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Soudan du Sud : la trahison des héros de l’indépendance

Le Soudan du Sud, qui souffle sa troisième bougie, est ravagé par la guerre depuis plusieurs mois. Dans le plus jeune État au monde, les rivalités politiques ont divisé la population, semant misère et désolation.

Il y a trois ans, Marc Lavergne répondait depuis l’Égypte aux questions de France 24 alors que naissait un nouvel état sur la surface du globe. "C’est une catastrophe annoncée", avait prédit ce directeur de recherche au CNRS spécialiste de la Corne de l’Afrique, à propos de l’indépendance du Soudan du Sud.

En juillet 2011, Matthew Leriche était aux premières loges pour assister aux célébrations de l'indépendance à Juba. "Nous étions optimistes, bien que conscients du contentieux politique important", se souvient ce chercheur de l’université de Terre-Neuve, au Canada. Ses amis présents à ses côtés ce jour-là ont depuis été tués ou blessés dans les violences. Profondément attristé à la veille du troisième anniversaire de l’indépendance, Matthew Leriche parle d’"opportunités gâchées".

Car au lieu de se développer, le Soudan du Sud s’est embourbé depuis trois ans. En décembre 2013, la guerre a éclaté entre les partisans du président Salva Kiir et ceux de son ex-vice-président, Riek Machar, entraînant avec eux la population des ethnies Dinka (proche de Salva Kiir) et Nuer (de Riek Machar). Une tragédie qui ne compte plus ses morts. Les déplacés, eux, s’élèvent à 1,5 million, soit 10 % de la population totale. Ajouté à cela, la récente apparition du choléra fait craindre une épidémie et la pénurie alimentaire, une famine.

Salva Kiir, l’"imbécile heureux"

"Comme le dit un proverbe africain, quand il y a deux éléphants qui se battent, c’est l’herbe qui prend", commente Anne Quentier, porte-parole de la mission de l’ONU au Soudan du Sud, sur le plateau de France 24. "Au Soudan du Sud, c’est ce qui se passe : Riek Machar et Salva Kiir se font la guerre et c’est tout une population qui en fait les frais."

Suite à l’indépendance, qui a apporté la paix avec le Soudan, au Nord, après 20 ans de guerre civile, des rivalités politiques ont éclaté dans le pays. Salva Kiir a accusé Riek Machar de tentative de coup d'État, lequel a dénoncé un prétexte inventé par le président pour éliminer des rivaux politiques. De vieux antagonismes entre peuples dinka et nuer ont par ailleurs resurgi, aggravant la situation.

Pas tendre avec les dirigeants sud-soudanais, anciens héros de l’indépendance, Marc Lavergne déverse sa colère. "Riek Machar est le recordman du monde en termes de génocide et de nullité intellectuelle", assène-t-il. "Quant à Salva Kiir, c’est un imbécile heureux, un alcoolique au dernier degré", poursuit-il.

"Les dirigeants vivent en terrain conquis et profitent du pétrole [les combats ont fait chuter de 29 % la production pétrolière, source quasi-unique de revenu pour le pays, NDLR]. Ils ne font rien pour le pays : pas de construction de routes, d’écoles, ou de quoi que ce soit d’autre."

Perte de repères

Une absence de développement des infrastructures déplorée unanimement, qui tranche avec la métamorphose de la capitale. "Juba est devenue une ville-champignon. Les bars ont fleuri, les investisseurs étrangers sont venus faire du business. Dans les rues de la ville, on assiste à un ballet de 4x4 de l’ONU et des ONG. Pour eux, c’est un eldorado", dépeint Marc Lavergne, parlant d’une ruée vers Juba. "En gros, ceux qui n’en profitent pas, ce sont les Sud-Soudanais."

Du côté de la population, on oscille entre désillusion et résignation. "Certaines personnes remettent en question l’indépendance même du pays. Mais la plupart continuent de penser que c’était une bonne décision", explique Matthew Leriche. Il considère que le contexte actuel est le pire que le pays ait connu depuis l’accord de paix en 2005, entre la rébellion sudiste et Khartoum.

Marc Lavergne décrit quant à lui une perte de repères : "Chacun se bat sans trop savoir pourquoi. Pendant 20 ans, les Sud-Soudanais se sont battus pour l’indépendance, mais avant tout pour un pays uni. Aujourd’hui, on assiste à la construction d’un clivage ethnique, qui n’a jamais eu lieu d’être dans cette partie du monde."

Un constat qu’illustre avec fatalisme un ancien vendeur de vêtements désormais réfugié dans le camp onusien de Tomping, près de l'aéroport de Juba : "Avant, nous étions ensemble, maintenant nous sommes différents".