Après l'annonce du gouvernement de Viktor Orban de dresser une clôture à la frontière serbe pour contrer l’immigration clandestine, experts, militants et responsables politiques européens fustigent un projet dangereux.
Alors que l’Union européenne (UE) essaie de faire face à l’une des pires crises migratoires de ces dernières années en essayant de convaincre les Vingt-Huit d’agir pour une répartition plus solidaire des réfugiés sur leur territoire, la Hongrie a annoncé, mercredi 17 juin, la construction d'une clôture de quatre mètres de haut sur les 175 kilomètres de sa frontière avec la Serbie pour stopper l'entrée de migrants.
Le très à droite gouvernement de Viktor Orban affirme avoir vu affluer 54 000 réfugiés et demandeurs d'asile depuis janvier, contre 2 000 au total en 2012. L’Agence des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) avance, quant à elle, le chiffre de 13 000. Selon le Budapest, 95 % des migrants entrant en Hongrie le font par la frontière serbe. Quelque 75 % d'entre eux arrivent de Syrie, d'Irak et d'Afghanistan, dont ils fuient les combats.
Les travaux pour ériger cette clôture commenceront "dès l'achèvement de la phase préparatoire" prévu le 24 juin, a indiqué le gouvernement. "De tous les pays de l'Union européenne, la Hongrie est celui qui subit la plus forte pression migratoire, a justifié le ministre hongrois des Affaires étrangères, Peter Szijjarto. Une réponse commune de l'UE à ce défi prend trop de temps et la Hongrie ne peut plus attendre. Elle doit agir."
"La solution n'est pas de dresser des murs"
Pour nombre d’experts, responsables politiques et militants, l’installation d’une barrière physique au milieu de l’Europe renvoie aux sombres heures où le continent était divisé. L'ONG Comité d'Helsinki à Budapest a ainsi évoqué un "nouveau Rideau de fer".
Peu après l’annonce de Budapest, le Premier ministre serbe, Aleksandar Vucic, s’est dit "surpris et choqué". "La solution n'est pas de dresser des murs. La Serbie ne peut pas être responsable de la situation créée par les migrants, nous ne sommes qu'un pays de transit. La Serbie est-elle responsable de la crise en Syrie ?", s'est interrogé le chef du gouvernement serbe qui a souligné que les clandestins, dont nombre de Syriens fuyant la guerre dans leur pays, arrivaient dans son pays en provenance de Grèce et de Bulgarie, pays membres de l'UE.
Jeudi, la Commission européenne a exprimé ses réticences sur le projet hongrois. "La Commission encourage les États membres à utiliser des mesures de remplacement", a déclaré une porte-parole, Natasha Bertaud, lors d'un point de presse. "Nous n'avons abattu que récemment des murs en Europe, nous ne devrions pas nous mettre à en construire de nouveaux", a-t-elle ajouté, en allusion à la décision de la Hongrie d'ouvrir progressivement sa frontière avec l'Autriche en 1989, déclenchant un mouvement d'ouverture Est-Ouest qui culmina avec la chute du mur de Berlin en novembre.
"Rien de rationnel"
D'après Thomas Huddleston, l’un des responsables du groupe de réflexion Migration Policy Group, basé à Bruxelles, "les professionnels sur le terrain sont paralysés de peur par ce que ce pays est en train de préparer en termes de politique migratoire".
"Les migrants sont devenus des pions de la guerre politique qu’Orban mène à l’UE, affirme-t-il à France 24. La rhétorique utilisée est extrêmement virulente et xénophobe. Les réfugiés sont décrits comme des terroristes qui viennent prendre aux Hongrois leur travail, leur gagne-pain et leurs allocations. Mais la vérité, c’est que la Hongrie n’a même pas vraiment de problèmes de migration. Elle fait partie des pays du continent qui comptent le moins de citoyens non-Européens. Cette posture ne répond à rien de rationnel."
>> À voir dans le Débat de France 24 : Migrants en Méditerranée : le naufrage européen
Depuis qu’elle a perdu, en mai, une élection partielle contre le parti nationaliste Jobbik, la Fidesz, la formation de Viktor Orban, n’est plus accusée de flirter avec l’extrême-droite mais d’adopter carrément son idéologie. Le mois dernier, le gouvernement a ainsi suscité une vaste polémique en envoyant à 8 millions de Hongrois un courrier les invitant à répondre à 12 questions sur l’immigration, que l’UE a jugées "malveillantes et fausses".
L'une des questions de cette consultation nationale était ainsi rédigée : "Certaines personnes pensent que la mauvaise gestion des questions d'immigration par Bruxelles et la propagation du terrorisme sont liées. Êtes-vous d'accord ?" Une autre demandait aux sondés s’ils pensaient que les migrants menaçaient leurs emplois.
Attentats de Paris et immigration
Ce questionnaire était accompagné d’une lettre dans laquelle Viktor Orban liait l’immigration aux attentats sanglants perpétrés en janvier à Paris. "Cet incompréhensible acte d’horreur a démontré l’incapacité de Bruxelles et de l’Union européenne à faire face au problème de l’immigration", écrivait-il. Et d’affirmer, plus loin : "Les migrants économiques traversent nos frontières illégalement en se présentant comme des demandeurs d’asile, mais, en réalité, ils viennent profiter des protections sociales et des opportunités de travail qu’offrent nos pays. Il s’agit d’un nouveau genre de menace – une menace que nous devons stopper maintenant."
La semaine dernière, le gouvernement de celui qui se pose en défenseur de "la civilisation européenne" a franchi un cap supplémentaire en lançant une campagne d’affichage anti-immigration pour le moins agressive. "Si vous venez en Hongrie, vous ne pouvez pas prendre le travail des Hongrois", "Si vous venez en Hongrie, vous devez respecter notre culture !", disent les affiches placardés ces derniers jours dans Budapest.
L’opération a d’autant plus soulevé la controverse qu’elle est intervenue en même temps que celle de l’UNHCR vantant les bienfaits de l’immigration en Hongrie. "Que ces deux campagnes soient lancées en même temps constitue une coïncidence vraiment particulière, affirme à France 24 Erno Simon, le porte-parole du UNHCR en Hongrie. Notre but n’était pas de réagir aux nouvelles mesures du gouvernement mais de montrer que les réfugiés vivant en Hongrie sont des gens comme nous, qu’ils souhaitent seulement vivre en paix et qu’ils peuvent contribuer au développement du pays."
Pour les migrants, les positions du gouvernement Orban sont loin d’être rassurantes. Ceux qui ont appris la langue hongroise ont été intimidés par la campagne d’affichage gouvernementale, rapporte Erno Simon. "Ils sont préoccupés par ce que l’avenir leur réserve."