l'Organisation mondiale de la santé animale, en tant que pays exportateur, l'Uruguay reste responsable du bien-être animal tout au long du transport, y compris en cas de retards imprévus et de situations d’urgence.

À ce jour, le pays d'Amérique du Sud a exporté plus de 269 000 têtes de bétail vers la Turquie en 2025, selon les données officielles. Avec 3,5 millions d'habitants et environ 12 millions de têtes de bétail, il est un grand pays exportateur de produits agricoles.

Avec le débarquement des 2 901 animaux, cette situation, qui était suivie par les autorités sanitaires, les organisations internationales et le public, "est définitivement résolue", a souligné lundi le ministère uruguayen de l'Élevage, de l'Agriculture et de la Pêche.

Les autorités à Benghazi n'ont quant à elles livré aucune information.

Dans un communiqué publié lundi, la Fondation pour le bien-être animal affirme que "la souffrance" de ces bovins "aura un impact considérable et renforcera la pression politique pour que ces transports brutaux d'animaux vivants appartiennent enfin au passé".

"Tant que des navires chargés d'animaux traverseront les mers, de telles tragédies pourront se produire à tout moment, sur n'importe quel navire, depuis n'importe quel continent, y compris l'Europe", poursuit l'AWF. "C’est pourquoi nous exigeons fermement que les exportations d’animaux vivants par voie maritime soient interdites."

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En 2021, un rapport de l'ONG Robin des Bois, rédigé en partenariat avec l'AWF, dénonçait les conditions de vie des animaux transportés dans des bétaillères maritimes agrées par l'Union européenne – ce qui est le cas du Spiridon II, selon un récent article de l'ONG –, soulignant qu'"en mer, une machine-outil est transportée avec plus de soins qu'une vache et un lot d'ordinateurs avec plus de précautions qu'un troupeau de moutons".

Le rapport faisait état de manquements considérables au bien-être animal, évoquant des "bêtes pataugeant dans leurs excréments, litières détrempées, air intérieur saturé par l’ammoniaque des urines, eau d’abreuvage tiède et insalubre, incendies meurtriers, cadavres d’animaux jetés à la mer, zoonoses en huis clos".

"Cette situation viole de multiples normes internationales de bien-être animal", dénonce l'Organisation internationale pour la Protection des animaux (Oipa). "Ce commerce archaïque et violent traite des êtres sensibles comme des marchandises et nous demandons une déclaration claire exigeant une inspection portuaire de l'UE ou un accès d'urgence à la nourriture, à l'eau et aux soins vétérinaires."

Comme le rappelle l'ONG, "le transport d'animaux vivants par voie maritime est plus économique pour certains négociants, car les animaux vivants sont plus faciles à transporter que la viande congelée". Aussi, précise-t-elle, "afin de minimiser les coûts, les entreprises utilisent des navires anciens et vétustes [le Spiridon II a été assemblé en 1973, NDLR], réaménagés pour le transport d'animaux."

Avec AFP