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Français retenus au Qatar, le nouveau dossier qui fâche

De plus en plus relayé par les médias hexagonaux, le cas de Français retenus au Qatar, faute de visa de sortie, ne devrait pas être abordé lors de l'entretien entre l'émir Al-Thani et François Hollande prévu lundi à l'Élysée.

François Hollande profitera-t-il de la venue de l’émir Al-Thani du Qatar ce lundi 23 juin au palais de l’Élysée pour évoquer les dossiers qui fâchent ? Ces derniers, qui ne manquent pas, alimentent régulièrement la chronique : le soutien qatari supposé aux djihadistes du Nord-Mali, la condition des travailleurs immigrés œuvrant sur les chantiers de la Coupe du monde de football 2022 - dont on dit qu’elle pourrait finalement revenir aux États-Unis -, l’arrivée annoncée, puis démentie, de la chaîne d’information Al-Jazeera en France…

Mais le sujet susceptible de susciter le plus d’émotion auprès de l’opinion publique hexagonale reste le cas de ces Français retenus dans l’émirat faute de visa de sortie délivré par leur "sponsor" local, le plus souvent leur employeur. À l’heure actuelle, un ressortissant français est confronté à cette situation : l’ingénieur Jean-Pierre Marongiu, incarcéré depuis septembre 2013 pour avoir signé des chèques sans provision. Trois autres cas avaient été recensés l'année passée : l'entrepreneur franco-jordanien Nasser al-Awartany, qui avait perdu le soutien de son ancien associé qatari, l'entraîneur de football Stéphane Morello, en délicatesse avec le comité olympique qatari, son employeur et le footballeur franco-algérien Zahir Belounis, dont le club refusait de délivrer le fameux "permit exit". Tous les trois ont été autorisés à quitter le Qatar depuis.

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En août 2013, les épouses de ces quatre ressortissants français avaient demandé aux  autorités de Paris de s'engager davantage en faveur de leur mari. "Le Quai d’Orsay semble plus prompt à veiller aux intérêts de la France au Qatar qu’à l’intérêt des Français qui y résident," déplorait à l’époque leur avocat Me Frank Berton à FRANCE 24. Pour faire avancer les choses, il faudrait que la diplomatie française soit plus mordante, moins molle qu’elle ne l’est actuellement."

"Le Qatar dispose et abuse d’une législation esclavagiste"

Auteur de l’ouvrage "Qaptif !"* qu’il a rédigé depuis sa cellule qatarie, Jean-Pierre Marongiu s’insurge lui aussi du peu d’empressement des autorités françaises à se pencher sur des affaires relevant, pour lui, d’un asservissement d’État. "Le Qatar dispose et abuse d’une législation esclavagiste. Sous l’appellation de parrainage, le 'kafala' ou sponsoring, écrit-il. Tout investisseur étranger est dans l’obligation de céder la majorité de son entreprise à un Qatarien. Il devient ainsi l’esclave du sponsor qui seul autorise ses déplacements, s’attribue ses finances, gère sa vie." En octobre 2013, sur les ondes d’Europe 1, l’ingénieur, qui dit avoir été abusé par son ancien associé et sponsor, a directement sollicité le soutien du président français. Pour l’heure, son appel à l’aide est resté sans réponse.

Depuis, Jean-Pierre Marongiu a toutefois reçu la visite de quelques élus et représentants français, dont Jean-Yves Leconte, sénateur socialiste, et François Crépeau, porte-parole des Nations unies. "En France, la résistance s’organise, indique-t-il dans son livre. Seule l’ambassade de France à Doha continue à considérer l’injustice qui m’est faite comme un caillou dans la chaussure des relations franco-qatariennes."

"Nous n’allons pas imposer au Qatar un système politique et judiciaire"

Impulsée sous la présidence de Nicolas Sarkozy, l’amitié qui lie les deux pays reste primordiale pour Paris. Selon les chiffres du ministère français des Affaires étrangères, les échanges commerciaux entre la France et le riche État du Golfe ont atteint 1,6 milliard d’euros en 2013.

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Aussi, nombre de responsables politiques français se montrent-ils très prévenants à l’égard du Qatar. Le zèle avec lequel certains d’entre eux vantent les mérites de l’émirat gazier suscite parfois de vives réactions chez ceux qui ont eu maille à partir avec la justice qatarie. Retenu sur la péninsule entre juillet 2011 et octobre 2012 alors qu’il travaillait comme technicien dans l’industrie gazière, Yves Pendeliau s’est récemment ému des propos tenus par le sénateur UMP Philippe Marini lors d’une visite, fin mai, à Doha. "Nous avons en France une presse libre et indépendante qui ne représente en rien l’opinion officielle de l’État, affirmait le parlementaire au site Gulf News l’interrogeant sur le traitement jugé peu amène des affaires qataries par les médias français. Certains journaux ne savent même pas ce qui se passe ici et racontent n’importe quoi. Certains ne font qu’aggraver les problèmes et alimenter la haine, ce qui n’est pas la manière de faire des autorités françaises. Mais, c’est une presse libre."

Contacté par FRANCE 24, l’élu, qui préside par ailleurs le groupe d’amitié France-Péninsule arabique au sein du Sénat, ne nie pas l’existence d’affaires de nature à troubler les citoyens français. "Certains aspects particuliers peuvent toutefois occulter d’autres aspects positifs dans notre relation avec le Qatar, affirme-t-il. Il est important de disposer d’un bon climat de discussion avec Doha qui joue, notamment, un rôle de médiation dans certaines crises au Moyen-Orient. Il y a aussi naturellement le champ économique : le développement du Qatar concerne un grand nombre d’entreprises françaises qui font travailler des Français." Est-ce à dire que l’émirat est exempt de reproche ? "Nous n’allons pas imposer au Qatar un système politique et judiciaire. Sa visibilité sur la scène internationale l’oblige à faire des efforts. Et, lors de ma visite, j’ai eu le sentiment que, concernant le statut des travailleurs étrangers, les choses évoluaient même si les résultats ne sont pas toujours immédiats."

Bien que prononcées par un sénateur issu des rangs de l’opposition, cette déclaration témoigne de la volonté des dirigeants français de ne pas froisser son partenaire du Golfe. "Je vous implore d’intervenir auprès de l’émir du Qatar. Un mot, un seul, de votre part peut suffire", demandait Jean-Pierre Marongiu à François Hollande lors de son appel. Peu de chances toutefois que le président français n’aborde frontalement la question. Officiellement, le tête-à-tête prévu lundi entre les deux hommes devrait être largement consacré à la situation en Irak. Ainsi qu’à la vente à l’émirat de l'avion de chasse Rafale construit par le français Dassault Aviation.

*"Qaptif ! Un Français, otage du Qatar", éditions Les Nouveaux Auteurs.