
Opposant inflexible à Ben Ali, Moncef Marzouki est devenu président en 2011 grâce à l'alliance avec les islamistes d'Ennahda. S'il veut en finir avec le passé, ses détracteurs lui reprochent de sacrifier ses valeurs pour nourrir ses ambitions.
Résistant historique à la dictature de Ben Ali, devenu président en 2011 grâce à une alliance avec les islamistes, Moncef Marzouki se pose en rempart contre le retour de l'ancien régime en Tunisie. Mais ses détracteurs lui reprochent d’avoir sacrifié ses convictions démocrates et humanistes sur l’autel d’une alliance contre-nature avec les islamistes d’Ennahda.
Ex-militant des droits de l’Homme
Médecin neurologue de formation, né en 1945 à Grombalia, Moncef Marzouki a fait ses études en France. Marié à une Française (dont il a divorcé) et père de deux filles, il est rentré en Tunisie en 1979 pour se consacrer à la défense des droits de l'Homme. Cet engagement fera de lui l'un des principaux opposants au régime tunisien, en particulier à celui de Ben Ali à partir de 1987. Incarcéré en 1994 puis à nouveau en 2000, il a fondé en 2001 le Congrès pour la République (CPR), un parti laïc, de centre-gauche nationaliste, non reconnu par Tunis. Il retourne alors en France en 2002, où il reste en exil pendant 10 ans. Il rentre au pays le 18 décembre 2010, le lendemain de l’immolation de Mohamed Bouazizi, et annonce sa candidature à l'élection présidentielle.
Alliance avec les islamistes
Il est élu fin 2011 par la Constituante, à la faveur d'une alliance avec Ennahda. Peu à peu, il cède du terrain aux islamistes sur la question de la laïcité et défend, comme eux, l’idée d’une identité "arabo-musulmane". "Marzouki a sacrifié ses anciennes amours en faisant alliance avec l’extrême droite nationaliste", estime Sophie Bessis, historienne et journaliste franco-tunisienne. L'opposition dénonce sa compromission avec les islamistes qu'il soutient coûte que coûte jusqu'à leur départ du pouvoir en début d'année et notamment en 2013 , lorsque des opposants de gauche sont assassinés. Son rival Caïd Essebsi n'hésite pas à le qualifier "d'extrémiste", de candidat des islamistes voire même des "jihadistes". Moncef Marzouki a toujours défendu son choix, martelant qu'Ennahda et les forces dites "progressistes" devaient agir de concert pour assurer l'unité du pays, comparant le parti islamiste aux "chrétiens démocrates d'Europe".
Un bilan à défendre
En poste depuis trois ans, l'actuel président de la République défend son bilan : "On nous avait demandé de rédiger la Constitution, on nous avait demandé de préserver l'unité nationale, on nous avait demandé de fonder des institutions d'un État démocratique, et on nous avait demandé de vous retourner à vous, le peuple, la décision de choisir, pour la première fois de votre histoire, qui vous dirige. Tout cela, nous l'avons réalisé", a-t-il déclaré lors d’un meeting à la Cité Olympique. Le président continue de considérer la "troïka" comme sa plus grande réussite, alors que la quasi-totalité des partis non-islamistes dénonce un accord conclu, selon eux, dans l'unique but de satisfaire une ambition présidentielle.
La menace du retour à l’ancien régime
"Moncef Marzouki est sur la scène politique depuis 30 ans et sur la scène des droits de l'Homme depuis 30 ans, il a l'expérience de trois années à la présidence de la République, il a un projet pour la Tunisie qui est basé sur le partage des pouvoirs", explique à France 24 son directeur de campagne, Adnen Mansar.
Depuis sa défaite aux législatives d’octobre, Marzouki brandit la "menace" du retour à l’ancien régime. " Marzouki garde l’image de l’exilé politique et défenseur des droits de l’Homme mais il a accepté de jouer un jeu qui n’était pas le sien. Il survit grâce au ressentiment contre Ben Ali", explique l'historien Abdelhamid Larguèche, qui estime que le retour à l’ordre ancien est un scenario improbable : "Trop de chemin a été parcouru en quatre ans. Le peuple tunisien a développé un tissu social (syndicats, associations, mouvements féministes) qui lui permet de défendre ses acquis."
Avec AFP