Plusieurs scientifiques de renom, à la pointe de la recherche sur le virus Ebola, plaident pour que certains traitements expérimentaux soient administrés aux personnels de santé africains. Bon sens ou folie ? L’affaire commence à faire grand bruit.
Il fallait s’y attendre : après l’étonnante rémission, cette semaine, du médecin américain Kent Brantly – qui a reçu un traitement expérimental pour lutter contre Ebola après avoir contracté la maladie au Liberia – plusieurs voix se sont élevées pour que les Africains malades puissent eux aussi bénéficier du précieux sérum.
>> À lire sur France 24 : un sérum "sauve" deux Américains infectés au Liberia
Le médecin belge Peter Piot, grand nom de la profession qui a découvert le virus en 1976 au Zaïre (l’actuelle République démocratique du Congo, RDC), fait partie de ceux-là. Avec deux de ses confrères, David Heymann et Jeremy Farrar, le chercheur belge estime que plusieurs traitements en cours d’expérimentation – et qui ont déjà montré leur efficacité sur des singes - devraient être administrés aux personnels de santé africains.
"Les gouvernements africains devraient être autorisés à prendre des décisions informées concernant l’usage ou non de ces produits – par exemple pour protéger et traiter les travailleurs de santé qui courent des risques d’infection particulièrement élevés", ont écrit les trois chercheurs dans un communiqué commun, diffusé mardi 5 août.
Africains cobayes ?
Mais les Africains peuvent-ils servir de cobayes au seul nom de l’urgence sanitaire ? D’un point de vue éthique, le débat est hautement sensible. Ces produits sont en effet encore loin d’avoir passé tous les essais cliniques et les procédures d’homologation. Pour Peter Piot, pourtant, une réglementation stricte permettant la délivrance légale de certains de ces sérums à titre préventif n’est pas déraisonnable.
"Je pense que le moment est venu, au moins dans les capitales [africaines], d'offrir ce genre de traitements pour un usage compassionnel [réglementation permettant de rendre légal l'usage de médicaments non-autorisés, NDLR] mais aussi pour découvrir s'ils marchent afin d'être prêts pour la prochaine épidémie", a-t-il appelé de ses voeux le 31 juillet. Pour le chercheur, l'OMS est le seul organe capable de permettre une telle autorisation.
>> À voir sur France 24 : Au Liberia, des victimes d'Ebola ramassées en pleine rue
L’appel de ces trois médecins intervient au moment même où le président américain fait, lui, preuve de réticence et estime qu’il est prématuré de délivrer au grand public ces traitements non homologués. "Je pense que nous devons laisser la science nous guider. Et je ne pense pas que nous ayons toutes les informations pour déterminer si ce médicament [le sérum administré aux deux Américains] est efficace", a-t-il déclaré, mercredi. Une prudence que partage le Dr Anthony Fauci, directeur de l'Institut américain des allergies et des maladies infectieuses (NIAID). Le sérum n’a eu une "certaine" efficacité que chez deux patients, a-t-il expliqué. […] Nous devons être prudents avant de tirer des conclusions."
Un vaccin en 2015 ?
Le débat autour de l’administration de ce sérum anti-Ebola est né après l’étonnante rémission du docteur américain Kent Brantly. L’homme de 33 ans, gravement atteint par le virus, a été capable de se lever et prendre une douche quelques heures après avoir reçu par injection un sérum baptisé ZMapp - qui n’avait été testé auparavant que sur huit singes. L’anticorps, créé à base de cellules de souris infectées, a été développé par une firme de biotech américaine, Mapp Biopharmaceutical.
A l’heure où l’OMS fait état de plus de 930 morts en Afrique de l’ouest, aucun traitement n’est disponible sur le marché. Un nouveau foyer de la maladie vient d’apparaître au Nigeria où sept nouveaux cas ont été signalés. Un essai clinique du sérum ZMapp - testé sur des humains, donc - est prévu en septembre. Ses résultats seront connus à la mi-janvier 2015. Dans le meilleur des cas, un vaccin pourrait être prêt à la mi-2015.
Avec AFP