
Le musée de l'air du Bourget vient d'ouvrir une exposition sur la Grande Guerre des aviateurs. L'occasion de revenir sur l'incroyable histoire de Marie Marvingt. Pionnière de l'aviation, cette femme tombée dans l'oubli a enchaîné les exploits.
En décembre 1963, au lendemain du décès de Marie Marvingt, le "Chicago Tribune" avait rendu un hommage appuyé à cette Française, affirmant qu’il s’agissait de "la femme la plus extraordinaire depuis Jeanne d’Arc". Tout au long de sa vie, cette Lorraine a collectionné dans les journaux les plus incroyables qualificatifs : "la reine de l’air", "la fiancée du danger", "Marie casse-cou". Elle est aussi considérée comme la Française la plus médaillée de l’histoire avec 34 récompenses dans des domaines les plus divers. Pourtant, plus de cinquante ans après sa mort, cette pionnière est complètement tombée dans l’oubli. Qui se souvient encore des exploits de cette sportive, aviatrice et aventurière ?
Depuis de nombreuses années, c’est l'écrivaine américaine Rosalie Maggio qui tente de dépoussiérer son histoire. "En 1980, j’ai lu un texte qui décrivait tout ce qu’elle avait accompli. J’ai cru que c’était un canular, car j’avais été à l’université et je n’avais jamais entendu parler d’elle", raconte cette auteure qui vit à Los Angeles. "En cherchant un peu plus loin, j’ai découvert sa nécrologie dans le 'New York Times'. Je me suis alors demandé qui elle était et pourquoi elle n’était pas connue".
La reine de tous les sports
Née en 1875, Marie Marvingt grandit en Lorraine dans une famille de la petite bourgeoisie. Très tôt, elle suit les traces de son père, un grand sportif. "La mère de Marie est morte quand elle avait 14 ans. Trois de ses frères sont aussi décédés peu après leur naissance, ainsi qu’un autre à l’âge de 19 ans. Il ne lui restait plus que son père Félix, adepte du sport", poursuit Rosalie Maggio qui lui a consacré un livre intitulé "La femme d’un siècle". "Elle se promenait en montagne avec lui. Dès l’âge de quatre ans, elle nageait 4 km dans la rivière. Évidemment, les femmes ne faisaient pas ce genre de choses à l’époque, mais Félix n’avait que cette fille et il a continué à l’encourager".
Faisant fi des conventions sociales, la jeune femme se laisse emporter par sa fougue et multiplie les aventures sportives : cyclisme, tir, alpinisme, escrime, athlétisme, gymnastique etc… Rien ne lui fait peur et la liste est longue. En 1899, elle devient l’une des premières femmes à obtenir son permis de conduire. Elle gravit aussi plusieurs sommets des Alpes. Neuf ans plus tard, elle pose sa candidature pour participer au Tour de France. Même si les organisateurs refusent, elle effectue malgré tout le parcours, en prenant le départ un peu après les cyclistes masculins. Mais sa grande passion se situe dans les airs. En 1901, elle effectue son premier vol en ballon, avant de devenir huit ans plus tard la première femme à survoler la Manche. Grisée par l’altitude, elle passe ensuite son brevet de pilote.
Ses exploits emplissent les journaux. Marie Marvingt est l’une des plus grandes héroïnes du début du XXe siècle. "Il n’y a sûrement pas une femme au monde qui possède un bagage sportif aussi universel que celui que possède Melle Marvingt. Et je ne voudrais pas garantir qu’il existe un seul représentant du sexe mâle qui en ait un semblable", s’enflamme ainsi "La revue aérienne" dans un article de décembre 1910.
Dans les tranchées, déguisée en homme
Lorsque la guerre éclate en 1914, la jeune aventurière pense que ce conflit peut lui offrir de nouvelles expériences. Bien que son statut de femme ne lui permette pas de combattre, Marie Marvingt s’en moque. Elle se déguise en homme et intègre le 42e bataillon de chasseurs à pied sous le nom de "Beaulieu". Dans un article daté de 1922, "l’Écho d’Alger" raconte les péripéties de l’aventurière dans les tranchées : "Elle demanda un jour à porter un pli au colonel d’un régiment voisin, un de ses cousins. (…) Le colonel ne l'avait pas reconnue. Il lui offrit une pièce : 'Voilà pour boire un verre'! Mais fut assez étonné quand la messagère le remercia froidement : 'Ça ne se fait pas dans la famille'. (…) Alors Melle Marie Marvingt ôta son casque bleuâtre et sourit doucement à son cousin, sous ses cheveux épars". La supercherie est vite démasquée par d’autres officiers. La "poilue" est pourtant autorisée à rester sur le front par le maréchal Foch mais en tant qu’infirmière, dont elle possède le diplôme. Elle rejoint un bataillon de chasseurs alpins dans les Dolomites en Italie.
Jamais à court d’idées, la Française entend aussi développer l’aviation sanitaire pour accélérer le transport des blessés : "C’était le succès qui lui tenait le plus à cœur. En 1909, elle avait déjà transmis ce projet au ministère de la Guerre. Elle avait commandé un premier prototype d’avion", décrit Rosalie Maggio. Durant la Première Guerre mondiale, elle participe aussi aux premières missions de bombardements aériens. Elle obtient même la Croix de guerre, en 1915, pour avoir attaqué une caserne allemande à Metz.
Après le conflit, "la fiancée du danger" parcourt la France et le monde pour raconter sa vie trépidante, de conférence en conférence. Refusant de se marier et sans enfant, elle continue aussi d’œuvrer pour promouvoir l’aviation médicale, notamment lors de la Seconde Guerre mondiale. Alors que l’âge ne semble avoir aucune prise, elle reste toujours avide de sensations fortes. En 1960, à 85 ans, elle passe le brevet de pilote d’hélicoptère. Une énergie inépuisable qui impressionne Rosalie Maggio : "Elle était en quelque sorte, comme un enfant. Elle voulait tout voir, tout faire. Elle avait les bras grands ouverts pour conquérir le monde, ses merveilles, ses curiosités et ses mystères. Les journées étaient vraiment trop courtes pour Marie".
"Elle n'a jamais eu de limite"
Mais malgré cette vie flamboyante, à son décès, le 14 décembre 1963, c’est dans un hospice que la vieille dame s’éteint, dans un relatif anonymat. Celle qui avait fait les beaux jours de la presse n’est plus qu’un vague souvenir des heures glorieuses de l’aviation. Quelques rues et quelques écoles portent son nom. Pour Rosalie Maggio, cet oubli s’explique pour différentes raisons : "Elle était une femme. On ne notait pas vraiment leurs records. Elle a aussi vécu très longtemps. Si elle était morte en aéroplane quand elle était toujours belle et jeune, alors elle aurait été une légende. Elle n’était également pas riche. Elle n’a pas gagné beaucoup d'argent de ses succès sportifs et de ses contributions à l’aviation sanitaire. Elle gagnait sa vie seulement par son travail de journaliste".
Ce manque de reconnaissance révolte l’écrivaine. Après avoir écrit une biographie en français, elle publiera l’année prochaine un nouvel ouvrage en anglais. Elle lui a aussi dédié un site internet. Rosalie Maggio se sent investie d’une véritable mission : "Marie Marvingt veut que je fasse sa biographie. Elle ne me laissera pas tranquille avant que cela soit fait !". Pour elle, la Française n’a pas seulement été "une casse-cou", mais une femme qui a brisé beaucoup de barrières : "Elle n’a jamais eu de limites. Elle a ouvert le ciel et le sport aux femmes. On en bénéficie toutes aujourd’hui. Mais c’était de manière inconsciente et involontaire. Elle ne le faisait pas spécialement pour les femmes, mais parce qu’elle le voulait. C’était peut-être la manière la plus intelligente de faire avancer les choses".
-La Grande Guerre des aviateurs au Musée de l'air du Bourget, jusqu'au 25 janvier 2015.