Une exposition organisée Gare-de-l'Est, à Paris, rend hommage aux participants de la Première Guerre mondiale. Le photographe français Didier Pazery a saisi, avant leur disparition, les visages des derniers témoins du conflit.
Le 2 août 1914, les premiers soldats mobilisés s'étaient regroupés à la Gare-de-l'Est, à Paris, pour rejoindre leur régiment. Pendant quatre ans, des millions de poilus ont emprunté ces quais pour partir sur les fronts de la Première Guerre mondiale. Cent ans après, ces hommes ne sont plus là, mais leurs visages ornent désormais les murs de la gare parisienne. Jusqu'au mois de novembre, 80 clichés réalisés par le photographe français Didier Pazery sont visibles dans ces lieux pour perpétuer le souvenir des témoins de la "Der des Der".
De 1996 à 2007, ce graphiste de formation, originaire de Provence, est allé à la rencontre des derniers survivants de la Grande Guerre. Un projet qui a mûri pendant de nombreuses années après une discussion en famille. "J’avais 23 ans et j’étais avec mon grand-père, âgé de 85 ans, qui m’a montré une petite photographie qu’il gardait dans son portefeuille. C’était un cliché pris en 1930, lors de son service militaire, sur laquelle on le voyait en tenue d’apparat", raconte-t-il à France 24. "J’ai trouvé intéressant le contraste entre son visage creusé de rides et les traits lisses et pleins de la photo. Je lui ai demandé de tenir cette image près de son visage et j’ai fait un cliché. C’est de là qu’est partie l’idée de photographier des centenaires."
"Les gens ont vécu les mêmes souffrances"
À l'époque, le doyen des Français s'appelle Bernard Delhom. Âgé de 110 ans, il avait été soldat durant la Première Guerre mondiale. Didier Pazery le rencontre. Ému par son récit, il décide de se lancer dans une série sur les poilus. Comme il l'explique dans l'introduction de son livre "14, Visages et vestiges de la Grande Guerre", il a été aimanté par ce "puits sans fond". De belles leçons d'humanité, mais surtout une plongée vers le mal absolu : "Ce qui s’est passé en 14-18 a, d’une certaine manière, rendu possible la Seconde Guerre mondiale, les camps de concentration, la bombe atomique, etc. Jusqu’où l’être humain peut-il aller dans la barbarie ? La Grande Guerre ouvre beaucoup de perspectives sur ce sujet."
Pour mieux comprendre le vécu des anciens combattants, le photographe n'a pas seulement recueilli les histoires de soldats français. Ses clichés en noir et blanc n'ont pas de frontières. L'Anglais Ted Rimmer, l'Algérien Saci Ben Hocine Mahdi, l'Américain Franck Buckles, l'Allemand Albrecht Scharpff ou encore le Sénégalais Abdoulaye N'Diaye racontent tous leur guerre dans des textes qui accompagnent leurs portraits. "J’ai constaté que les gens avaient vécu les mêmes expériences, les mêmes souffrances dans les deux camps. J’ai notamment photographié une 'gueule cassée', un Allemand défiguré et rendu aveugle par une grenade à l’âge de 18 ans", explique Didier Pazery.
Se souvenir pour construire l'avenir
Lors de ces rencontres émouvantes, l'artiste a particulièrement été marqué par le témoignage d'Abramo Pellencin, né en 1897. Ce membre des bataillons d'assaut pose fièrement, comme en 1915, date de sa mobilisation. Mais il clame haut et fort qu'il était un "salaud" et un "assassin de première ligne" : "Il faisait partie des troupes de choc de l'armée italienne venues aider les Français à Verdun. Il disait avoir honte de ses mains".
Depuis la mort du dernier soldat connu de la Grande Guerre, l'Australien Claude Choules, en mai 2011 à l'âge de 110 ans, la parole de ceux qui ont vécu au plus près de l'horreur s'est définitivement tue. Mais le travail de Didier Pazery permet de transmettre leur mémoire. Pour le photographe, ces regards nous disent surtout de ne jamais recommencer: "Ce serait un peu prétentieux de ma part de penser que mon travail va rester pour l’éternité, mais il est effectivement important de savoir d'où l'on vient si l'on veut construire l'avenir". Malgré la disparition des derniers témoins, Didier Pazery a continué son travail. Depuis 2007, il a notamment photographié des pièces historiques de la collection du Musée de la Grande Guerre de Meaux, en région parisienne, et des paysages sur les anciens champs de bataille : "La partie sur les lieux et les objets n’est pas terminée car je suis en train de réaliser un webdocumentaire pour TV5 Monde. Mais, après ce travail, je mettrai fin à ma série de photographies sur la Grande Guerre".
- Exposition "14, Visages et vestiges de la Grande Guerre" de Didier Pazery, Gare-de-l'Est à Paris, jusqu'au 30 novembre 2014
- "14.Visages et vestiges de la Grande Guerre", Didier Pazery ; éditions Michalon, Juin 2014