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Profils de tatoueurs : totems et tabous

À l'occasion de la troisième édition du "Mondial du tatouage", à Paris, France 24 est allé à la rencontre de quatre tatoueurs, véritables aficionados des parures d'encre et des corps peints, qui ont les aiguilles chevillées à leur corps.

Il y a ceux qui l'ont dans la peau et ceux qui ne s'y risqueraient jamais. Fondus de tatoos ou simples badauds, ils étaient nombreux à se presser dans la Grande halle de la Villette, à Paris, à l'occasion de la première journée du "Mondial du tatouage". Les uns sont venus pour passer à l'acte et graver dans leur chair une esquisse, une image, une ligne, un simple mot ou message qui leur est cher. Les autres sont là pour admirer ces corps qui servent de toiles, ces peaux qui deviennent des tableaux.

Et puis il y a le maître d'œuvre, l'artiste, celui par qui le désir devient indélébile. France 24 est allé à la rencontre de quatre d'entre eux, d'univers et d'horizons différents. Tous se sont livrés à un petit questionnaire sur leur expérience, leur façon de faire et sur leur vision du tatouage.

Amar Goucem. Hollandais d'origine algérienne. Exerce depuis 28 ans. Domaine de prédilection : l'art japonais

Vous rappelez-vous votre premier tatouage ?

Hélas, oui. Je l'ai fait sur moi... Sur ma cuisse. J'ai voulu faire des yeux de dragon... C'était complètement raté. De 1987 à 1989, je ne comprenais pas vraiment ce que je faisais. À l'époque, le tatouage n'était pas aussi démocratisé, c'était un cercle très fermé. Il fallait avoir des connexions. J'ai commencé à tatouer en France, à Toulouse, à Bordeaux, puis je suis parti aux Pays-Bas en 1992.

Mes parents sont algériens mais je n'ai absolument jamais pensé à aller faire du tatouage en Algérie ! Vous imaginez ! Je ne passerais pas une journée avec tout ce que j'ai peint sur mon corps ! C'est haram (péché, NDLR) là-bas ! (Les musulmans ne sont pas censés dénaturer l'œuvre de Dieu, NDLR)

Quel tatouage réalisez-vous le plus souvent ?

L'un des motifs que l'on me demande le plus fréquemment, c'est la "koï", la carpe japonaise. Je ne fais que du style japonais et peu de tatoueurs [en Europe] s'y connaissent vraiment en iconographie de l'art japonais. Je vais une à deux fois par an au Japon, d'ailleurs, pour me documenter et m'exercer. On me sollicite donc beaucoup pour ça. Mes clients me demandent aussi beaucoup de sujets de base : serpents, dragons, phénix, pivoines...

Y a-t-il des tatouages que vous refusez de réaliser ?

Je ne fais aucun tatouage nazi, facho, occulte. Je ne fais pas de "666" [le chiffre du diable], je ne fais pas de croix à l'envers, ni de têtes de boucs [ou Baphomet, associé au satanisme]. Souvent, quand je reçois ces clients, je les laisse parler pour ne pas les juger puis je leur dis : 'non merci'.

Y a-t-il une partie du corps que vous refusez de tatouer ?

Non. Mais je refuse de tatouer des divinités ou des sujets religieux sous la ceinture : sur les jambes, les cuisses ou les pieds. Je trouve ça impur.

Votre plus long tatouage ?

Il a pris 64 heures. J'ai tatoué deux bras, une demi-jambe et le début du dos du client.

À quoi ça sert un tatouage, selon vous ?

À quoi ça sert de mettre un tableau chez soi ? Ça embellit le monde.

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• Arjunah Ponnen. Belge d'origine mauricienne. Exerce depuis 19 ans. Domaine de prédilection : les portraits

Vous rappelez-vous votre premier tatouage ?

J'avais douze ans. J'ai tatoué mon père, je lui ai fait une croix, assez banale, sur l'avant-bras. Mon premier tatouage professionnel, je l'ai réalisé des années plus tard. Je me souviens d'avoir fait un nautile [un fossile] sur le mollet de l'un de mes amis. C'était mon premier client. Et c'était plutôt réussi.

Quel tatouage réalisez-vous le plus souvent ?

Je suis assez éclectique. Je fais beaucoup d'art japonais, des tatouages uniques. Mais je dirais des visages, des portraits.

Y a-t-il des tatouages que vous refusez de réaliser ?

Oui, tous les tatouages représentant des lignes politiques extrêmes, à droite comme à gauche. En 19 ans de carrière, je n'ai jamais tatoué une seule croix gammée, si telle est votre question.

Y a-t-il une partie du corps que vous refusez de tatouer ?

Non aucune. Mais je refuse de tatouer certains motifs sur certaines parties du corps. Par exemple, je trouve assez ridicule de tatouer un portrait sur une partie d'aisselle. Certaines parties du corps sont plus adaptées pour certains dessins. En tant que tatoueur, on a envie de montrer nos motifs, pas de les cacher !

À quoi ça sert un tatouage, selon vous ?

Ça sert à raconter son histoire. C'est une démarche personnelle.

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• Audrey Muller. Française. Exerce à Marseille depuis 16 ans. Domaine de prédilection : art japonais et art déco.

Vous rappelez-vous votre premier tatouage ?

Oui, c'était un "Om" indien. Je l'ai tatoué sur un Italien à Londres. C'était mon premier client et je l'ai réalisé sous la supervision d'un tatoueur expérimenté. J'étais super jeune et donc super enthousiaste. Et il était bien fait !

Quel tatouage réalisez-vous le plus souvent ?

Je ne sais pas trop, on ne réalise jamais les mêmes tatouages. Mais ce que je fais le plus souvent, c'est de l'art japonais et de l'art déco.

Y a-t-il des tatouages que vous refusez de réaliser ?

Les envolées d'oiseaux ! Je n'en peux plus... Je veux bien tatouer des envolées de mouettes, de pigeons, mais plus jamais d'hirondelles ! Je refuse aussi de tatouer tous les signes à la mode : l'infini, par exemple [un 8 horizontal].

Y a-t-il une partie du corps que vous refusez de tatouer ?

Sous le pied. Ça ne sert à rien et ça fait horriblement mal.

À quoi ça sert un tatouage, selon vous ?

C'est simplement une façon de s'exprimer. Être en accord avec soi-même.

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• Mikaël de Poissy. Français. Exerce à Poissy depuis 22 ans. Domaine de prédilection : le médiéval, les figures christiques.

Vous rappelez-vous votre premier tatouage ?

Je l'ai fait sur mon père. Il m'avait dit : "Je veux être le premier". Ça a été compliqué... J'ai transpiré, j'étais assez stressé. Je lui ai tatoué sur l'épaule une tête de lion qui se transforme en tête de femme... Simple... C'était complètement raté, mais j'en étais fier.

Quel tatouage réalisez-vous le plus souvent ?

En ce moment, je fais beaucoup de Sainte-Geneviève. Sans doute parce que les amoureux de Paris veulent se faire tatouer la sainte patronne de la capitale. Sinon, je réalise beaucoup de Saint-Louis [Louis IX], le patron de la ville de Poissy où j'exerce.

Je tatoue énormément de figures christiques, je suis connu pour cela, 80 % de mes dessins sont religieux. Mais je ne tatoue pas que des croyants, la moitié de mes clients n'ont aucune motivation confessionnelle.

Votre plus long tatouage ?

Un triptyque, sur trois dos différents. J'ai passé entre 60 et 80 h par dos. Je l'ai terminé au bout d'un an et demi.

Y a-t-il des tatouages que vous refusez de réaliser ?

En 2001, un client s'est présenté et m'a demandé de lui tatouer Ben Laden. J'ai refusé, comme je refuserais de tatouer des phrases qui n'ont aucun sens : "J'enc*** la société", par exemple. J'essaie de faire comprendre au client qu'il va sûrement le regretter quelques années plus tard.

En 22 ans de carrière, j'ai rarement été confronté à ce genre de problématiques. J'ai croisé deux jeunes qui m'ont demandé des croix gammées, et des dizaines de jeunes qui m'ont demandé de leur tatouer le portrait de Staline, des faucilles et des marteaux [symboles du Parti communiste]. À chaque fois, j'ai refusé.

Y a-t-il une partie du corps que vous refusez de tatouer ?

Non, mais je refuserai, comme beaucoup de mes confrères, de tatouer une figure religieuse sur certaines parties du corps. Je ne ferai, par exemple, jamais un Christ sur des fesses ou sur un mollet.

À quoi ça sert un tatouage, selon vous ?

À se sentir bien. Dans certaines cultures, le tatouage est thérapeutique. J'aime à penser que chez moi aussi. Certains de mes clients m'ont confié qu'un tatouage leur avait permis de mieux accepter leur corps.

Tags: Culture, Tatouage,