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Ruth Porat, la reine de Wall Street, rejoint Google

Ruth Porat va devenir la directrice financière de Google après 28 ans au service de la banque Morgan Stanley. Ce recrutement intervient en plein débat autour du sexisme dans la Silicon Valley et marque aussi la montée en puissance des financiers.

La "femme la plus puissante de Wall Street" va-t-elle se hisser au même rang dans la Silicon Valley ? Ruth Porat, directrice financière et vice-présidente de la banque Morgan Stanley, va devenir la directrice financière de Google, a annoncé le géant d'Internet, mardi 24 mars.

À 57 ans, cette multimillionnaire passe de la côte est à la côte ouest pour "retrouver ses racines californiennes". Ruth Porat a en effet passé une partie de son enfance à Palo Alto, en plein cœur de ce qui est aujourd’hui la Silicon Valley.

Chez Morgan Stanley depuis 1987

"Nous avons beaucoup de chance d’avoir trouvé une dirigeante aussi créative, forte et expérimentée qu’elle", s’est réjoui le PDG de Google Larry Page dans un billet de blog. Son expérience, Ruth Porat la doit quasi-exclusivement à Morgan Stanley.

Elle a intégré la banque en 1987… et ne l’a jamais quittée depuis. Cette longévité en a fait l’une des figures les plus médiatiques de l'institution financière, réputée pour être plutôt discrète. Ruth Porat a surtout réussi à sortir de deux crises majeures sans égratignures. Elle était en effet chargée d’aider et conseiller les jeunes pousses technologiques durant le boom de la fin des années 1990. Elle avait soutenu des futurs grands noms comme Amazon ou eBay et les avait aidés à faire leurs premiers pas en bourse. Lors de l’éclatement de la bulle Internet, Ruth Porat a perdu son principal fonds de commerce.

Mais pas son travail. Elle se réinvente alors en conseillère financière pour Morgan Stanley. Elle est désignée en 2003 comme l’une des meilleures banquières de son époque. Un travail qui la propulse aussi au centre du cyclone de la crise financière de 2008. Mais au lieu d’y perdre des plumes professionnelles, elle est appelée par la Maison Blanche pour l’aider à gérer la nationalisation des géants des prêts hypothécaires en péril Fannie Mae et Freddie Mac.

Féminisation nécessaire

Ruth Porat est également pressentie pour devenir, en 2013, adjointe au secrétaire au Trésor de Barack Obama. Mais elle préfère rester directrice financière de Morgan Stanley, poste qu’elle occupait depuis 2010, en expliquant qu’elle était "mal à l’aise" avec l’image que les politiques donnaient des banquiers, d'après le "New York Times".

Elle a trouvé les sirènes de Google plus intéressantes que celles de l'État. Elle rejoint ainsi le cercle très fermé des femmes qui ont des fonctions de direction au sein d’un grand groupe high-tech, au côté de Marissa Mayer (PDG de Yahoo), Sheryl Sandberg (directrice financière de Facebook) ou Angela Ahrendts (vice-présidente d’Apple) et de quelques autres.

Pour la Silicon Valley, cette féminisation, certes lente, des hautes sphères du secteur est une bonne nouvelle en matière d’image. Car ce petit monde traîne une réputation d’univers macho. Les principaux groupes des nouvelles technologies - Facebook, Twitter, Google, Apple - ont publié des statistiques concernant leurs effectifs dont il ressort qu’il vaut bien mieux être un homme blanc pour y réussir. Tous ces géants ont alors assuré tout faire pour favoriser une plus grande présence de femmes dans cet univers.

Encore faut-il qu’elles soient bien traitées. Plusieurs affaires de discriminations et de harcèlement sexuel ont secoué la Silicon Valley ces derniers mois. Depuis le début de l’année, Facebook et Twitter se sont retrouvés avec des problèmes de discrimination sexuelle sur les bras. Mais le combat de deux ans de l’actuelle PDG du site communautaire Reddit, Ellen Pao, en procès contre son ancien employeur, le prestigieux fonds d’investissement Kleiner Perkins, illustre tous les travers sexistes du milieu technologique.

Entre la description des humiliations subies par les salariées et de la discrimination systématique à l’égard des femmes, "ce procès va ternir à jamais l’image et la réputation de Kleiner Perkins", estime le site Re/Code. Le fonds est dorénavant associé à toutes les dérives sexistes de la Silicon Valley.

Wall Street boys à l’assaut du Far West technologique

Mais Ruth Porat est moins perçue comme une nouvelle femme qui peut faire bouger les lignes que comme une nouvelle "Wall Street boy" (ou girl, en l’occurrence) à débarquer dans le Far West technologique. Avant elle, Anthony Noto est passé de Goldman Sachs à Twitter et "des milliers d’autres hommes d’affaires ont quitté le secteur financier pour celui des nouvelles technologies", souligne le "New York Times". Le journal ajoute qu’entre 2008 et 2014, les jeunes diplômés des écoles de commerce ont été de plus en plus attirés par la Silicon Valley plutôt que par Wall Street pour faire carrière. Ils n’étaient que 7 % à s'installer dans la Silicon Valley en 2008 contre 14 % l’an passé.

Est-ce une bonne chose pour le temple du high-tech ? Le "New York Times" veut le croire : "L’argent attirait les étudiants les plus brillants vers des carrières financières qui, en un sens, n’avaient pas d’impact réel sur le quotidien des Américains, alors que depuis la Silicon Valley, ils pourront s’enrichir en développant des produits qui peuvent réellement faire la différence."

Cet avis est loin d’être partagé par tout le monde. "Les financiers ne vont pas inventer de nouveaux produits mais faire ce qu’ils maîtrisent le mieux : rendre la gestion financière des entreprises qui les emploient plus efficace", prédit le site Quartz. L’arrivée de Ruth Porat et d’autres génies des comptes illustrerait une maturation du secteur. "Les grands groupes technologiques sont de moins en moins capables d’innover et, à l'instar d'autres secteurs tels que l’industrie pharmaceutique, deviennent des fonds d’investissement géants qui rachètent les start-up prometteuses pour générer de nouvelles sources de revenus", conclut Quartz. D'où l'importance croissante du directeur financier dans ces groupes.