La 65e édition du festival du film de Berlin a couronné, samedi 14 février, le cinéaste iranien dissident Jafar Panahi, interdit de travailler dans son pays et de voyager à l'étranger. Il remporte l'Ours d'or grâce à son film "Taxi".
En l'absence du cinéaste Jafar Panahi à Berlin, la récompense suprême de la Berlinale a été reçue par sa nièce, Hana Saeidi, qui joue dans "Taxi". "Je suis incapable de dire quoi que ce soit. Je suis trop émue", a lancé la petite fille en larmes, qui a brandi l'Ours d'or de la Berlinale.
"Plutôt que de laisser détruire son esprit et d'abandonner, plutôt que de se laisser envahir par la colère et la frustration, Jafar Panahi a écrit une lettre d'amour au cinéma", a déclaré le président du jury, le réalisateur américain Darren Aronofsky, estimant que son film était "rempli de l'amour qu'il porte à son art, à sa communauté, à son pays et à son public".
Symboliquement, l'Ours d'or a été posé et photographié seul après la cérémonie sur l'estrade où aurait dû s'exprimer le réalisateur pour une conférence de presse.
"Je me réjouis beaucoup de la décision du jury international de décerner l'Ours d'or à Jafar Panahi" a réagi dans un communiqué le ministre allemand des Affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier, y voyant "un signal important pour la liberté de l'art".
Très applaudi à la Berlinale, "Taxi" est une chronique à la fois drôle et saisissante de la société iranienne, à travers les déambulations d'un chauffeur de taxi dans les rues de Téhéran, interprété par le réalisateur lui-même. Ses passagers, des Iraniens hauts en couleur, en disent beaucoup sur leur pays, dont Jafar Panahi s'efforce de saisir l'âme.
Après "Ceci n'est pas un film" et "Pardé", c'est le troisième long métrage réalisé par Jafar Panahi qui défie les autorités depuis qu'il a été arrêté en 2010, alors qu'il préparait un film sur les manifestations contre la réélection contestée du président Mahmoud Ahmadinejad en 2009.
Condamné à six ans de prison et 20 ans d'interdiction de réaliser des films ou de voyager, il a retrouvé une liberté précaire qui lui permet de tourner clandestinement mais sans pouvoir quitter l'Iran. Observateur engagé de la société, ce cinéaste est un habitué de la Berlinale. Il avait reçu le Grand Prix du jury en 2006 pour "Hors jeu" et le prix du scénario en 2013 pour "Pardé".
Le cinéma latino-américain à l’honneur
Les Ours d'argent saluant les meilleurs interprètes féminin et masculin sont venus récompenser les performances des deux acteurs britanniques de "45 years", Charlotte Rampling et Tom Courtenay. Dans ce drame d'Andrew Haigh, ils incarnent Kate et Geoff, un couple qui s'apprête à célébrer son 45e anniversaire de mariage, lorsqu'un évènement vient faire vaciller leurs certitudes.
"On ne donne généralement pas les prix d'interprétation masculin et féminin au même film. C'est assez rare. Donc nous sommes rares", a plaisanté Charlotte Rampling. "Je suis très contente", a ajouté l'actrice de 69 ans, observant qu'elle avait été peu récompensée dans sa carrière. "J'ai toujours voulu favoriser les films d'auteurs plutôt que les films commerciaux. Cela ne vous met pas nécessairement dans la catégorie de ceux qui gagnent des prix".
Le jury a aussi récompensé le cinéma d'Europe de l'Est. Il a tenu à décerner deux Ours d'argent du meilleur réalisateur : l'un est allé au Roumain Radu Jude pour "Aferim", road movie historique en noir et blanc dans l'Europe de l'Est de 1835, et l'autre à la Polonaise Malgorzata Szumowska pour "Body", histoire d'un médecin légiste et de sa fille anorexique qui peine à faire le deuil de sa mère.
Le cinéma latino-américain était aussi à l'honneur. Le grand Prix du Jury est allé au Chilien Pablo Larrain pour "El Club", sur une communauté religieuse déstabilisée par un scandale. Et "Le Bouton de nacre", autre film chilien de Patricio Guzman, a reçu l'Ours d'argent du meilleur scénario. Le prix Alfred-Bauer, récompensant "un film qui ouvre de nouvelles perspectives dans l'art cinématographique", est revenu à "Ixcanul", premier film du Guatémaltèque Jayro Bustamante.
Avec AFP