Le procureur de New York a ouvert une enquête visant à savoir si Exxon a volontairement caché le fait qu’il était au courant des effets désastreux de l'exploitation pétrolière sur le climat.
Après les mensonges de l’industrie du tabac, ceux des groupes pétroliers ? Le procureur de New York a lancé une procédure mercredi 4 novembre contre Exxon Mobil pour savoir si le géant texan a volontairement caché pendant des décennies au public et aux investisseurs que son métier pouvait avoir de lourdes conséquences pour le climat, révèle le "New York Times" du 5 novembre.
Pour l'image d'Exxon, cette enquête est mauvaise à quelques semaines d’une conférence internationale cruciale sur le réchauffement climatique à Paris. La procédure est inédite et, si elle aboutit, pourrait déclencher un enfer juridique et financier pour toute l’industrie pétrolière aux États-Unis, souligne le "Los Angeles Times", qui est l’un des premiers médias américains à avoir tiré la sonnette d’alarme au sujet des prétendus mensonges d’Exxon, il y a près de deux mois. Ce qui compte pour l’un des groupes pétroliers peut, en effet, aussi valoir pour les autres.
30 millions de dollars en lobbying
Le roi américain de l’or noir doit ses problèmes judiciaires actuels à des documents qui remontent à la fin des années 1970. Des scientifiques d'Exxon auraient averti leur direction dès 1977 que l’industrie du pétrole devait agir rapidement pour éviter que le commerce du pétrole, de l’extraction à l’essence utilisée par les voitures, ne soit trop nuisible pour l’environnement. C’est en tout cas ce qu’affirme depuis mi-septembre 2015 le site InsideClimate (lauréat du prix Pulitzer en 2013) qui a pu se procurer des documents d’époque et s’est entretenu avec d'anciens employés d’Exxon.
Les révélations d’InsideClimate, relayées puis complétées par le "Los Angeles Times", dressent le portrait d’une entreprise qui a non seulement choisi d’ignorer les mises en garde de ses scientifiques, mais aussi dépensé des fortunes au fil des ans pour cacher le fait qu’elle détenait ces informations afin de pouvoir continuer à vendre son pétrole en paix. La plupart des médias ont alors établi le parallèle avec l’industrie du tabac qui, pendant des années, a financé des campagnes de publicité et des études pour contrer les affirmations sur la nocivité de la cigarette.
Le géant pétrolier, quant à lui, a dépensé 30 millions de dollars en près de trente ans pour financer des groupes de pression climatosceptiques, affirme de son côté l’ONG Greenpeace. Exxon a même refusé les appels répétés de la famille Rockefeller, qui a pourtant fondé cet empire pétrolier, à reconnaître la réalité du réchauffement climatique, rappelle le quotidien britannique "The Guardian".
Hilary Clinton veut une enquête
La multiplication des révélations et des accusations portées par un nombre croissant d’ONG a rapidement déplacé l’affaire sur le terrain politique. Les principaux candidats à l’investiture démocrate ne se sont pas fait prier pour s’emparer d’un scandale qui mêle deux sujets porteur dans le camp démocrate : le réchauffement climatique et le combat contre les multinationales. Hilary Clinton a ainsi demandé, fin octobre, à la justice d’ouvrir une enquête fédérale contre Exxon. Elle rejoignait ainsi la position de son principal concurrent à l’investiture démocrate, Bernie Sanders.
Face à cette pluie de critiques, Exxon a fait évoluer sa défense. Le groupe pétrolier a tout d’abord accusé InsideClimate de ne choisir que les témoignages qui l’arrangent alors que le géant "fait des recherches sur le sujet depuis quarante ans". Il a ensuite créé une page Internet pour discréditer les accusations en soulignant que ces “révélations” nétaient que des "opinions". Le PDG d’Exxon, Rex Tillerson est monté au créneau mercredi 4 novembre sur la chaîne conservatrice Fox qualifiant les accusations “d’infondées”.
Cette implication personnelle démontre que le groupe commence à prendre toute l’affaire très au sérieux. Si l’enquête new-yorkaise établit qu’Exxon a menti délibérément, cela pourrait "entraîner la même vague de recours collectifs que dans les années 1990 contre l’industrie du tabac", assure au "Los Angeles Times" Kenneth Rumelt, un professeur de droit de l’Université du Vermont. À une différence près : les fabricants de cigarettes étaient essentiellement pris pour cible par des fumeurs que leur addiction a rendus malades, alors que le réchauffement climatique favorisé par les émissions carbones dues en partie à l’industrie du pétrole ont des conséquences sur tout le monde.