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Mal-logement : Bernadette et Rémi, mère et fils face à la rue

Bernadette et son fils Rémi vivent depuis des années sur des trottoirs et dans des squats. Elle a 36 ans, il en a 19. Jeudi, en compagnie de Diego, le compagnon de Bernadette, ils se sont retrouvés un peu par hasard à la "Nuit solidaire" à Paris.

- "Allô, le 115 ? On vient d’arriver à Paris, on ne connaît pas de centre d'hébergement ici, vous savez où on peut aller ?"

- "Tous les hébergements d’urgence ont fait le plein. Mais essayez place de la République, il y aura des lits disponibles. Il y aura de la place là-bas, ce soir."

En arrivant sur la grande place parisienne, jeudi 12 février, Bernadette, sans domicile fixe, pensait trouver une place dans l'une de ces structures pour sans-abris qu'elle connaît si bien. Sa mine déconfite en dit long sur sa déception. "C'est très bien tout ça. Ça fait chaud au cœur de voir les gens s'activer pour nous, mais le 115, ils se foutent de nous. C'est pas un centre d’accueil, ici…"

Bernadette ne s’attendait "absolument pas" à se retrouver là, à la "Nuit solidaire pour le logement", un rassemblement citoyen, organisé à l’initiative de 33 associations pour sensibiliser sur la crise du logement. "On s'est fait un peu enfumer, non ? [Ils m’ont donné] un matelas et un sac de couchage, ok, mais [j'ai] pas de toit au-dessus de la tête, et il fait super froid, ici !"

La "Nuit solidaire", en effet, est plutôt un rassemblement "au grand cœur" censé attirer l'attention des médias et des citoyens sur le droit à un toit, au XXIe siècle, en France. À cette occasion, des concerts ont été organisés, des sandwichs distribués gratuitement, et des matelas fournis – aux sans-abris comme aux militants solidaires voulant passer la nuit à la "belle étoile". Mais tout cela ne dure qu’une nuit…

Demain, pour Bernadette, ça sera une autre histoire.
 

Surtout que cette mère de famille, qui semble toujours avoir le regard un peu perdu, n’est pas venue seule. Dans ses bagages, elle a emmené Rémi, son fils, son "petit", âgé de 19 ans, et son compagnon, Diego, à peine plus âgé que sa progéniture. Dans la matinée de jeudi, ils sont tous trois partis de Clermont-Ferrand à Paris "pour visiter la capitale", sans avoir payé le train "évidemment", en écopant d’une amende "forcément", et sans "aucun plan" pour se loger, fatalement.

Bernadette n'est pas capable de s'occuper d'eux. Elle l'assume. C'est Diego, du haut de ses 19 ans, qui semble mener la barque familiale. "J'la laisserai jamais tomber même si elle me fait des crasses, parfois", explique-t-il en riant.

Des personnages sortis d'une BD de Tardi

Il y a deux semaines, Bernadette, Diego et Rémi ont été expulsés du centre d’hébergement de Clermont où ils avaient réussi à obtenir une place. La jeune femme de 36 ans, qui en paraît dix de plus, était revenue ivre et avait accusé Diego de l’avoir frappée. "J'étais bleue" (saoûle), ajoute-t-elle en riant, et en caressant Tina, un chiot qu'elle cache sous son manteau. "J'ai tellement été frappée [dans ma vie], je sais pas pourquoi j’ai dit ça."

La violence, les coups, l’alcool, reviennent dans toutes les phrases de cette famille recomposée que l'on croirait tout droit sortis d'une BD de Tardi et de Pennac. La rue, les squats, l'alcool, "je connais que ça", résume Bernadette. "La rue, j'y suis tombée à 18 ans […] Mon ex me battait, alors je suis partie, au début, j'ai fait des allers-retours dans ma famille. Je dormais où je pouvais. Mais quand le petit est né, ça s’est compliqué. Il a été trimballé entre son père, sa famille… J'le voyais pas beaucoup, je le laissais beaucoup."

Bernadette n'a élevé ni Rémi, ni ses deux frères et sa sœur - qu'elle voit rarement et qui vivent à Clermont-Ferrand "sous un toit", précise-t-elle. "J'étais pas capable… C'est comme ça… L'alcoolisme", lâche-t-elle, simplement.

À 18 ans, Rémi l'a suivie. Il a quitté le domicile de sa grand-mère et son père pour rejoindre la rue. "Les autres [ses frères et sœur], ils l'ont pas comprise. Ils ont pas voulu la comprendre", ajoute-t-il. Rémi, lui, a pardonné son absence. Il préférait ses excès avinés aux coups de son père. "Elle s'occupait pas de nous", confie-t-il sans colère. "Elle a pas fait le nécessaire quand j’étais gamin. Je fais le nécessaire maintenant que je suis adulte. Voilà. Pour l’instant, je reste avec elle", assure-t-il, tandis que les hauts-parleurs de la place de la République crachent les tubes de la Compagnie Créole.

400 euros de RSA

Rémi et sa mère ne travaillent pas. Lui a arrêté l’école en troisième, elle, a écumé un paquet de petits boulots, des vendanges jusqu’au ramassage de pommes de terre, avant d’arrêter. "C'était compliqué. De toute façon même en bossant, t'as pas de logement. Je fais la manche maintenant. C'est ce qu'on fait toute la journée […]" Tous deux vivent du RSA de Bernadette : 400 euros. Maigre paye. "J’ai été payée le 5 [février]. On est le 12 et j’ai plus rien. Cet argent, il nous sert à manger, à acheter un portable quand on nous vole, à fumer un joint de temps en temps aussi." Cette vie, elle l'a choisie, mais elle a du mal à accepter celle de son fils. "J'aurais préféré que Rémi soit pas avec moi. Mais il a fait son choix, il veut rester avec moi. Et moi, il me tient chaud. À trois, on se tient chaud."

Quand Diego est arrivé dans leur vie, il y a quelques semaines, Rémi n’a pas bronché. La différence d’âge entre sa mère et ce nouveau beau-père l’a laissé indifférent. "On aurait pu ne pas s'entendre, mais c'est pas le cas", dit-il, les mains croisées et le visage enfoncé dans son bonnet alors que la température frôle zéro degré. Être à trois, c’est plus facile pour affronter la rue. "Bouger à plusieurs, c’est mieux niveau sécurité", acquiesce Diego qui, lui aussi, traîne une "histoire compliquée", mêlant mère absente et père violent. "Je sais même pas si elle est vivante, ma mère, j’en sais rien", lâche-t-il en riant.

"Tous les jours, on appelle le 115"

Aujourd'hui, le quotidien de Bernadette, Rémi et Diego se résume à un seul objectif : trouver chaque jour un endroit où dormir. "Tous les jours, on appelle le 115", précise Bernadette. C'est devenu un rituel. Un rituel urgent, en hiver. Le froid, c’est insupportable, témoigne-t-elle. "Y'a des matins, on n'a pas envie de se réveiller."

Aujourd’hui, la France compte 8,5 millions de personnes sous le seuil de pauvreté, 3,5 millions sont mal-logés (en chambre d’hôtel, en camping, dans des squats ou dans des logements insalubres), rappelle le collectif "Nuit solidaire". Parmi elles, 142 000 sont sans domicile fixe, soit 50 % de plus qu'il y a dix ans.

Des chiffres que Bernadette ignore mais qui ne l'étonnent guère. "Aujourd'hui, tu tournes la tête, ils [les SDF] sont partout." Alors quand on lui parle d'un avenir meilleur, Bernadette n'y croit pas vraiment. "Je sais pas ce que je vais faire. Je sais pas où aller", lâche Bernadette. "Moi, je resterai toujours à la rue", renchérit Diego, "Je le sais, c’est comme ça." Seul Rémi envisage son futur avec davantage d’optimisme. "Faudra bien que je fasse ma vie, un jour. On verra, peut-être que des portes s’ouvriront, enfin."