Le géant chinois du e-commerce Alibaba réalisera vendredi la plus importante introduction en bourse de l'histoire. Retour sur la réussite hors norme d'une entreprise qui va bientôt valoir davantage qu'Amazon.
Un Chinois à Wall Street. Et pas n’importe lequel. Le géant du e-commerce Alibaba s’apprête, cette semaine, à entrer dans l’histoire boursière. Le groupe compte lever jusqu’à 25 milliards de dollars lors de son introduction à la Bourse de New York, ce qui en ferait la plus importante opération du genre (voir infographie).
Alibaba fait saliver les potentiels investisseurs à tel point que Jack Ma, son fondateur et président, a pu augmenter par deux fois, ces dernières semaines, le prix auquel les actions seront mises en vente. L’intérêt suscité par cette société peut se comprendre : Alibaba est l’acteur dominant et déjà hautement lucratif de l’énorme marché chinois. Il s’apprête à partir à la conquête du monde.
C’est l’histoire d’un prof d’anglais
Pour comprendre l’importance de la pieuvre Alibaba dans le paysage économique chinois, il convient de revenir sur l’histoire de cette entreprise au parcours atypique dans une Chine ultra-contrôlée par les instances du Parti communiste.
Tout commence par un professeur d’anglais qui n’a aucune expérience dans le monde des affaires : Jack Ma. En 1999, à 35 ans, il décide de lancer un site internet, Alibaba, pour permettre aux petits fournisseurs chinois de trouver des clients à l’international. À l’époque, c’était un vrai pari, car le Web était loin d’avoir, en Chine, l’importance qu’il a aujourd’hui.
Cet apprenti entrepreneur a aussi placé d'entrée sa société dans une optique de compétition internationale et de culture anglo-saxonne de l’entreprise. "Nos concurrents ne sont pas chinois, mais dans la Silicon Valley", aurait dit Jack Ma lors d’une des premières réunions des employés du futur géant. Depuis, Alibaba tente de cultiver cette image d’un groupe chinois compatible avec l’esprit start-up à l’occidental.
Dans cet optique, Jack Ma a instauré les Alifest, des journées de célébration de la culture maison. Les salariés du groupe se retrouvent, chaque année, dans des stades de foot où le charismatique fondateur d’Alibaba pousse régulièrement la chansonnette sur scène. Il a aussi instauré un système d’élection de l'employé du mois. Alibaba tente également d’offrir à ses collaborateurs un environnement de travail proche de celui de Google, Yahoo & Co.
Alibaba vs eBay
Jack Ma tient à l’esprit start-up de sa société, mais cela ne l’a pas empêché de transformer rapidement le petit site Alibaba en empire touche-à-tout du commerce. L’épisode le plus célèbre de cette ascension est la bataille livrée à partir de 2003 à eBay. Le géant américain avait alors racheté EachNet, l’un des principaux sites de e-commerce chinois afin de devenir, en quelques années, le roi du secteur. EBay, comptait, en l'espace de 10 ou 15 ans, faire de la Chine son premier marché.
C’était sans compter avec Jack Ma et Alibaba. Le petit David chinois a lancé une contre-offensive qui a pris le Goliath américain par surprise. Jack Ma a fondé, en 2003, le site d’e-commerce Taobao et, en même temps, Alipay, destiné à devenir l’un des principaux moyens de paiement électronique en Chine. En parallèle, comme le relate le site BusinessInsider, des milliers de messages apparaissaient sur les médias sociaux chinois pour inciter les internautes à choisir Taobao au lieu d’EachNet. Jack Ma a aussi réussi à séduire les petites entreprises pour qu'elles vendent leurs produits sur son site en promettant de ne pas prélever, pendant trois ans, de commission sur les transactions effectuées. Au final, le succès de Taobao est tel qu’eBay dépose les armes au pied de Jack Ma et se retire de Chine en 2006.
Le Parti communiste chinois se frotte les mains
Cette victoire laisse le champ libre à Alibaba. Taobao et Tmall, sa déclinaison sur mobile, vont devenir les principales sources de revenus du groupe, qui acquiert peu à peu la réputation de plus grand bazar en ligne du monde… même s’il n’existe que pour un public chinois. Mais Alibaba ne s’est pas arrêté là. Il a cofinancé la création de la première banque privée chinoise et gère aussi des dépôts pour les stocks des entreprises, ce qui lui permet d’avoir un contrôle sur quasiment toute la chaîne du commerce.
Alibaba n’a donc plus grand chose à voir avec une start-up. Le groupe n’est pas non plus aussi indépendant du pouvoir central qu’il veut bien le faire croire. Les documents qu’il a soumis à la Security and Exchange Commission (SEC - gendarme américain de la Bourse) en vue de son arrivée à Wall Street indique que le PCC (Parti communiste chinois) n’est jamais très loin. Quatre fonds d’investissement qui détiennent des parts d’Alibaba sont présidés ou ont été fondés par "des fils ou petits-fils d’éminents membres du politburo chinois", a découvert le "New York Times". L’une de ces institutions financières, New Horizon Capital, a même été crée par le fils de l’ancien Premier ministre Wen Jiabao. De ce fait, comme le souligne le "New York Times", les caciques du régime communiste chinois seront parmi les plus grands gagnants de cette méga-introduction en bourse.