De fausses accusations de christianophobie contre un membre du nouveau gouvernement syrien : début janvier, de nombreux comptes sur X ont affirmé que Murhaf Abu Qasara, nommé ministre de la Défense le 21 décembre, avait été filmé en train de détruire une statue de la Vierge Marie.
"La personne qui a détruit la Vierge Marie [...] est maintenant le ministre de la Défense du nouveau régime syrien soutenu par les Etats-Unis", a déclaré le compte X Syrian Girl, connu pour ses positions pro-Assad et régulièrement épinglé comme un relais de désinformation, dans un post publié le 5 janvier et vu près de 500 000 fois.
Sur quoi s'appuient ses dires ? Ce compte, de son vrai nom Maram Susli, soutient que le nouveau ministre a été filmé dans une vidéo d'une vingtaine de secondes, dans laquelle on le voit jeter au sol une statue de la Vierge Marie. Dans l'extrait en question, on peut entendre l'homme dire : "Les idoles ne seront plus adorées au Levant à partir d'aujourd'hui".
Omar Gharba, un religieux de l'EI dénoncé par la Coalition nationale syrienne
La personne dans cette vidéo n'est pas Murhaf Abu Qasara. Il s’agit d’un islamiste proche de l'EI du nom d'Omar Gharba. Contrairement à ce qu’ont également prétendu plusieurs comptes sur X, la séquence n'est pas récente et remonte à 2013. Dès sa republication, plusieurs comptes en ligne, dont le journaliste Rami Jarrah - qui a collaboré par le passé avec les Observateurs de France 24 - ont dénoncé une "fake news".
Le média de vérification syrien Verify-Sy a retrouvé, par des recherches d'images inversées (voir notre guide sur ce procédé), l'origine de la vidéo, qui a commencé à circuler sur Facebook le 28 octobre 2013, soit deux ans après le début du soulèvement en Syrie, ainsi qu'un communiqué (archivé ici) de la Coalition nationale syrienne (CNS) publié le lendemain à ce sujet.
Dénonçant "la destruction des lieux saints chrétiens", la Coalition, qui regroupait depuis 2012 les différents mouvements d'opposition au régime de Bachar al-Assad, avait indiqué que la personne dans la vidéo s'appellait "Omar Gharbaa", un "émir d'un bataillon de l'Etat islamique", également visible sur une photo partagée sur leur site.
Le profil d'Omar Gharba et l'histoire de la destruction de la statue de la Vierge Marie est documenté depuis plusieurs années. En 2013, le journal Le Monde avait indiqué que la vidéo avait été filmée devant "une église ou un oratoire du village chrétien d’al-Ya’qoubiyeh, dans le gouvernorat d’Idlib au nord-ouest de la Syrie". Le journal, qui a publié une autre photo de Gharbaa, précise que ce dernier se présentait à l'époque "comme cheykh", et indiquait que "la longueur de la barbe et le port occasionnel d’une tenue afghane sont censés démontrer la piété et l’engagement en faveur de l’islam".
Cette vidéo de 2013 était déjà aussi devenue virale en novembre 2017, après avoir été retweetée par le compte de Donald Trump lui-même. Alors président des Etats-Unis, ce dernier avait partagé le post de la nationaliste britannique Jayda Fransen, qui avait relayé la vidéo avec la mention : "Un musulman détruit la statue de la Vierge Marie". A l'époque, le média de vérification Snopes, était également revenu sur l'origine de cette vidéo.
Le nouveau ministre de la Justice filmé lors d'exécutions publiques
Cette intox circule dans un contexte d'inquiétude pour les différentes minorités ethniques et religieuses du pays. Chiites, alaouites, chrétiens, Kurdes : la rédaction des Observateurs était revenue en décembre sur les craintes de ces groupes face à l'arrivée du groupe islamiste Hayat Tahrir Al-Cham (HTC) au pouvoir.
Dans des annonces officielles et lors de réunions avec des leaders des minorités locales, HTC a réitéré son engagement à garantir la sécurité des chrétiens et des alaouites. Son chef, Abou Mohammed Al-Joulani a déclaré à CNN le 5 décembre : "Ces communautés coexistent dans cette région depuis des centaines d’années, et personne n’a le droit de les éliminer".
Si Murhaf Abu Qasara a été accusé à tort de la destruction de cettte statue, deux vidéos filmées en 2015 et republiées début janvier en ligne ont mis en lumière le passé compromettant d'un autre membre du gouvernement, le nouveau ministre syrien de la Justice, Shadi al-Waisi.
Ces images, vérifiées par la rédaction des Observateurs et par la plateforme Verify-sy, le montrent supervisant deux exécutions publiques de femmes en 2015 dans la région d’Idlib, alors contrôlée par le Front al-Nosra.En 2015, Shadi al-Waisi n’était alors qu’un juge local, et non un cadre majeur du mouvement. Sa participation active à ces épisodes reflète une politique générale du Front al-Nosra à l’époque, qui organisait régulièrement ce type d'exécutions publiques.