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La Grèce, cheval de Troie de la Russie au sein de l'UE ?

Le nouveau gouvernement grec a multiplié les déclarations pro-russes, quitte à heurter ses partenaires européens. Moscou serait-il le grand gagnant de l’arrivée au pouvoir du parti de gauche radicale Syriza en Grèce ? Pas si sûr.

La Grèce a décidé de faire entrer un éléphant russe dans un magasin de porcelaine européen. Le gouvernement d’Alexis Tsipras, le nouveau Premier ministre grec et leader du parti de gauche radicale Syriza, a prouvé qu’il n’allait pas être qu’un poil à gratter économique pour Bruxelles. Il peut également devenir une épine dans le pied diplomatique de l’Union européenne (UE).

"Nous sommes contre l’embargo imposé à la Russie”, a lancé, mercredi 28 janvier, Panagiotis Lafazanis, le ministre grec de l’Énergie. Et d’ajouter qu’il n’y "avait pas de différends entre [la Grèce] et les Russes". La veille, Alexis Tsipras avait déjà envoyé "une grenade en direction de Bruxelles", d’après le quotidien britannique "Financial Times", en s'opposant à un appel commun des pays européens pour adopter de nouvelles sanctions contre Moscou.

Tsipras et Moscou vs les "néo-nazis" ukrainiens

Il n’en a pas fallu davantage pour que plusieurs médias et certains diplomates européens perçoivent la Grèce de Syriza comme le nouveau cheval de Troie de la Russie en Europe. "Pourquoi Poutine est le grand gagnant des élections grecques", tente d'expliquer le site américain Foreign Policy. "La Grèce s’acoquine avec la Russie, ce qui revient à jouer à un jeu très dangereux pour l’Europe", estime, pour sa part, Timothy Ash, un analyste de la Standart Bank et spécialiste des marchés émergents.

Le rapprochement entre Athènes et Moscou serait logique, d’après ces analystes. L’extrême gauche grecque aurait gardé de l’époque soviétique une certaine tendresse pour le Kremlin. Les "Grecs indépendants", le parti nationaliste qui s’est allié à Syriza pour former le gouvernement, estiment en outre que la Grèce partage avec la Russie de Poutine des valeurs "civilisationnelles", fondées sur l’héritage orthodoxe chrétien des deux pays.

Avant même son accession au pouvoir, Alexis Tsipras s’était déjà illustré par des propos très pro-russes. Il avait regretté, en mai 2014 lors d’un déplacement en Russie, "que des fascistes et des néo-nazis entraient dans un gouvernement [en Ukraine] soutenus par l’Union européenne". Le leader de Syriza avait, ainsi, repris à son compte l’argumentaire du Kremlin pour discréditer le gouvernement pro-occidental de Kiev.

Échanges de mots doux

Moscou, de son côté, ne s’est pas privé d’envoyer de bons baisers de Russie à Syriza et à la Grèce ces dernières semaines. Nikolaï Fiodorov, le ministre russe de l’Agriculture, avait déclaré, le 16 janvier, que son pays était prêt à aider économiquement la Grèce si ses problèmes de dette la forçaient à quitter la zone euro. Le premier diplomate à avoir été reçu par Alexis Tsipras après sa victoire a d'ailleurs été l’ambassadeur russe à Athènes, qui a remis au champion de la gauche radicale grecque une lettre personnelle de félicitations de Vladimir Poutine.

"Il est clair que Syriza serait intéressé par des voies alternatives, qui pourraient passer par Moscou, pour avoir accès à des liquidités supplémentaires", analyse Theocharis Grigoriadis, professeur assistant d’économie à l’université libre de Berlin. Mais ce spécialiste, qui a travaillé sur les relations économiques entre la Russie et la Grèce, ne pense pas que tous ces échanges de mots doux puissent déboucher sur quelque chose de concret.

"La Russie avait déjà refusé de venir financièrement en aide à Chypre, ce qui lui aurait pourtant coûté beaucoup moins cher que de secourir la Grèce", rappelle-t-il. Chypre est, en outre, une destination de villégiature fiscale prisée par les riches russes qui savent murmurer à l’oreille du Kremlin.

Mais à l’époque des problèmes financiers chypriotes, "Moscou ne voulait pas irriter l’UE en soutenant financièrement l’île", note Theocharis Grigoriadis. Depuis l'adoption des sanctions européennes contre la Russie, le Kremlin pourrait se montrer beaucoup moins diplomate. "Pour imposer des sanctions, l’Union européenne doit se prononcer à l’unanimité. Moscou a donc tout intérêt à créer des divisions au sein du bloc européen", explique au site Foreign Policy Fiona Hill, une experte de la Russie au think-tank américain Brookings Institution.

La dette grecque, encore et toujours

La Russie peut-elle réellement s’acheter un droit de veto sur les sanctions européennes en soutenant Athènes ? Elle est économiquement en piteux état et devrait connaître ces deux prochaines années, au moins, une récession.

Surtout, rien ne dit que la Grèce est vraiment prête à devenir l’œil de Moscou à Bruxelles. Pour Theocharis Grigoriadis, les sorties pro-russes des membres du gouvernement grec "relèvent davantage de la rhétorique qu’autre chose. [...] Ce sont des paroles qui ne coûtent pas cher et n’engagent à rien”, ajoute-t-il.

Ce rapprochement rhétorique de Moscou ne peut se comprendre que dans le contexte des négociations à venir sur la dette grecque. "Le nouveau gouvernement veut s’en servir comme d’un argument pour faire pression sur les autres pays européens", assure Theocharis Grigoriadis. Ce serait une manière d'affirmer que si Bruxelles ne cèdait pas du terrain sur la question des remboursements grecs, Athènes pourrait faire obstruction sur d’autres sujets sensibles.

Pour autant, rien n'indique que Syriza serait prêt à bloquer une initiative diplomatique concrète de l’UE contre la Russie. Jusqu’à présent, Alexis Tsipras s’est simplement opposé à un appel à de nouvelles sanctions. Theocharis Grigoriadis rappelle que les plus influents membres du gouvernement ont "tous fait leurs études dans des universités anglo-saxonnes" et n’ont pas de liens profonds avec la Russie. Ils pourraient donc se montrer bien plus pro-européens qu’ils tentent de le faire croire.