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Dans les rues de Gaza, le Hamas profite du cessez-le-feu pour réaffirmer son autorité par la force
Depuis le début du cessez-le-feu entré en vigueur le 10 octobre, le Hamas s’empresse de reprendre le contrôle de la bande de Gaza. Défiant les conditions de l’accord de paix négocié par les États-Unis, le mouvement islamiste a affronté violemment des groupes armés, qu’il accuse d’être des bandes criminelles, et exécuté en pleine rue des hommes présentés comme des "collaborateurs" d'Israël.
Des hommes armés du Hamas à bord de camionnettes escortent des cars transportant des prisonniers palestiniens libérés par Israël, à Khan Younès, dans la bande de Gaza, le 13 octobre 2025. © Jehad Alshrafi, AP

Exécutions publiques, rivalités avec d'autres clans... À peine les otages libérés et les troupes israéliennes retirées des principales zones, le Hamas s'emploie à reprendre la main sur la bande de Gaza dévastée. Depuis l'entrée en vigueur de la trêve avec Israël la semaine dernière, de violents affrontements opposent ses forces aux membres présumés de clans armés et de bandes criminelles qui prolifèrent dans le territoire palestinien.

Le week-end dernier, des dizaines de personnes auraient été tuées dans des combats entre la branche armée du Hamas – les brigades Ezzedine al-Qassam – et des membres du puissant clan Doghmush. Ce gang, accusé de piller des maisons abandonnées et des convois d'aide humanitaire, aurait tué un militant du Hamas, déclenchant de violentes représailles.

Au pouvoir à Gaza depuis qu'il y a évincé le Fatah en 2007 – d'abord par les urnes, puis par les armes –, le Hamas présente ces affrontements comme une nécessaire "campagne de rétablissement de l'ordre" dans un territoire saccagé. Le mouvement islamiste a ordonné la mobilisation de 7 000 membres de ses forces de sécurité pour "nettoyer" Gaza des "hors-la-loi" et des "collaborateurs" d'Israël.

Exécutions publiques

Dimanche, le ministère de l'Intérieur de Gaza a annoncé l'ouverture d'une "période d'amnistie générale" pour les "membres de gangs criminels" n'ayant pas commis de meurtre durant l'offensive israélienne. Mais pour ceux qui sont accusés d'avoir collaboré avec Israël pendant les deux années d'offensive – qui a fait au moins 67 000 morts palestiniens et potentiellement des milliers d'autres disparus sous les décombres –, la peine a été plus sévère.

La télévision du Hamas a diffusé une vidéo montrant, selon elle, l'exécution publique de huit hommes accusés de collaboration avec Israël, en plein centre de la ville de Gaza. Les images les montrent mains liées dans le dos et bandeau sur les yeux, traînés sur une place avant d'être forcés à s'agenouiller. Alignés face à la foule, ils sont abattus d'une rafale par des hommes armés postés derrière eux, sous les applaudissements du public.

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Dans les rues de Gaza, le Hamas profite du cessez-le-feu pour réaffirmer son autorité par la force
© France 24
01:32

Selon Talha İsmail Duman, professeur à l'Institut du Moyen-Orient de l'université de Sakarya, le Hamas veut envoyer un message clair, tant au niveau local qu'à l'étranger. "Le rôle renouvelé du Hamas comme garant de la sécurité démontre que sa présence à Gaza reste remarquablement solide", explique-t-il. "Au-delà du soutien de ses partisans, cela renforce même chez ses détracteurs l'idée que le Hamas, fort de près de vingt ans d'expérience administrative, demeure l'acteur le mieux organisé pour maintenir l'ordre dans la bande de Gaza. Cette réalité pourrait peser dans les discussions sur la gouvernance de Gaza après-guerre."

Des milices soutenues par Israël

Après deux ans d'offensive israélienne ayant détruit la quasi-totalité des infrastructures – habitations, écoles, hôpitaux, terres agricoles –, des gangs armés se sont rapidement implantés dans le territoire. Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a reconnu avoir soutenu et armé plusieurs milices palestiniennes anti-Hamas. L'une des figures les plus visibles d'entre elles est Yasser Abou Shabab, un criminel condamné, libéré d'une prison du Hamas dans des circonstances floues peu après les attaques du 7 octobre 2023. À la tête des Forces populaires, une milice de centaines d'hommes armés par Israël et active autour du point de passage de Rafah, il est accusé par l'ONU de pillages massifs d'aide humanitaire – des faits qui, selon une note onusienne, se seraient produits sous la protection de l'armée israélienne.

Fawaz Gerges, professeur de relations internationales à la London School of Economics, estime que de nombreux habitants de Gaza approuvent la répression du Hamas contre ces groupes armés. "Beaucoup veulent la stabilité et la sécurité, amorcer un processus de guérison et de reconstruction. La sécurité est leur objectif le plus important", analyse-t-il. "Le Hamas cherche à prouver qu'il peut protéger la population et empêcher les voyous, les pillards et autres clans de perturber l'ordre public dans la bande de Gaza."

Dans les rues de Gaza, le Hamas profite du cessez-le-feu pour réaffirmer son autorité par la force
Des Palestiniens marchent devant les décombres de bâtiments détruits, lors du cessez-le-feu entre Israël et le Hamas, dans la ville de Gaza, le 16 octobre 2025. © Dawoud Abu Alkas, Reuters

Pour l'expert, la rapidité avec laquelle le Hamas a envoyé des milliers d'hommes armés dans les rues après le retrait israélien montre qu'il reste une force incontournable. "Malgré les coups portés par la machine militaire israélienne et les pertes considérables au cours des deux dernières années, le Hamas conserve une main-d'œuvre importante qui peut facilement se mobiliser et dominer la scène", souligne-t-il. "Aucun autre groupe armé à Gaza n'est en mesure de contester son autorité."

Jeudi, Donald Trump a durci le ton à l'égard du Hamas, menaçant de "tuer" les membres du mouvement islamiste si celui-ci "n'arrêtait pas de tuer des gens" à Gaza. Une mise en garde qui tranche avec ses déclarations des jours précédents. Le président américain s'était montré bien plus conciliant mardi, affirmant ne pas être "particulièrement choqué" par les exécutions publiques de "quelques gangs très dangereux", avant de conclure : "Honnêtement, ça ne m'a pas beaucoup dérangé."

La veille, à bord d'Air Force One, il avait même justifié la démonstration de force du mouvement islamiste, la jugeant "nécessaire" pour permettre aux deux millions d'habitants de Gaza de regagner leurs foyers en sécurité. "Ils veulent mettre fin aux problèmes, ils l'ont dit ouvertement, et nous leur avons donné notre accord pour une certaine période", avait-il expliqué. Des propos pour le moins ambigus, alors que sa proposition de paix en vingt points, sur laquelle repose le cessez-le-feu, prévoit le désarmement du Hamas.

Le désarmement, principal point de blocage

Ce désarmement devrait constituer le principal obstacle dans la mise en œuvre de l'accord de paix. Le plan prévoit d'exclure le Hamas de la future administration de Gaza, qui doit être confiée à des technocrates palestiniens sous supervision internationale.

"Le fait que le président Trump ait reconnu implicitement l'action du Hamas contre ses rivaux et les pillards illustre toute la contradiction de la politique étrangère américaine", souligne Fawaz Gerges. "D'un côté, l'administration Trump veut se débarrasser du Hamas : elle veut le désarmer, l'empêcher de jouer un rôle politique ou gouvernemental. De l'autre, le président admet que le Hamas reste la seule force capable de rétablir l'ordre."

Dans les rues de Gaza, le Hamas profite du cessez-le-feu pour réaffirmer son autorité par la force
Un membre du Hamas escorte un convoi du CICR transportant des otages israéliens libérés, à Khan Younès, le 13 octobre 2025. © Jehad Alshrafi, AP

Le Hamas, de son côté, répète qu'il ne rendra ses armes qu'à un futur État palestinien, estimant qu'un désarmement unilatéral le laisserait sans défense face à Israël. Benjamin Netanyahu s'est toujours opposé à la création d'un État palestinien, poursuivant l'expansion des colonies illégales en Cisjordanie occupée.

Pour Talha İsmail Duman, la position du Hamas tient moins d'un refus idéologique que d'un "calcul politique rationnel". "Aujourd'hui, le Hamas se dit prêt à céder le pouvoir, mais à des autorités palestiniennes, et à condition qu'aucun futur gouvernement ne cherche à démanteler ses structures armées ou sociales", explique-t-il.

"Ses efforts pour obtenir la libération de Marwan Barghouti, un éminent dirigeant du Fatah largement pressenti pour remporter une future élection présidentielle et qui soutient la solution à deux États tout en restant ouvert à la résistance – un équilibre qui pourrait donner naissance à une gouvernance moins hostile au Hamas. Dans un tel scénario, le Hamas pourrait conserver ses armes tout en se transformant en force avant tout politique et sociale."

Malgré la perte d'une partie de sa popularité à cause des représailles israéliennes depuis les massacres du 7-Octobre, le Hamas conserve des racines profondes dans la société gazaouie, note Fawaz Gerges. "Comment remplacer un mouvement social aussi dominant sans un processus politique inclusif mené par les Palestiniens ?", interroge-t-il. "Le Hamas existe depuis les années 1980, on ne peut tout simplement pas l'éliminer du jour au lendemain." Avant de conclure : "L'idée de se débarrasser du Hamas est un vœu pieux. Ce n'est pas un corps étranger tombé du ciel : il fait partie du tissu social. Tant que durera l'occupation militaire israélienne, le Hamas existera – à Gaza, en Cisjordanie occupée, à Jérusalem-Est et au-delà."

Cet article a été adapté de l'anglais par Barbara Gabel. L'original est à retrouver ici.