
Emprisonnés en Égypte depuis un an jour pour jour, trois journalistes de la chaîne qatarie Al-Jazira seront rejugés en appel le 1er janvier. Ils espèrent être rapidement libérés grâce au récent dégel entre le Caire et Doha.
Le récent réchauffement diplomatique observé entre l'Égypte et le Qatar va-t-il permettre à trois journalistes d’Al-Jazira de recouvrer la liberté ? C’est la question que se posent les proches et les soutiens de Peter Greste, Mohamed Fadel Fahmy et Mohamed Baher, à quelques jours de leur procès en appel, prévu le 1er janvier.
Emprisonnés depuis un an jour pour jour, ils avaient été condamnés en juin 2014 à des peines allant de sept à dix ans de prison pour avoir, selon la justice, soutenu les Frères musulmans dont est issu le président destitué Mohamed Morsi. Une confrérie activement appuyée par Doha, qui lui a ouvert les micros de sa chaîne Al-Jazira après le Printemps arabe, et qui fut déclarée "mouvement terroriste" et sévèrement réprimée par le nouveau pouvoir égyptien, dominé par les militaires.
Cette affaire, qui a provoqué un tollé international et suscité une campagne de solidarité relayée sur les réseaux sociaux, a jeté le doute sur l’engagement du nouveau régime à respecter la liberté de la presse. Le secrétaire d’État américain, John Kerry, avait qualifié ces condamnations d’"effrayantes" et dénoncé une sentence "draconienne". La chef de la diplomatie australienne, Julia Bishop, s'était déclarée "consternée" par la condamnation des journalistes, dont celle de son compatriote Peter Greste.
Pour marquer le premier anniversaire de leur incarcération, une cinquantaine d'amis et de collègues se sont réunis devant l'ambassade d'Égypte à Londres. Certains portaient symboliquement des menottes et brandissaient des pancartes "Journalism is not a crime" et "Free them now".
"Trop c'est trop. Cela fait un an désormais que nos amis sont en prison alors qu'ils ne faisaient rien de plus que tous les autres journalistes au Caire", a déclaré la journaliste Sue Turton qui a elle-même été condamnée à dix ans de prison par contumace.
À La Haye, aussi, plusieurs personnes ont manifesté devant l'ambassade d'Égypte, dont Rena Netjes, la journaliste néerlandaise jugée par contumace, qui a lu une lettre de Mohamed Fahmy, l'un des journalistes emprisonnés.
Dégel diplomatique
L’espoir de voir ces journalistes libérés a pris de l’ampleur depuis quelques semaines. La raison : un dégel entre Égyptiens et Qataris, facilité par une volte-face diplomatique à l'initiative de ces derniers. En effet, l’émirat gazier s'est officiellement rallié, le 9 décembre, aux autres monarchies du Golfe pour soutenir le pouvoir égyptien incarné par le président Abdel Fattah al-Sissi, abjurant implicitement ainsi son appui aux Frères musulmans. Des consultations ont même eu lieu au Caire ces derniers jours entre le chef des renseignements généraux qataris et son homologue égyptien pour organiser une rencontre au sommet entre le président Sissi et l'émir du Qatar, cheikh Tamim Ben Hamad Al-Thani.
itPressé par ses voisins du Golfe de renoncer à soutenir le camp islamiste en Égypte, le Qatar a donc fini par rentrer dans le rang. Au point même de donner des gages au Caire, en mettant en sourdine ses critiques contre le pouvoir égyptien. Al-Jazira a en effet annoncé le 22 décembre la fermeture "provisoire" de son antenne égyptienne, Mubacher-Misr (Direct-Égypte), le temps d’obtenir des "autorisations nécessaires ". C’est à travers cette chaîne, diffusée depuis le Qatar, que l’émirat avait dénoncé à maintes reprises le coup d’État des militaires et la répression qui s'est abattue sur les partisans de la confrérie islamiste qui a fait plus de 1 400 morts, depuis juillet 2013.
Autant d’arrangements politico-diplomatiques qui semblent jouer en faveur des trois journalistes, victimes de la brouille entre l'Égypte, le Qatar et sa chaîne d’information.
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En outre, au cours d’un entretien exclusif accordé à France 24 par le président Abdel Fattah al-Sissi, l’homme fort de l’Égypte avait évoqué la possibilité de gracier les journalistes d’Al-Jazira."La décision de les arrêter a été prise, alors que je n’étais pas aux responsabilités. Si j’y avais été à l’époque, j’aurais préféré les arrêter et les renvoyer dans leur pays d’origine. Et ce, dans l’intérêt suprême de l’Égypte (…) Si nous trouvons quelque chose qui agit dans l’intérêt de l’Égypte nous les gracierons. C’est actuellement en cours d’examen", avait-il déclaré.
Prudence
Toujours est-il que la prudence reste de mise, sachant qu'une éventuelle grâce présidentielle n'interviendra pas avant plusieurs mois. Notamment du côté des autorités australiennes qui ont estimé, ce lundi, peu vraisemblable que le journaliste Peter Greste puisse sortir de prison avant la fin de l'année. La ministre des Affaires étrangères Julie Bishop a déclaré, lundi, que son homologue égyptien, Sameh Choukri, l'avait avertie de ne rien attendre avant le procès en appel.
"Nous faisons ce que nous pouvons pour ramener Peter Greste chez lui le plus vite possible et je continue d'espérer que nous puissions faire entendre ce message au gouvernement égyptien", a-t-elle déclaré à ABC.
Dans une lettre à ses soutiens la semaine dernière, le journaliste australien a exprimé sa fierté que cette affaire ait soulevé un débat politique sur la liberté de la presse en Égypte. "Nous avons galvanisé une incroyable coalition politique, diplomatique et médiatique, ainsi qu'une armée de soutiens sur les réseaux sociaux, pour le plus fondamental des droits, celui de savoir", a-t-il indiqué.
De leur côté, ses parents, Loïs et Juris Greste, ont exprimé "leur confiance dans l'intégrité du système d'appel en Égypte pour prononcer ce qui (nous) semble la seule décision possible, qui est de les libérer tous les trois".
Avec AFP